Stérilet Mirena : des femmes dénoncent les effets secondaires

En Belgique et en France, les témoignages de femmes affluent pour dénoncer certains effets secondaires du stérilet Mirena, commercialisé par le géant Bayer. Alors que ces effets étaient déjà connus par les professionnel·les, beaucoup de patientes regrettent amèrement de ne pas en avoir été informées. Ce débat surgit dans un contexte de remise en question d’autres moyens contraceptifs, en particulier la pilule.

© Marie Leprêtre pour axelle magazine

Article extrait du dossier « Le stérilet hormonal : contraception ou poison ? », publié dans axelle n° 204.

Julie Z. est soulagée de retirer son stérilet dans quelques jours. Elle en veut à ce mode contraceptif qui lui a même, selon elle, coûté son couple. Après son accouchement en mars 2017, elle décide de mettre un stérilet. « Mon gynéco m’a juste dit qu’il s’agissait d’un stérilet qui se pose durant cinq ans et que je n’aurais plus mes règles », explique-t-elle. Très vite, la jeune femme voit son comportement changer : « J’ai des sautes d’humeur régulières quand ce ne sont pas carrément des colères. Je me sens terriblement fatiguée, dans un état un peu dépressif, je prends du poids… » C’est lors d’une émission de télévision qu’elle entend parler des effets secondaires du stérilet. Elle décide de l’enlever.

L’histoire est presque similaire pour Gaëlle Beckers. Cette jeune femme dynamique se voit soudain victime d’une grande fatigue, d’une perte d’énergie, envahie d’idées noires. Les infections urinaires se multiplient, les infections rénales aussi, sans parler des douleurs insurmontables dans le bas du dos. « J’en parlais à mon gynéco, qui ne m’a jamais évoqué les potentiels effets secondaires du stérilet », déplore-t-elle. Après la découverte d’un article sur le sujet, elle décide de se le faire enlever. Gaëlle demande son dossier médical et constate que le médecin n’avait jamais pris note de ses douleurs…

Ensemble contre l’omerta

Julie Z. et Gaëlle Beckers font partie des 22.000 membres du groupe Facebook Victimes des stérilets hormonaux. Créé en mai, ce groupe, qui a donné naissance à l’association SVH (Stérilets Vigilance Hormones) avec une branche belge dont Gaëlle Beckers est responsable, sensibilise les femmes aux effets secondaires délétères des stérilets hormonaux, principalement le Mirena commercialisé par les laboratoires Bayer.

Le stérilet Mirena existe depuis une vingtaine d’années. On l’appelle aussi « dispositif intra-utérin hormonal » : placé dans l’utérus, il agit en libérant une hormone (le lévonorgestrel) pendant cinq ans, à la différence du stérilet au cuivre, dispositif sans hormones. Le stérilet hormonal est présenté comme efficace contre les règles abondantes et les douleurs menstruelles.

La notice indique de nombreux effets secondaires similaires à ceux rapportés par les femmes qui, si elles en avaient été informées, auraient pu refuser ce type de contraception.

Prise de poids, migraines, état dépressif mais aussi perte de cheveux : les témoignages de femmes porteuses d’un stérilet hormonal abondent et se recoupent. « Le problème, c’est l’omerta des gynécologues sur les effets secondaires, dénonce Gaëlle Beckers. Quasiment aucune femme ne reçoit la notice quand on lui pose le stérilet. 80 % des 10.000 femmes interrogées dans notre sondage ont expliqué cela. En fait, les femmes achètent à la pharmacie la boîte fermée, le gynéco jette la boîte et la notice à la poubelle. »

Pourtant, la notice indique de nombreux effets secondaires similaires à ceux rapportés par les femmes qui, si elles en avaient été informées, auraient pu refuser ce type de contraception. On apprend donc que les effets indésirables « fréquemment observés » – chez 10 % des femmes – sont : des maux de tête, des douleurs au niveau du ventre et du bas-ventre, un gonflement abdominal, des troubles des règles, notamment des saignements entre les règles, des règles plus abondantes ou moins abondantes, prolongées ou raccourcies, ou des périodes prolongées sans saignement, un écoulement vaginal ou encore une inflammation de la vulve ou du vagin. Suivent les effets observés chez 1 à 10 femmes sur 100, notamment : une humeur dépressive, une dépression, de la nervosité, une baisse de la libido, des migraines, des nausées, de l’acné. Viennent ensuite, plus rares, les risques d’une pilosité excessive, d’infections des voies génitales supérieures, etc. La liste est longue.

© Marie Leprêtre pour axelle magazine

Parole des femmes décriée

Si l’on en croit les nombreuses expériences de femmes, l’indifférence des gynécologues à ces effets secondaires se marque aussi dans le suivi. “Beaucoup de gynécologues balaient les arguments des femmes quand elles se plaignent des effets secondaires. “Ne vous tracassez pas”, “Il faut que le corps s’adapte”, entend-on souvent », déplore Gaëlle Beckers.

Martin Winckler, ancien médecin français aujourd’hui écrivain engagé sur la question du rapport des femmes à la santé (et notamment contre la maltraitance médicale), dénonçait déjà cette attitude patriarcale du corps médical en 2006 sur son blog. « Plusieurs patientes à qui on avait posé un Mirena plutôt qu’un DIU au cuivre en leur disant que « c’était mieux » sont venues me consulter en me disant qu’elles n’avaient plus de libido (plus de désir) depuis la pose. Le médecin qui le leur avait posé avait répondu que c’était « dans la tête », oubliant ainsi que les hormones du Mirena reproduisent l’état de la grossesse (comme les pilules et l’implant) et peuvent donc (comme les pilules et l’implant) entraîner une baisse nette de la libido. Après retrait du Mirena et remplacement par un DIU au cuivre, leur désir est revenu… »

La douleur des femmes, associée non pas à des symptômes réels mais à une « émotion », n’est pas prise au sérieux.

Dans la presse française, les propos d’Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, à propos du scandale Mirena, confirment malheureusement cette indifférence d’une partie du corps médical. « Je ne dis pas qu’il ne faut pas analyser correctement les effets délétères des médicaments. Cependant, je pense que pour Mirena, nous ne sommes plus dans le rationnel, mais dans l’émotif. » Preuve que la douleur des femmes, associée non pas à des symptômes réels mais à une « émotion » (on est bien dans le registre des stéréotypes sexistes !), n’est pas prise au sérieux.

Un mouvement anti-contraception ?

La prise de conscience des effets secondaires du stérilet hormonal doit s’analyser dans le contexte plus large de défiance à l’égard de la contraception, et plus précisément envers son moyen le plus répandu, la pilule. En février 2017, l’institut belge Solidaris publiait une enquête sur l’évolution de notre rapport à la contraception depuis 2010 (échantillon de 4.600 femmes et hommes entre 14 et 55 ans). Selon les conclusions, la pilule reste le moyen contraceptif le plus utilisé (55 % des femmes de 14 à 55 ans), même si ce chiffre a diminué par rapport à 2010. La satisfaction a baissé de 6 points et les femmes se tournent vers d’autres moyens comme le stérilet, l’anneau vaginal ou l’implant. Les changements de contraception sont passés de 21 % en 2010 à 48 % en 2017 : + 21 points en 7 ans.

On part du principe que chaque femme choisit sa contraception idéale selon ce qui lui convient. Elle doit le faire en toute autonomie.

Autre donnée intéressante : on apprend dans cette enquête que, parmi les contraintes perçues de la contraception, « une évolution impressionnante [par rapport à 2010, ndlr] est à noter sur le fait que les contraceptifs ont des effets secondaires (+24 points), sont nocifs pour la santé (+16 points) et sont non-naturels (+10 points) ». Les mentalités changent rapidement.

