Stature et nourriture : à la table des inégalités

L’anthropologue et féministe française Françoise Héritier est décédée le 15 novembre dernier. Mais son travail visionnaire et engagé n’a pas fini de faire parler de lui. CC Ji-Elle

Priscille Touraille est une socio-anthropologue française. Selon les études qu’elle a menées, les mâles Homo sapiens – de même que leurs ancêtres – se seraient, sur des milliers de générations, approprié les aliments les plus riches et les plus nutritifs au détriment des femelles. Cette inégalité pourrait être la cause principale de l’écart de taille entre les femmes et les hommes, entre 6 et 18 cm en moyenne suivant les populations. Cette différence est, pour la chercheuse, un paradoxe : logiquement, les « femelles », qui portent l’évolution de l’espèce vers une taille de plus en plus grande, « devraient être plus grandes, ou au moins aussi grandes que les hommes », expliquait-elle récemment à RFI dans un article très fouillé sur le sujet, paru à l’occasion de la Journée internationale contre les violences envers les femmes. Or, en scrutant l’évolution, on s’aperçoit que les femmes n’ont pas eu les ressources nécessaires pour grandir selon les besoins de l’espèce.

Priscille Touraille, malgré les réticences et les oppositions qu’elle a rencontrées parmi ses collègues, a donc enquêté sur toutes les théories scientifiques qui pourraient expliquer la différence sexuelle de stature : « Du point de vue des sciences de l’évolution, il n’y avait pas d’hypothèse convaincante. […] D’autre part, il existe une inégalité sociale structurelle établie par les anthropologues dans toutes les sociétés connues. »

La Française Françoise Héritier, anthropologue et féministe, disparue le 15 novembre dernier, avait précisément établi cette inégalité dans la consommation de viande, depuis son Auvergne natale jusqu’au Burkina Faso, en passant par tous les continents. Quant à l’Italienne Paola Tabet, elle a démontré que si les hommes s’étaient imposés comme les « chasseurs » et que l’usage des armes avait été interdit aux femmes dans les sociétés primitives de « chasseurs-cueilleurs », c’était principalement pour que les femmes ne puissent pas se procurer de viande par elles-mêmes…

« S’il n’est plus biologiquement nécessaire pour les femmes occidentales d’être de grande taille, conclut Priscille Touraille dans l’article, la violence de l’idée selon laquelle les hommes doivent être « naturellement » plus grands, elle, perdure. »