Manuel à l’usage des femmes de ménage

On a savouré La conjuration des imbéciles, le roman de John Kennedy Toole non paru de son vivant, devenu l’un des classiques de la littérature humoristique américaine. Manuel à l’usage des femmes de ménage, compilation posthume de nouvelles de Lucia Berlin, écrivaine américaine décédée en 2004, pourrait aussi figurer au panthéon des chefs-d’œuvre publiés après la mort de leurs auteur·es. Il a fallu attendre 2015 et l’édition de cette anthologie aux États-Unis pour que le talent de Lucia Berlin soit révélé au grand jour. Ne vous fiez surtout pas au titre (et à la couverture rose), car ce livre n’est en rien un recueil d’astuces pour effacer les taches tenaces sur le linge.

Lucia Berlin s’inspire de sa vie aussi rocambolesque que romanesque pour construire chacune de ses nouvelles. Et il y a de la matière : mariée trois fois, mère de quatre garçons, elle fut tour à tour infirmière aux urgences, prof d’espagnol, femme de ménage ou standardiste, entre le Texas, Santiago du Chili, Mexico et New York. D’une plume trépidante et délurée, elle décrit ses rencontres avec un Indien alcoolo dans un lavomatique, ou une migraineuse affabulatrice aux urgences. Passant du comique au tragique avec virtuosité, elle nous conte aussi l’histoire de Lou qui va avorter clandestinement au Mexique ou encore l’insomnie d’une mère alcoolique en manque, un épisode aux relents très autobiographiques puisque Lucia Berlin a souffert de longues années d’addiction à l’alcool.

Au fil de la lecture de ces 43 nouvelles, qui sont autant d’instantanés de son existence que de saisissantes traces de l’Amérique des années 1950 à 80, on ne peut que confirmer ce qu’écrit Lydia Davis en préface de l’ouvrage : « Le cerveau travaillant, le cœur palpitant – c’est dans cet état-là qu’il nous plaît d’être quand nous lisons. » (M.L.)