Après la révolution que sa découverte a représentée et les luttes féministes pour son autorisation (1967 en France, 1973 en Belgique), la remise en question de la pilule, voire son discrédit, n’est pas sans lien avec la crise des pilules de troisième et quatrième générations. Ce terme « génération » indique des variations de composition des pilules et de dosage en hormones œstrogènes et progestatives. Un scandale fut déclenché en 2012 lorsqu’une jeune femme a déposé plainte contre un laboratoire pharmaceutique à la suite d’un accident thromboembolique veineux survenu alors qu’elle utilisait une pilule œstroprogestative de troisième génération. Les femmes prennent alors conscience qu’elles ne sont pas assez informées des contre-indications de la pilule et qu’elles n’ont pas toutes les cartes en main pour faire un vrai choix de contraception.

© Marie Leprêtre pour axelle magazine

Dégoûtées des « hormones »

Beaucoup de femmes délaissent donc la pilule au profit d’autres moyens de contraception comme le stérilet, le préservatif ou encore l’abstinence en période d’ovulation et le coït interrompu, pratique peu fiable. Une défiance que l’on pourrait lire comme une prise de pouvoir des femmes sur leur corps.

Mais la sociologue française Michèle Ferrand invite à regarder le débat avec prudence. « Oui, prendre la pilule est contraignant, et il y a un ras-le-bol de ça. Oui, la pilule contient des hormones qui sont là pour simuler une grossesse et empêcher de tomber enceinte, mais il y a en ce moment une vague verte qui n’est pas nouvelle et une sorte d’hormonophobie qui mélange tout : le poulet aux hormones et la pilule, en oubliant que l’insuline que prennent les diabétiques est aussi une hormone. » Et de rappeler que « la pilule, même si elle n’est pas vegan, permet d’être libre. »

Sur la page Facebook des Victimes des stérilets hormonaux, on rencontre de nombreuses femmes « dégoûtées » à vie des « hormones ». Mais Gaëlle Beckers reste nuancée. Elle ne s’oppose pas par principe à tous les contraceptifs hormonaux : « On ne disqualifie pas ni ne juge les femmes sur leurs choix contraceptifs. On part du principe que chaque femme choisit sa contraception idéale selon ce qui lui convient. Elle doit le faire en toute autonomie. »

Évaluer les risques

En Belgique, 500 plaintes de femmes à l’encontre du stérilet Mirena ont été déposées à l’Agence fédérale des médicaments. Ce petit nombre s’explique, selon Gaëlle Beckers, par « un manque d’informations des femmes belges, contrairement à la France où l’affaire a été largement médiatisée. » Elle souligne aussi la difficulté de la démarche : « Pour faire sa déclaration, il faut télécharger un PDF, le modifier et le renvoyer par mail, cela n’est pas accessible à toutes les femmes. »

L’Agence ne s’est pas encore prononcée sur le sujet. En France par contre, l’Agence nationale de sécurité du médicament, s’est saisie du dossier à la suite de l’explosion du nombre de déclarations sur le site du ministère de la Santé. L’agence a insisté sur l’importance « de respecter les recommandations d’utilisation », rappelant qu’un examen de contrôle doit être réalisé 4 à 6 semaines après la pose du dispositif, puis tous les ans.

Au niveau européen, le PRAC (Pharmacovigilance Risk Assessment Committee), comité qui évalue les risques liés à l’utilisation des médicaments, a réagi dans un communiqué (30 juin 2017) à une pétition lancée par une association de patient·es en Allemagne « pour inclure dans la notice les effets de type anxiété, attaques de panique, modification de l’humeur, troubles du sommeil et agitation qui pourraient être associés avec l’utilisation de dispositifs intra-utérins contenant du lévonorgestrel. » Le comité a ainsi lancé une évaluation du rôle des dispositifs intra-utérins au lévonorgestrel dont les conclusions sont attendues pour la fin d’année.

En attendant, l’association pour les victimes du stérilet hormonal poursuit son travail de sensibilisation. En Belgique, des « cafés stérilets » seront mis en place. « Notre objectif n’est pas d’attaquer Bayer en justice. Nous voulons faire prendre conscience aux femmes que la contraception, et particulièrement la pose de stérilets hormonaux, n’est pas un geste anodin. Il faut informer les femmes et revendiquer, de la part des gynécos, plus de transparence », insiste Gaëlle Beckers.

Référendum en Catalogne : trois femmes témoignent

Meri T. Silanes, Marta Jovè et Olaya Llano sont catalanes. Le 1er octobre dernier, elles ont voté lors du référendum qui s’est tenu, malgré l’interdiction de l’État espagnol, au sujet de l’indépendance de leur région. Elles n’ont pas forcément les mêmes opinions à ce propos, mais la question principale qu’elles posent est celle de la démocratie.

Le 1er octobre 2017, à Barcelone, une femme essaie d’arrêter la police. Le référendum sur l’indépendance de la Catalogne, interdit par le gouvernement espagnol mais maintenu par les autorités catalanes, a donné lieu à de nombreuses violences policières : au moins 844 blessé·es, selon le gouvernement régional catalan (et 33 policiers blessés, selon le ministère de l’Intérieur espagnol). © Cordonpress, Jose Luis Cresta

Meri T. Silanes : « Nous avons eu peur »

Quelques semaines avant le référendum, j’ai demandé à mes ami·es ce qu’il faudrait décider pour le dimanche 1er octobre. Aller voter ou non ? Voter oui, voter non ? Nul, blanc… ? Est-ce que créer un nouvel État, cela permettra vraiment d’améliorer les soins de santé, les crèches et les écoles, de lutter contre l’emploi précaire ? Quelle garantie avons-nous que ce nouvel État tiendra réellement compte des réalités et des droits des femmes ? La discussion a duré plus d’une heure. Cent autres conversations ont suivi ; je n’étais pas plus avancée.

Est-ce que créer un nouvel État, cela permettra vraiment d’améliorer les soins de santé, les crèches et les écoles, de lutter contre l’emploi précaire ?

Une dizaine de jours avant le référendum, j’ai commencé à être très dérangée par ce qui, à mon sens, ressemblait à des intimidations et des menaces pour empêcher les gens d’aller voter. Débarquement de policiers, commentaires sur les réseaux sociaux et dans les médias du style « frappez-les fort », perquisitions aux sièges des partis politiques, des administrations, des domiciles privés, des médias catalans….

« Fête de l’automne »

Pour le week-end du 1er octobre, toutes les écoles – qui étaient, entre autres, les lieux de vote identifiés pour le référendum – organisaient officiellement une « fête de l’automne ». Elles étaient donc ouvertes aux familles qui proposaient des ateliers de peinture, de cuisine, des tournois de « pierre – papier – ciseaux », des « nuits dans la cour de récréation »… Toute une organisation pour, en réalité, empêcher la police nationale espagnole d’occuper et de fermer les lieux où le vote allait se dérouler. Cela m’a émerveillée et m’a rendue fière : la puissance de cette organisation populaire, via les associations de parents, dans ces lieux si symboliques que sont les écoles, des lieux où les femmes ont un rôle important, travailleuses comme mères… Je me suis donc décidée à défendre le droit d’ouvrir nos écoles, le droit d’aller voter.

La veille du 1er octobre, nous étions beaucoup à ne pas trouver le sommeil. La cacerolada – un concert de casseroles, un moyen populaire de manifester son mécontentement – a été plus forte que jamais. Tous·tes mes ami·es allaient se mobiliser, en dépit de leurs différences de points de vue. Des infos circulaient par WhatsApp : des conseils sur la marche à suivre en cas d’arrestation, la liste de tous les lieux de vote avec les activités prévues et les personnes responsables. À propos d’un lieu de vote de mon quartier, une maison médicale près du marché, j’ai lu : « on manque de gens ». Alors, avec une copine, on a décidé d’y aller. Le rendez-vous était à 5 heures du matin, car des infos circulaient et laissaient entendre que la police débarquerait à 6 heures.

