L’histoire de June, victime d’inceste

June (prénom d’emprunt) a été victime d’inceste. Un crime odieux et répandu, que la société passe sous silence.

© Manon Legrand pour axelle magazine

Cet article est publié dans le cadre d’un dossier spécial sur les violences contre les femmes, avec une série de témoignages et des articles de fond.

 « C’est difficile de s’en remettre. Je garde l’espoir d’être plus libre en moi, mais il y aura toujours une cicatrice. » C’est par ces mots que June commence son histoire.

Cette femme en fin de trentaine a été victime d’inceste durant son enfance, un crime étouffé pourtant très répandu. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 20 % des femmes et 5 à 10 % des hommes disent avoir subi des violences sexuelles dans leur enfance, et 25 à 50 % des enfants révèlent avoir été maltraité·es physiquement. L’OMS note aussi que 70 à 80 % de ces actes sont commis par des proches.

Long silence

June a subi des agressions sexuelles par son demi-frère durant son enfance. « Je ne savais pas ce que c’était… Je pensais que c’était normal. Jusqu’à mes douze ans, où je me suis rendu compte que ça ne l’était pas et je lui ai demandé d’arrêter. Il ne m’a plus jamais touchée », témoigne-t-elle.

Elle a gardé le silence. Longtemps. « Si je disais quelque chose à ma mère ou à mon père, ma famille volait éclats… » Et de confier qu’il faut comprendre l’ambivalence des sentiments des victimes d’inceste : « Entre l’amour, parce que c’est quand même mon demi-frère, quelqu’un qui est censé vous aimer et vous protéger, et la haine, parce qu’il a foutu ma vie en l’air. »

Lily Bruyère, coordinatrice de SOS Inceste, nous expliquait dans un dossier d’axelle consacré à ce sujet (n° 189) : « Les victimes osent rarement parler, par honte ou culpabilité. Parler, pour une victime d’inceste, semble toujours à haut risque. C’est souvent au terme de longues années de silence que les victimes commencent à s’exprimer et sortent de l’état de “mortes-vivantes” dans lequel beaucoup d’entre elles confient être. » L’asbl SOS Inceste écoute, accompagne et soutient les victimes d’inceste au travers de permanences téléphoniques, d’entretiens individuels ou de groupes de parole.

Reconnaître la violence

Lorsque June tombe enceinte de sa fille, il y a dix ans, elle en parle à son mari, « sans rentrer dans les détails », mettant fin à plus de vingt ans de silence total. Il est alors le seul au courant. Pour le reste de sa famille, June reste muette et garde même des contacts avec son demi-frère. Jusqu’à ce coup de téléphone de sa sœur il y a quelques années, lui confiant que leur demi-frère s’en serait pris à son neveu. « Pour moi, je pouvais le gérer, mais pas pour mon filleul », explique June, qui décide d’aller sur le champ, avec sa sœur, déposer plainte. Pour son cas à elle, il y a prescription. C’est donc à son neveu de porter plainte mais « c’est très compliqué pour lui de parler », explique-t-elle. « Cette prescription, c’est comme si on passait à la trappe… », regrette June.

Les règles juridiques et le tabou social qui entourent l’inceste sont ressentis comme une violence supplémentaire pour les victimes. Il y a quelques mois, June doit arrêter son boulot pour cause de burn-out. « On a d’abord cru que c’était à cause du travail. Mais en fait, mon passé a ressurgi, de nouveaux éléments me sont revenus en mémoire au cours de mon travail psychologique. Je ne peux pas dire à mon boulot que je suis victime d’inceste. Pour eux, je souffre “juste” d’un burn-out… », explique-t-elle.

Pour June, il faut que le crime d’inceste soit reconnu sur le plan juridique, mais aussi de la santé publique : « J’ai vécu cette terrible violence, je souffre encore de cette violence sourde et aux yeux de la société, je ne suis pas reconnue, je n’ai pas de statut. Les séances psychothérapeutiques, par exemple, sont davantage remboursées pour certaines maladies, pas pour l’inceste. J’aurais déjà pu m’acheter une maison ! »

L’association SOS Inceste plaide pour un allongement du délai de prescription et une reconnaissance des conséquences dramatiques (tant physiques que psychologiques, à court et long terme) de l’inceste sur les victimes, que l’association française Mémoire Traumatique et Victimologie n’hésite pas à qualifier, dans un rapport, de « situation d’urgence sanitaire et sociale ».

Oser en parler

Aujourd’hui, June est hantée par le fait que son agresseur puisse encore sévir. « Je ne peux rien faire contre ça, ça me met en rage. » Elle devient rouge de colère quand elle entend ou lit dans les médias des crimes commis en toute impunité. À l’instar de l’acquittement, récent, d’un homme jugé pour viol sur une fillette de onze ans sous prétexte qu’elle était « consentante ».

En France, aucune loi ne fixe un âge en-dessous duquel un·e mineur·e serait présumé·e non consentant·e à un acte sexuel). En Belgique, toute relation sexuelle avec un·e mineur·e de moins de 16 ans est d’office considérée comme « attentat à la pudeur ». Il y a viol si on prouve qu’il n’y a pas de consentement. Pour les moins de 14 ans, c’est d’office un viol. « Je ne dis pas du tout que la prison est la solution. Mais que soit au moins assuré le suivi des plaintes des victimes ! », insiste June.

Pour survivre, June se bat pour sortir l’inceste du tabou. C’est la raison pour laquelle elle accepte, pour la première fois, d’évoquer son histoire à une journaliste, une personne extérieure. Elle a aussi participé à la rédaction de la brochure « L’inceste, on peut en parler ! », avec l’asbl SOS Inceste. « J’ai mon mari, ma fille et mes amis qui me soutiennent. Mais aussi cette brochure. C’est ma fierté, ma revanche, c’est une façon de dire aussi que je me bats et d’encourager les victimes à se battre et à se reconstruire », conclut-elle, tenant fièrement la brochure entre ses mains.