« Ils arrivent ! »

Nous sommes arrivées en retard. Il y avait toute sorte de gens… Les gens du quartier, quoi ! Des personnes âgées, des mamans avec enfants, des personnes en chaise roulante, des jeunes… J’ai même croisé une copine du collège et une tante de ma mère ! De temps en temps, on voyait passer de l’eau, des biscuits, des chips, du café… On ne savait pas d’où cela venait, mais ça circulait entre les personnes présentes devant la maison médicale. Et quand la tension montait, tout le monde chantait : « Les rues seront toujours à nous ! » ou « On va voter ! »

Tout à coup, l’un des jeunes est venu en courant : « Ils arrivent ! » Nous n’avons pas beaucoup réfléchi. Nous avons rejoint la foule devant la porte de la maison médicale. Certain·es avaient moins peur que nous et nous exhortaient : « Serrez-vous ! », « Tenez-vous fort ! »

On a vu arriver la brigade avec des fusils munis de balles en caoutchouc, interdits en Catalogne depuis 2014 !

On a vu débarquer la police nationale : des hommes casqués arrivaient à toute allure. Ils ont foncé dans la foule, ils ont commencé à attraper les gens et à les jeter à terre. Ma copine et moi, on se tenait par la main. Une fille derrière nous a glissé : « Soyez calmes, tenez bon ! » On a vu arriver la brigade avec des fusils munis de balles en caoutchouc, interdits en Catalogne depuis 2014 ! Ce n’était pas ma première confrontation avec la police, mais là… j’ai flippé. Nous avons vu des hommes et des femmes se faire frapper. Nous-mêmes n’avons pas été blessées, mais nous avons eu peur. Alors que nous avions été éjectées de la foule par la police, un monsieur avec une béquille nous a dit : « Retournez vers la porte, il faut empêcher qu’ils entrent ! »

On se sentait violentées

Non, nous n’avons pas voulu y retourner. Nous nous sommes mises sur le côté, nous avons observé. Beaucoup de personnes pleuraient. Nous aussi, nous avions envie de pleurer. Nous nous sentions affaiblies, pas fières. Violentées. Et là, on s’est dit que cette manière de faire, c’était peut-être un truc de mecs. Par la suite, on a appris que la police avait été brutale en particulier dans des villages ou dans des petits lieux de vote, comme celui qu’on avait essayé de défendre.

Nous ne voulions pas rentrer chez nous. Nous sommes parties vers un collège où nous avons rejoint d’autres ami·es. Là, il y avait beaucoup de monde. L’ambiance était festive, pacifique, émotive… Mais nous avons gardé la peur au ventre. Nous n’oublierons jamais cette journée. Finalement, nous avons pu voter et, malgré tout, nous avons agi pour défendre ce qui nous paraissait juste. Les discussions sur les enjeux d’un nouvel État, elles, sont toujours à suivre…

Marta Jovè : Dimanche au village

La Granada est un petit village de 2.000 habitant·es, sans grand maillage associatif ni organisation politique. Peu avant le 1er octobre, un bruit a pris de l’ampleur : l’idée de constituer un réseau entre voisins et voisines pour défendre au mieux les urnes et les « paperetas », les bulletins qui allaient nous permettre de voter et d’exercer la démocratie, au-delà des positions politiques, économiques et sociales de chacun·e.

Cela s’est passé dans une ambiance de collaboration, avec une attention spéciale envers les personnes qui, d’habitude, ne font pas partie de la vie politique du village : nos grands-mères, nos mères, les tantes, les plus jeunes…

Ce dimanche-là, nous avons donc tous·tes suivi les mêmes consignes : d’abord le débat, et puis une assemblée pour décider de la meilleure manière de faire. Cela s’est passé dans une ambiance de collaboration, avec une attention spéciale envers les personnes qui, d’habitude, ne font pas partie de la vie politique du village : nos grands-mères, nos mères, les tantes, les plus jeunes… Souvent, dans les villages comme le nôtre, ces femmes n’ont pas voix au chapitre et sont invisibles dans l’espace public. Mais là, elles étaient en première ligne.

Comme tout le monde le sait, le 1er octobre, nous avons vécu, en Catalogne, une cascade de violences policières. Nous suivions les événements via la radio et la télévision. Malgré la panique que provoquaient ces images, à la moindre alerte donnée lorsqu’un groupe de policiers s’approchait, tout le village sortait protéger l’entrée du lieu de vote – un collège. Vraiment tout le village. Grands-mères comprises.

Malgré toutes les émotions, la tension et la fatigue, le collège est devenu un espace de rencontres, de dialogue, d’activités communes, de repas collectifs, où les enfants étaient les bienvenu·es. Nous avons donc voté, nous nous sommes renforcé·es en faisant face à un État puissant. Nous l’avons fait ensemble, pour la dignité et la démocratie.

Olaya Llano : Oui à la démocratie !

Le dimanche 1er octobre, je me suis levée du pied gauche. Le premier bruit que j’ai entendu, c’était l’hymne espagnol à plein volume : un voisin voulait partager avec tout le quartier sa position sur le référendum. Le deuxième son, c’était mon téléphone. Je n’arrêtais pas de recevoir des messages d’ami·es : photos, textes, exprimant leurs attentes pour la journée.

Mais très vite, les messages ont changé de ton et sont devenus des récits sur la brutalité des forces de l’ordre, des vidéos montrant la police nationale en train de frapper des personnes assises, les mains levées. Des policiers jetant des femmes dans les escaliers comme si elles étaient des poupées. Quelle violence. Je n’arrivais pas à y croire. Dans mon village, à Cambrils, j’ai très vite su quels bureaux de vote avaient été visités par la police ou avaient vu leur système informatique saboté. Je me suis habillée. Je n’arrivais pas à décoller ces images de mes rétines.

Je suis allée là où je devais voter, dans un collège. Des copines qui avaient dormi chez moi m’accompagnaient : l’une est argentine, l’autre, madrilène. J’étais contente qu’elles soient là. Elles m’ont aidée à prendre un peu de recul, ce dont j’avais vraiment besoin.

Au collège, tout était tranquille. Il y avait une énorme file. Après une heure, nous avions juste avancé d’un mètre. Je ne sais même pas si nous avions avancé, en fait : je pense qu’on s’est juste serré·es un peu. Ras-le-bol d’attendre, il fallait qu’on bouge ! C’était décidé : nous allions prendre le train pour rejoindre des ami·es à Barcelone.

Je ne peux pas comprendre comment on peut penser que la « réponse » policière était « proportionnelle »…

Nous étions toujours branchées à nos téléphones, l’ambiance devenait anxiogène : personnes âgées en sang, femmes frappées, traînées à terre, même des pompiers recevaient de violents coups en essayant de protéger la population. Malgré tout, des citoyens et citoyennes, les mains levées, continuaient à crier : « Nous sommes des gens de paix ! » Je ne peux pas comprendre comment on peut penser que la « réponse » policière était « proportionnelle »…

Une fois à Barcelone, nous avons rejoint une bande d’ami·es. L’un était blessé : la police l’avait frappé et avait marché sur lui alors qu’il essayait d’empêcher l’entrée des forces de l’ordre dans un lieu de vote. La police avait réussi à entrer et à prendre les urnes. C’est honteux. Voler des votes : comme de vrais voleurs. Voler des voix, voler la démocratie. Mais nous pouvions encore discuter, crier et chanter !

Finalement, j’ai pu voter dans une école. Sans présence policière. Des bénévoles demandaient à celles et ceux qui avaient déjà voté de rester dans le coin, pour prêter main-forte en cas de débarquement de la police. La journée est arrivée à sa fin : les voix de cette école ont été comptées. Au final, la question n’est pas tant celle posée dans les bulletins de vote – oui ou non à l’indépendance – mais celle de la démocratie et de la liberté : et là, je vote OUI et OUI.

Ouganda : la parole aux mères séropositives

Le 1er décembre, c’est la Journée mondiale de lutte contre le Sida. L’occasion de rappeler que cette maladie n’est pas une fatalité. En Ouganda, la prévalence du VIH a diminué ces dernières années, et est passée de 7,3 % de la population en 2011 à 6 % aujourd’hui. Des femmes séropositives, chapeautées par l’ONG Mama’s Club, contribuent ensemble à la baisse des transmissions du virus aux nouveau-né·es…

La troupe du Mama’s Club de Bukedea a préparé des saynètes pour accueillir la fondatrice de l'ONG, la docteure Lydia Mungherera. © Raphaël Fournier

À l’ombre d’un acajou aux ramures feuillues, elle fredonne en se déhanchant. Apoo Anna n’a plus peur. Elle est sereine désormais, quand elle entre au centre de santé de Bukedea, un village du sud-ouest de l’Ouganda, à la frontière du Kenya. Apoo Anna a découvert sa séropositivité il y a huit mois lors d’une consultation prénatale. Elle était enceinte de son premier enfant. La jeune femme de 22 ans commence alors un traitement antirétroviral fourni gratuitement par le centre et intègre dans la foulée le Mama’s Club.

Ce groupe de parole de mères séropositives, dans lequel les pères sont les bienvenus, se réunit une fois par mois, pour se soutenir. « J’avais beaucoup de craintes pour notre avenir, mon mari ayant aussi été testé positif. On nous a conseillés et encouragés. Cela m’a libérée », affirme-t-elle, le visage lumineux. Apoo Anna, qui a accouché d’une petite Gracious Faith séronégative, n’a pas hésité quand on lui a proposé de rejoindre le groupe de théâtre du Mama’s Club. Les acteurs et actrices en herbe se produisent dans les marchés des alentours et informent sur le dépistage, dans un pays où 1,4 million de personnes vivent avec le VIH.

Exclues des allocations d’insertion, elles se battent

Les Femmes CSC ont mené fin septembre dernier une action contre l’ONEM et l’État fédéral devant le bâtiment du tribunal du travail de Bruxelles. Le service juridique du syndicat plaidait au même moment la cause de deux femmes exclues des allocations d’insertion, aux situations représentatives de milliers d’autres. Une action en justice importante, un levier intéressant pour faire bouger les lignes : Vincent Fouchet, plaideur de la CSC en charge du dossier, explique pourquoi.

© CSC Bruxelles

Historique de la situation : l’assurance chômage est une des branches de la sécurité sociale. Il existe deux principaux types d’allocations, celles obtenues sur base d’un travail salarié, les secondes dites d’insertion (ex-allocations d’attente), dont peuvent bénéficier les personnes n’ayant pas assez, ou pas pu travailler pour bénéficier d’un chômage complet.

Dans un contexte d’austérité et pour réduire le déficit de l’État, le gouvernement Di Rupo a décidé, par l’arrêté royal du 28 décembre 2011, de limiter à trois ans le droit aux allocations d’insertion. Conséquence : à l’entrée en vigueur de la réforme le 1er janvier 2015, plus de 37.000 personnes ont été exclues du chômage. Parmi elles, 60 % de femmes. Le gouvernement Michel a encore raboté ce droit, réduisant, par exemple, l’âge limite au moment de la demande : il est passé de 30 à 25 ans.

Depuis, 16.000 femmes ont disparu des radars. Exclues, elles n’ont jamais demandé au CPAS à bénéficier du revenu d’intégration sociale (RIS). Ces femmes, souvent cohabitantes, ont perdu toute autonomie financière. « Cette situation d’exclusion les mène à accepter n’importe quel emploi, à n’importe quelles conditions, expliquent les Femmes CSC, les fragilisant encore plus. Et dégradant par ailleurs les conditions de l’ensemble des travailleuses et travailleurs. » Pour bien saisir les enjeux du recours déposé contre l’ONEM et contre l’État belge, axelle a interviewé Vincent Fouchet.

25 novembre : une journée de lutte contre les violences masculines

Ce 25 novembre, la Belgique organisait sa première manifestation nationale contre les violences envers les femmes. Ce jour marquait aussi la clôture d’une grande campagne de Vie Féminine pour sensibiliser à l’engrenage infernal des violences. Récit d’une journée solidaire.

Le 25 novembre 2017, la manifestation de lutte contre les violences envers les femmes, une première en Belgique, a rassemblé 2.000 personnes selon la police, 4.000 selon les organisatrices. © Vie Féminine

Cet article est publié dans le cadre d’un dossier spécial sur les violences contre les femmes, avec une série de témoignages et des articles de fond.

Il est 8h30. Une vingtaine de femmes, très emmitouflées, plus ou moins réveillées, ont rendez-vous à la gare de Liège. Elles composent le groupe régional liégeois. Dans leurs sacs, elles ont emporté des foulards du mouvement Vie Féminine, mais aussi des panneaux imprimés de slogans. En route pour une journée de lutte contre les violences masculines.

Arrivées à Bruxelles, nous retrouvons une salle comble au Centre sportif et culturel Pôle Nord. Tous les groupes régionaux du mouvement sont représentés : près de 180 femmes qui vont passer la matinée à échanger entre elles et avec des représentantes politiques, avant de rejoindre la manifestation nationale prévue pour 14 heures.

Ce 25 novembre 2017, Journée internationale de lutte contre les violences envers les femmes, est aussi, pour Vie Féminine, la fin d’une campagne lancée un an plus tôt : « Brisons l’engrenage infernal ». © Vie Féminine

Ce 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences envers les femmes, est aussi, pour Vie Féminine, la fin d’une campagne lancée un an plus tôt : Brisons l’engrenage infernal. Céline Caudron, la coordinatrice de la campagne, explique : « La notion d’engrenage, de « continuum » des violences, a permis de décloisonner les violences, de montrer qu’il existe de nombreuses formes de violences masculines et qu’elles sont toutes liées entre elles. »

La Convention d’Istanbul à la loupe

La Convention d’Istanbul, texte du Conseil de l’Europe signé par 27 pays, dont la Belgique, vise à prévenir et lutter contre toutes les formes de violences à l’égard des femmes et contre la violence domestique. Ce texte constitue un outil très important pour les droits des femmes car, comme nous le rappelions dans cet article, « il adopte une lecture genrée des violences et aborde la diversité des violences, tant physiques, sexuelles, psychologiques qu’économiques, commises autant dans la vie publique que dans la vie privée. »

La Convention d’Istanbul, instrument contraignant, est entrée en vigueur le 1er juillet 2016 dans notre pays. Mais la Belgique tient-elle ses engagements ? Les groupes régionaux de Vie Féminine ainsi que des collectifs de jeunes femmes ont analysé des articles de la Convention afin d’en faire l’évaluation. Toutes les participantes ont constaté que c’était loin d’être gagné.

Notamment en matière de sensibilisation sur les questions de violence, en matière d’éducation, de prévention et détection de la violence, en matière de protection des femmes, de formation et de spécialisation des travailleurs/euses sociaux/ales et de la Justice, la Belgique a encore de nombreux efforts à faire pour respecter ses engagements. Simple exemple, collecté et présenté par la délégation de Liège : une école envoie un courrier aux parents pour leur demander que leurs filles portent des collants sous leurs jupes, parce que des garçons de l’école soulèvent les jupes des filles : on culpabilise très tôt les victimes…

Les femmes de Vie Féminine Brabant wallon, dans une performance sonore poignante, ont présenté les articles de la Convention qui portent sur l’accueil des plaintes par la police et les dispositifs de protection des victimes. « Apparemment, il y a une bonne façon d’être violée : il faut dire plusieurs fois NON, crier. Mais comment faire quand on est pétrie de peur de prendre des coups », énonce une femme, lisant un témoignage à voix haute.

Les femmes de la Région picarde ont pour leur part attiré l’attention sur l’article 48 de la Convention, concernant la médiation. La Convention recommande en effet de ne pas imposer des modes alternatifs de résolution des conflits du type « médiation » dans le cas de violences conjugales, pratique qui est pourtant largement répandue aujourd’hui. Chaque groupe a aussi proposé des mesures concrètes qui pourraient être prises, comme davantage de lieux sécurisants pour les femmes, y compris en milieu rural, un accompagnement des femmes et un soutien dans leurs démarches.

Table ronde politique

Les trois ministres qui pilotent le « Plan d’action national et intra-francophone de lutte contre les violences sexistes et intra-familiales » ont répondu à l’invitation de Vie Féminine : Céline Fremault, ministre bruxelloise ayant notamment les compétences du Logement, de l’Aide aux personnes et des Personnes handicapées ; Alda Greoli, ministre wallonne de la Culture, de l’Éducation permanente et de l’Enfance ; et enfin Isabelle Simonis, ministre de la Jeunesse, des Droits des femmes et de l’Égalité des chances en Fédération Wallonie-Bruxelles. Toutes ont rappelé leur profonde préoccupation pour la question des violences masculines et leur attention portée au genre dans leurs politiques.

Les trois ministres qui pilotent le « Plan d’action national et intra-francophone de lutte contre les violences sexistes et intra-familiales » ont répondu à l’invitation de Vie Féminine (de gauche à droite) : Céline Fremault, Isabelle Simonis et Alda Greoli. © Vie Féminine

Pour le logement par exemple, Céline Fremault a souligné la mesure prise à son initiative, permettant d’attribuer 3 % des logements sociaux bruxellois aux femmes victimes de violences conjugales. « En un an et demi, 64 logements ont été attribués », a expliqué la ministre, qui a aussi annoncé la création de deux espaces d’accueil fin 2018, l’un pour les familles monoparentales, l’autre pour les familles en errance, avec une attention portée à l’accessibilité pour les femmes migrantes.

En Wallonie, Alda Greoli a libéré 83 places de plus dans les refuges pour femmes victimes de violences, ce qui fait un total de 724 places. Elle a également déclaré que son objectif est d’ouvrir cinq centres de plus, permettant une augmentation de 200 places. Alda Greoli a aussi précisé que, outre la problématique du manque de place en refuge – pointée précédemment par les femmes de Vie Féminine –, il lui importait aussi « la question du post-hébergement, période critique pour les femmes. » Alda Greoli s’engage donc à soutenir et élargir les services ambulatoires, également souhaités par les militantes.

Quant à Isabelle Simonis, revenant sur l’article « éducation » de la Convention, elle a notamment souligné « le renforcement du dispositif de lutte contre les stéréotypes de genre dans les manuels scolaires », reconnaissant que « toute une série de manuels y échappent et se retrouvent sur les bancs des enfants. »

Enfin, étant donné que les problématiques cruciales liées à la Justice, à la police, à la santé plus largement, sont sous la responsabilité du gouvernement fédéral, toutes les femmes présentes ont regretté l’absence de réponse de Koen Geens, ministre de la Justice, à l’invitation qui lui avait été faite par Vie Féminine… Un silence qui en dit long.

« Il n’y a pas de petites violences »

Une minute de bruit contre les féminicides  : un cri collectif en mémoire de Louise, Malika, Jocelyne ou encore Barbara, 38 femmes au total tuées par les violences masculines en 2017 (selon le blog Stop Féminicide, qui tient un terrible, mais nécessaire, décompte des victimes à partir des articles de presse). C’est ainsi qu’a débuté, en début d’après-midi, la manifestation de lutte contre les violences envers les femmes, une première en Belgique, qui a rassemblé 2.000 personnes selon la police, 4.000 selon les organisatrices. « Chaque femme est confrontée à des violences qui atteignent de près ou de loin leur autonomie », ont déclaré les organisatrices de la plateforme Mirabal Belgium, qui regroupe les quelque 100 associations, collectifs et mouvements féministes belges qui appelaient à cette manifestation. Elles ont aussi interpellé le monde politique pour qu’il « prenne ses responsabilités et des mesures concrètes. »

Dans la foule, un long fil rouge de violences créé et tenu collectivement par les femmes traverse la manifestation. Il symbolise le continuum des violences. © Vie Féminine

Dans la foule, un long fil rouge de violences créé et tenu collectivement par les femmes traverse la manifestation. Il symbolise le continuum des violences. En tête de la délégation de Vie Féminine, plusieurs femmes portent une grande banderole affichant en lettres colorées : « Il n’y a pas de petites violences contre les femmes ! » Un slogan que Lise, 30 ans, partage. Elle est là pour exprimer son « ras-le-bol » de ces violences quotidiennes sur les femmes. « J’en ai marre de me faire insulter de connasse quand je prends mon vélo, de me faire mater les fesses avec un petit commentaire… »

Lise est venue avec son compagnon : pour lui, être présent à la manifestation et « s’insurger contre des propos machistes qu’il entend dans son entourage », c’est sa manière de participer à la lutte pour les droits des femmes. « C’est nous qui commettons les crimes, c’est donc important d’être là », souligne Koen, la soixantaine passée, venu avec un ami, pour qui « le combat féministe est la cause de tout le monde. »

Certain·es manifestant·es défilent avec leurs enfants. « C’est difficile de mener une éducation féministe dans une société machiste, explique Patricia, accompagnée de ses deux garçons de 8 ans. Je leur répète souvent qu’il existe encore beaucoup de différences entre les filles et les garçons, et que les filles sont moins privilégiées. »

Sur la route, les femmes crient : « Solidarité avec les femmes du monde entier ! » Elles chantent : « Et on galère, on galère ! Mais on est fortes et on est fières ! Et pour ne pas se laisser faire, on va fout’ leur système en l’air ! »

Manuela, travailleuse dans l’humanitaire, témoigne : « Je suis au bout de la chaîne du continuum des violences, rencontrant des femmes victimes d’excision, de mariage forcé, mais la violence est partout ! Je manifeste pour les femmes du Nord et du Sud. » Manuela ne voulait en aucun cas rater cette manifestation. Pour elle, « nous sommes dans un moment historique. Suite au scandale Weinstein, la loi du silence a été brisée, dans tous les milieux. Les femmes ne se sentent plus seules. » Dans les rues bruxelloises, les femmes ont en effet montré qu’elles étaient solidaires, joyeuses, soudées et bien déterminées à briser l’engrenage infernal des violences.

Protection de la maternité : un droit en recul ?

Carte blanche de Vie Féminine – 29/11/2017

Maggie De Block voudrait limiter le nombre d’écartements du travail pour les travailleuses enceintes. Les écartements ont pour objectif de préserver la santé de la mère et de l’enfant dans certaines circonstances. Nous n’avons que très peu de détails sur ce dossier, mais nous nous inquiétons face à une nouvelle attaque contre un droit en lien avec la maternité. Les femmes n’ont pas besoin d’une responsabilité supplémentaire sur leurs épaules, avec de grands risques pour leur santé et celle de leur enfant !

CC clappstar

Nous découvrons une fois de plus par la presse une mesure que le gouvernement fédéral compte mettre en place et qui aura un grand impact sur les femmes. En effet, lors d’une interview dans La Libre Belgique, Maggie De Block, Ministre de la Santé, a réaffirmé son intention de limiter le recours à l’écartement des femmes enceintes au travail. Elle estime que l’écartement n’est pas utilisé à bon escient et qu’il a des impacts négatifs sur les femmes et évidemment sur le budget des soins de santé. Selon elle, il faudrait que les femmes aient plus souvent le « choix » de pouvoir continuer à travailler et/ou que les employeurs écartent moins souvent « d’office » les femmes enceintes.

Pour rappel, l’écartement dit « prophylactique », c’est la possibilité, pour un employeur, de permettre à une femme de changer de poste de travail ou d’arrêter temporairement de travailler si le poste de travail expose à des risques dangereux pour la santé ou celle de l’enfant (agents chimiques cancérigènes, froid/chaleur extrême, port de charges lourdes, contact de certaines maladies contagieuses, etc.). La médecine du travail est amenée à faire des constats par rapport aux risques et à proposer des mesures de protection.

La plupart du temps, dans certaines fonctions et secteurs, un aménagement du poste de travail est difficile : par exemple pour une infirmière, une puéricultrice, une ouvrière qui manipule des produits chimiques. Mais mettre l’accent sur le « choix » individuel de la travailleuse de continuer à travailler, c’est ignorer le rapport de force qui existe entre elle et son employeur. C’est ignorer aussi le contexte ambiant de responsabilisation énorme qui repose déjà sur les épaules des femmes qui vont devenir mères (santé, comportements, etc.).

Bien sûr, la grossesse n’est pas une « maladie », mais cela reste un état physique particulier qui demande une attention particulière en termes de santé. Ce droit est d’ailleurs protégé par une Convention de l’Organisation Internationale du Travail (n° 183) sur la protection de la maternité. Il est clairement mentionné que les femmes ne doivent pas être contraintes d’accomplir un travail préjudiciable pour leur santé et celle de leur enfant. Toutes ces mesures de protection doivent en outre être prises sans que cela engendre de discriminations pour la travailleuse.

Et là, on sait que ça pose problème : selon une enquête de l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, ¾ des femmes estiment avoir vécu une forme de discrimination, d’inégalité ou de préjudice en raison de leur maternité. Et toutes ces femmes sont loin de se plaindre pour avoir été écartées d’office (même si cela arrive aussi), si l’on en croit ce guide de l’Institut, Grossesse au travail.

La Ministre demande un changement d’attitude par rapport à un écartement qui serait “abusif” ? Mais ce que nous voyons, nous, c’est que l’on demande toujours un peu plus aux femmes de s’adapter au modèle masculin et de renoncer à des droits spécifiques, sans recevoir par ailleurs de vraies réponses à leur demande d’égalité, de non-discrimination ou de partage des responsabilités familiales. Et une fois de plus, cette mesure a été prise sans concertation et sans anticipation des conséquences sur les femmes au quotidien et dans leur rapport avec le monde du travail.

3 choses à savoir sur la Convention d’Istanbul

La Convention d’Istanbul est un texte du Conseil de l’Europe, l’organisation de défense des droits de l’homme au niveau européen. Elle vise à prévenir et lutter contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes et contre la violence domestique. La Belgique a signé ce texte en mars 2016, et il est entré en vigueur le 1er juillet 2016. Un texte de plus, qu’est-ce que ça change ?

Le 15 novembre 2017 à Liège, le collectif Et ta soeur ? de Vie Féminine mène une action contre les violences envers les femmes. © Marjorie Goffart

Cet article est publié dans le cadre d’un dossier spécial sur les violences contre les femmes, avec une série de témoignages et des articles de fond.

1 Elle promeut une lecture différente des violences

La Convention d’Istanbul adopte une lecture genrée des violences. Cela veut dire qu’elle reconnaît que les femmes sont massivement victimes de violences principalement parce qu’elles sont des femmes dans une société qui entretient un système de domination des femmes par les hommes, privant les femmes de leur pleine émancipation. Jusqu’à présent, la plupart des instruments internationaux de lutte contre les violences voyaient les violences faites aux femmes comme une forme parmi d’autres de violences.

Comprendre les violences dans le système qui les perpétue est indispensable pour une lutte efficace contre les violences. Qu’un texte international affirme que les femmes sont victimes de violences spécifiques est également un signal important dans un débat public qui tend à banaliser ces violences, à les considérer égales à celles vécues par les hommes et à en faire porter aux femmes une part de responsabilité. Dernièrement, c’est un colloque intitulé « la rencontre de deux souffrances », prévu à Charleroi en présence du masculiniste Yvon Dallaire qui suscitait l’indignation.

Mais ce n’est pas tout. La Convention a aussi une vision élargie des violences : physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, elles sont commises autant dans la vie publique que dans la vie privée. La Convention va jusqu’à nommer et interdire la « victimisation secondaire » : celle qui se produit lorsque les services ou institutions auxquelles une femme victime de violences s’adresse font elles-mêmes preuve de violences (parce qu’elles restent aveugles aux violences, les banalisent ou échouent à offrir soutien et protection aux femmes). Enfin, faisant écho aux dernières recherches en la matière, la Convention considère que les enfants exposé·es à la violence domestique sont aussi à protéger.

Pour finir, la Convention protège toutes les femmes et les filles de moins de 18 ans sans discrimination, y compris celles qui ont le statut de migrante ou de réfugiée. Les législations nationales leur donnent habituellement peu de droits et elles restent sans protection face aux violences, comme le relayait Human Right Watch pour la Belgique en 2012 (situation qui a peu changé jusqu’à aujourd’hui).

Le 15 novembre 2017 à Liège, le collectif Et ta soeur ? de Vie Féminine mène une action contre les violences envers les femmes. © Marjorie Goffart

2 Elle oblige à des changements concrets sur le terrain

La Convention d’Istanbul est contraignante. Elle ne produit pas des recommandations qu’un État peut décider de suivre ou non, mais des obligations que la Belgique est tenue de mettre en application. Ces obligations concernent 4 axes, aussi appelés les « 4 P » : les politiques intégrées, la prévention, la protection et soutien ainsi que les poursuites.

Cela demande des changements au niveau du droit, par la mise en conformité de certaines législations belges aujourd’hui en contradiction avec la Convention d’Istanbul. Mais aussi des changements au niveau des services de soutien et d’accompagnement offerts aux victimes. La Convention prévoit un nombre et des moyens suffisants pour les services spécialisés et refuges, qui demandent de renforcer leurs moyens actuels. Un décret qui pérennise le financement des services ambulatoires d’accompagnement des victimes de violences est d’ailleurs actuellement en cours de finalisation au sein du gouvernement wallon. L’assistance financière fait aussi partir des services à fournir aux victimes (énumérés dans l’article 20) alors que la précarité est encore malheureusement la règle (et un frein) pour les femmes quittant une situation de violence.

Les obligations questionnent également la situation des aides existantes mais en recul. Comme le cas de l’aide juridique, prévue dans l’article 57, alors que la réforme du pro deo en 2016 en a drastiquement restreint l’accès, ainsi qu’en témoigne la plateforme Justice pour tous. C’est aussi le cas de l’accès au logement alors que le logement public est insuffisant et que les femmes sont déjà, en général, les premières parmi les mal-logé·es.

Enfin, ce texte implique aussi des changements au niveau des pratiques, avec la formation de tous·tes les professionnel·les en contact avec les victimes pour un accueil adéquat. La police, notamment, est visée par l’article 50 qui indique qu’elle a le devoir de répondre « rapidement et de manière appropriée », d’« offrir une protection adéquate et immédiate » aux femmes victimes de violences. La Convention appuie donc là où la Circulaire Tolérance Zéro (visant à améliorer l’intervention du parquet et de la police dans les cas de violences conjugales) n’a connu qu’une application aléatoire depuis 2006.

La Convention crée des obligations à tous les niveaux de pouvoir en Belgique (communautés, régions et État fédéral, selon les compétences de chaque entité) et les oblige à se coordonner entre eux.

L’État belge est maintenant considéré responsable des faits de violences, au même titre que l’auteur des violences, s’il ne met pas en œuvre ce qu’il doit pour empêcher et ensuite pour poursuivre ces violences.

Surtout, en vertu de la Convention et de son principe de « diligence voulue » (article 5), l’État belge est maintenant considéré responsable des faits de violences, au même titre que l’auteur des violences, s’il ne met pas en œuvre ce qu’il doit pour empêcher et ensuite pour poursuivre ces violences.

Selon une étude sur les impacts de la Convention dans le droit belge réalisée par l’asbl Intact, une femme lésée pourrait donc invoquer la Convention d’Istanbul devant un·e juge national·e et, si elle n’obtient pas satisfaction, soumettre une plainte à la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, à ce stade, les juges belges pourraient encore demander de préciser l’interprétation des articles avant de s’en saisir. De plus, l’article de la Convention qui permet la mise en pratique de ce principe de « diligence voulue » en instituant une possibilité de recours contre l’État belge (l’article 29.2) demande une modification du droit belge. À l’intérieur des codes, cours et tribunaux, le travail n’est pas non plus terminé.

3 Elle ne se suffit pas à elle-même

La mise en application d’une convention est un processus lent. En septembre 2018, la Belgique devra remettre un rapport au GREVIO, des expert·es chargé·es de surveiller la bonne application de la Convention, qui jugeront si la Belgique remplit ses obligations.

En attendant, le Plan d’action national (PAN) 2015-2019, qui fixe la lutte contre les violences en Belgique, ainsi que les plans régionaux reprennent des objectifs qui mettent en pratique la Convention.

Quelques mesures ont été concrétisées dernièrement, comme l’établissement et le renforcement d’une ligne téléphonique « Écoute violences conjugales  » ouverte 24h/24 et une autre pour les violences sexuelles, comme le prévoyait le plan intra-francophone de lutte contre les violences sexistes et intra-familiales.

La lenteur d’application de la Convention pourrait aussi être imputée à l’invisibilisation des violences faites aux femmes.

Cependant, ces deux plans ne disent rien des budgets consacrés aux objectifs qu’ils poursuivent, ni s’ils ont été augmentés à hauteur des obligations ambitieuses de la Convention. Les plans ne précisent pas non plus toujours les modalités concrètes d’opérationnalisation des mesures, qui devrait se faire, comme le promeut la Convention d’Istanbul, en collaboration étroite avec les associations de terrain.

La lenteur d’application de la Convention pourrait aussi être imputée à l’invisibilisation des violences faites aux femmes. Lors de la signature de la Convention, le ministère des Affaires étrangères belge communiquait sur la continuation d’un travail déjà bien entamé : la Convention « incite notre pays à poursuivre ses efforts » concernant une politique de lutte contre les violences dans laquelle la Belgique s’investit « depuis de nombreuses années ». Le communiqué indique que la Belgique peut ratifier la Convention sans réserve car elle n’implique pas de modifications législatives fondamentales.

Pourtant, en Belgique, les violences faites aux femmes sont encore courantes et les suites qui y sont données sont aléatoires. Selon les chiffres compilés par Vie Féminine dans le cadre de la campagne « Brisons l’engrenage infernal », en 2014, le parquet a enregistré plus de 60.000 cas de violences entre partenaires, soit près de 170 cas par jour. En 2015, la ligne Écoute violences conjugale a reçu 2.711 appels, soit 11 appels par jour. 157 femmes ont été victimes de tentatives de meurtre dans un contexte de violences conjugales en 2013 et 119 d’entre elles en sont mortes. Dans 70 % des dossiers de violences conjugales, les plaintes sont classées sans suite ou ne font l’objet d’aucune décision, selon une étude de 2016. Ces chiffres relatent uniquement la situation des violences entre (ex-)partenaires : quid des violences psychologiques, économiques… ? Difficile de donner des chiffres, car la Belgique ne remplit pas l’obligation de l’article 11 de la Convention, qui demande des statistiques ventilées par sexe sur toutes les formes de violences. C’est d’ailleurs un objectif des plans d’action au niveau national et régional. En l’état actuel des choses, l’État belge ne semble pas voir l’ampleur des violences et des efforts à fournir.

Interpeller les pouvoirs publics sur leurs responsabilités et l’urgence de la situation semble être la prochaine étape pour que la Convention d’Istanbul ne reste pas lettre morte. Une plateforme d’associations féministes et d’organisations de terrain appelle à une manifestation nationale le 25 novembre 2017, Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes. Mirabal se saisit de la Convention dans son appel à manifester et affirme que « des efforts budgétaires beaucoup plus significatifs et durables » doivent encore être faits dans la lutte contre les violences. La Convention devient un outil au service de besoins urgents, renforçant des revendications devenues depuis 2016 des obligations des États.

L’histoire de Françoise, femme migrante victime de violences conjugales

Pour les femmes migrantes victimes de violences, la peine est double. Leur besoin de protection leur fait risquer l’expulsion. Elles sont davantage sujettes à l’isolement social et à la précarité. Françoise (prénom d’emprunt), Camerounaise mariée à un homme violent, met des mots sur cet engrenage.

© Manon Legrand pour axelle magazine

Cet article est publié dans le cadre d’un dossier spécial sur les violences contre les femmes, avec une série de témoignages et des articles de fond.

Françoise me donne rendez-vous dans un parc, au cœur d’une petite ville brabançonne, à l’abri des regards et des oreilles curieuses. Elle a décidé de témoigner parce que « la parole lui a été essentielle pour redevenir elle-même », confie-t-elle, sortie depuis peu de longues années de silence, de repli sur soi et de violences.

« Il me disait que je parlais petit-nègre »

Tout avait pourtant bien commencé, au Cameroun, dans son pays d’origine. Françoise travaille comme gestionnaire comptable, est célibataire, indépendante dans sa tête et dans sa vie. Elle rencontre sur son lieu de travail un Belge en mission. Comme tout expat’ qui se respecte, il bénéficie de nombreux avantages : belle maison, grosse voiture, train de vie confortable. Vient le jour où il doit rentrer en Belgique. Françoise l’accompagne. « J’ai directement voulu trouver du travail. J’ai toujours travaillé », explique-t-elle. Mais elle se heurte aux refus successifs. Après cinq mois, elle n’a toujours pas de boulot. « Alors qu’il était censé me soutenir, mon mari a commencé à me mépriser. Il me reprochait de ne rien faire, d’être paresseuse », témoigne Françoise. S’ajoutent les remarques racistes : « Il disait que je parlais ‘petit-nègre’, que je devais corriger mon accent, m’intégrer, manger des chicons. J’avais honte de parler en public. »

La protection au prix de l’expulsion

Après sept mois sans aucune réponse positive à ses multiples lettres de motivation, elle décide de reprendre le chemin des études. Dans le foyer, les violences se poursuivent. Et s’aggravent. Son mari joue la carte du chantage sur les papiers : « Je te remets dans un avion », répète-t-il sans cesse.

Le cas de Françoise est emblématique de la situation des femmes migrantes victimes de violences conjugales ou intrafamiliales qui subissent la violence sans pouvoir y échapper, de peur de se voir retirer leur titre de séjour. En effet, une personne qui rejoint son conjoint par la procédure de regroupement familial a, pendant cinq ans, un droit de séjour dépendant de la relation (et de la cohabitation) avec sa/son conjoint·e.

« La loi crée une situation de dépendance administrative entre conjoints/partenaires qui est particulièrement problématique lorsqu’il existe au sein du couple ou de la famille une situation de violences conjugales ou intrafamiliales. Le titre de séjour étant dans ces cas-là utilisé comme outil de domination par les auteurs de violence », dénonce le CIRÉ dans un rapport sur la question.

L’association spécialisée sur la question des demandeurs/euses d’asile, des réfugié·es et des étrangers/ères avec ou sans titre de séjour souligne les multiples limites des clauses de protection existantes « qui empêchent souvent une protection effective des victimes de violences ». Notamment l’obligation de dénoncer les violences avant de quitter le domicile (beaucoup de femmes quittent d’abord leur domicile pour se protéger, avant de se rendre compte qu’elles ont ainsi perdu leurs droits), ou encore l’exclusion de ces clauses de protection des personnes dont la demande de regroupement familial n’a pas encore été introduite ou dont la demande est encore en cours de traitement (le délai est souvent long).

Pour que ces clauses puissent s’appliquer, les preuves de violences doivent, en plus, être apportées mais, souligne le CIRÉ, « beaucoup ont peur, vu la précarité de leur séjour et/ou la peur des représailles, de quitter le domicile conjugal et de s’adresser aux services de police pour porter plainte ». Le rapport souligne aussi que « la menace de dénoncer un mariage de complaisance est régulièrement utilisée par les auteurs de violence pour maintenir leur domination sur leur victime et les empêcher de quitter le domicile ».

Françoise le confirme, son mari ayant souvent brandi la menace du « mariage gris ». Elle a bien sûr pensé à rentrer, ayant au Cameroun une situation confortable, ce qui n’est pas le cas de nombreuses femmes migrantes en Belgique. « J’avais peur du qu’en-dira-t-on. Qu’est-ce que ma famille dirait ? Qu’est-ce que j’allais pouvoir expliquer à mon père ? Du coup, je suis arrivée au niveau où je me mettais à genoux pour lui dire pardon… »

Mépris conjugal et social

Arrive le jour où elle attend un enfant. Aux violences psychologiques s’ajoutent les gifles. « Dès que je donnais mon point de vue, il m’infligeait une gifle. » Il contrôle son agenda, gère son argent. « Moi qui avais toujours été indépendante financièrement, qui n’avais jamais connu la précarité, je me retrouvais à devoir remplir une carte pour justifier l’achat d’un manteau d’hiver en brocante, et me faisais traiter de profiteuse », confie-t-elle. Pour gagner une certaine autonomie financière, elle va – à contrecœur – au CPAS dont elle s’était juré pourtant de ne jamais dépendre. Au CPAS, on lui dit de travailler comme aide-soignante. « J’ai un background universitaire et on me propose ce métier parce que je suis noire. Je n’avais déjà pas de reconnaissance de la part de mon mari, et je suis tirée vers le bas par une assistante sociale pleine de préjugés », dénonce Françoise, encore choquée.

« J’ai repris le pouvoir »

Isolée de tous, en dépression profonde et envahie d’idées noires, elle a envie de disparaître. Une amie, l’une de ses seules connaissances dans sa ville, lui conseille l’association Vie Féminine. Là-bas, Françoise trouve un espace sûr. « Au début, je n’osais pas parler de mes problèmes. Je pensais toujours que c’était de ma faute, que je ne faisais pas assez d’efforts. C’est en entendant d’autres femmes que j’ai osé me confier ». Elle commence une thérapie. « J’ai retrouvé confiance, repris le pouvoir, eu le courage de dire que j’allais partir. »

Son mari lui fait alors part de sa volonté d’avoir la garde exclusive de leur enfant. Elle se demande comment elle peut s’en sortir, toujours sans travail. Elle restera finalement. Mais insoumise. « J’ai décidé de ne plus rien négocier, de ne plus devoir prouver l’impossible et ça marche », dit Françoise, bien décidée à ne plus jamais se taire. Et de partager sa citation préférée : « Un peuple opprimé finit toujours par se rebeller… »

L’histoire de Rouguiatou, victime d’excision et de violences conjugales

Rouguiatou (prénom d’emprunt), victime d’excision, a fui son pays natal il y a deux ans. Elle est aujourd’hui en procédure d’asile, après s’être séparée de son mari violent.

© Manon Legrand pour axelle magazine

Cet article est publié dans le cadre d’un dossier spécial sur les violences contre les femmes, avec une série de témoignages et des articles de fond.

« On ne m’écoute pas, on ne m’a jamais écoutée. Jamais. En Afrique et ici. Je suis fatiguée », assène Rouguiatou, épuisée et en colère. Cette jeune femme de trente ans vit actuellement dans un centre pour demandeurs/euses d’asile à Liège, dans l’attente de la décision quant à un recours introduit contre un premier avis négatif. Nous la rencontrons dans une maison médicale bruxelloise. Elle vient y soigner les séquelles d’une « tradition aiguisée », comme elle la nomme, dont 200 millions de femmes sont victimes dans le monde, dont en Belgique  : l’excision.

Une douleur incessante

Vingt-quatre ans plus tard, elle n’a rien oublié de ce jour. « J’avais environ six ans. Mes parents et toute ma famille m’ont annoncé qu’une fête serait tenue et que je serais au centre de cette fête. Je me réjouissais de cet événement dont tout le monde me parlait, mais j’ignorais complètement ce qui allait m’arriver. On me présentait cela comme une fête pour enfants. Toutes les filles ont été appelées à courir derrière la maison familiale. Je courais avec joie. C’est là que les vieilles femmes nous ont attrapées une à une et nous emmenées derrière des pagnes. J’ai été déshabillée de force. D’un coup de lame de couteau, ma grand-mère maternelle m’a blessé l’entrejambe, m’a coupée. Elle m’a très vite rhabillée d’un pagne enroulé comme un lange entre mes jambes. J’ai dû sortir de la case avec un collier autour du cou, le signe que c’était fait, que j’avais été excisée. Ma communauté se réjouissait pendant que moi, je me tordais de douleur et que le sang coulait. »

• La photographe belge Virginie Limbourg a réalisé un reportage en Guinée, à la rencontre de femmes, d’enfants et d’exciseuses impliquées dans la perpétuation de la pratique, ou soulagées d’avoir abandonné. 

Cette douleur, Rouguiatou la ressent toujours aujourd’hui : « Chaque mois, mes règles sont douloureuses. J’ai des démangeaisons constantes. Faire l’amour… n’en parlons pas. » Par ailleurs, en plus des conséquences physiques, les conséquences psychologiques liées au traumatisme sont aussi une cause importante de souffrances pour les femmes excisées.

Une histoire de violences

L’histoire de Rouguiatou est marquée depuis sa naissance par la violence et par l’absence de protection de la part de son entourage, de la société et des États. D’abord, en Guinée, la violence paternelle. Rouguiatou reçoit des coups. Sa mère aussi. « Ma mère avait peur, elle ne m’a jamais soutenue, elle n’a jamais osé dénoncer mon père. La violence conjugale est très répandue en Guinée, elle provient des mariages forcés, de la culture machiste mais aussi des problèmes intimes liés aux excisions. Elle dure depuis des siècles et personne ne s’y oppose », déplore la jeune femme.

En 2015, Rouguiatou décide de fuir son pays, seule, par voie légale : elle se marie à un homme déjà installé en Belgique. « J’ai quitté la violence et je suis rentrée dans la violence », explique-t-elle. Car son mari, « gentil » dans les courriers que le couple s’échangeait à distance, s’avère être un homme violent. « Il savait où me frapper, ou plutôt où ne pas me frapper. Il ne me frappait jamais au visage. Il me forçait à avoir des relations sexuelles alors qu’il savait très bien ce que j’avais connu. Lui non plus ne m’écoutait pas, comme mon père en Afrique. J’ai demandé plusieurs fois à la police : où sont les droits des femmes, ici, en Belgique ? Je ne les ai toujours pas trouvés… », dénonce-t-elle.

Avis négatif

Le mari de Rouguiatou finit par la mettre dehors, change de serrure et va dénoncer un « mariage blanc » à l’Office des Étrangers. Rouguiatou se retrouve donc sans papiers et sans toit durant trois mois. Jusqu’à être dirigée vers un centre de demandeurs/euses d’asile dans la Province de Liège. La Croix-Rouge lui recommande aussi de contacter le GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines), qui accompagne les victimes d’excision et sensibilise les professionnel·les et le grand public à la question.

Rouguiatou entame une procédure d’asile et essuie un premier refus. Le risque d’excision constitue un motif d’octroi du statut de réfugiée. En revanche, si les femmes ont déjà été excisées, la Belgique considère qu’il n’y a plus de risque si elles sont renvoyées dans leur pays… La question des mutilations sexuelles demeure peu connue parmi les professionnel·les de la santé et de l’immigration.

Rouguiatou sera fixée sur son sort en janvier. Entendra-t-on sa détresse ? « On ne m’écoute, pas on ne m’a jamais écoutée. Jamais. En Afrique et ici. Je suis fatiguée », répète-t-elle encore et encore.