Le périnée est politique !

Par Hors-série N° / p. Bonus web • Juillet-août 2017

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SantéSexualité

Zone du corps méconnue ou peu investie par les femmes, le périnée est entouré de tabous et de représentations négatives. Certaines décident pourtant de le (re)découvrir et en ressentent les effets sensibles et bénéfiques sur leur corps et leur santé.

© Julie Joseph

Périnée, du grec peri naos, autour du temple, ou peri ineo, autour de l’entrée… Les encyclopédies médicales utilisent peu les images symboliques pour décrire cette partie du corps située entre l’anus et le vagin, nichée dans l’intimité des femmes. “Le périnée est toujours au cœur d’un discours technique et anatomique. Les médecins et les biologistes attribuent au périnée des rôles purement fonctionnels, notamment dans l’accouchement et la procréation. Il n’est jamais relié à la sexualité”, observe Catherine Markstein, docteure féministe, cofondatrice de l’asbl Femmes et Santé.

Le périnée est toujours au coeur d’un discours technique et anatomique.

“Tout ce qui a trait au corps ou à la sexualité est entouré de tabous. Si notre époque est moins prude qu’auparavant, il existe toujours une ambiance répressive quand il s’agit de découvrir les plaisirs du corps. Les jeunes femmes ont plus de difficultés à explorer leur sexualité que les garçons, surtout si elles ne se masturbent pas”, analyse de son côté Rina Nissim, naturopathe suisse, pionnière en Europe du mouvement pour l’autodétermination des femmes en matière de santé.

Périnée et douleurs

“Les médecins inculquent aux femmes l’idée que le périnée doit être “réparé”, “rééduqué” après l’accouchement”, constate Catherine Markstein. Elle dénonce l’approche technique du corps des femmes et l’infantilisation des femmes, emblématiques du patriarcat médical. “On leur dit que la rééducation est importante pour leur sexualité future, ou pour éviter l’incontinence.” Le périnée est donc entouré de représentations négatives et relié à un vécu douloureux, voire honteux, pour de nombreuses femmes. Et c’est sans parler de l’épisiotomie, l’acte chirurgical qui consiste à cisailler le périnée durant l’accouchement pour faciliter la sortie du bébé – “un acte trop systématique”, considère Catherine Markstein qui n’hésite pas à le qualifier de “mutilation”. Elle s’indigne : “Ces discours méprisants dévalorisent la capacité des femmes à connaître leur corps ; beaucoup d’entre elles pensent que le périnée est un endroit raide entre l’anus et le vagin. On oublie qu’il a une fonction de plaisir et de santé !”

© Julie Joseph

Renverser la mélodie

Loin des hôpitaux où elles se sentent malmenées et incomprises, des femmes organisent des séances collectives et participatives pour mieux appréhender leur corps, leur santé et leur sexualité. Ce mouvement d’autonomie, né à la fin des années soixante aux États-Unis, s’est particulièrement développé en Allemagne et en Suisse. “L’autonomie s’acquiert aussi par la connaissance. Mieux comprendre la santé, la maladie et les processus de guérison, c’est peut-être plus facile collectivement”, nous explique Rina Nissim. Ces “groupes de conscience” ou “groupes de parole”, comme elle les appelle, sont l’occasion d’associer les termes de “plaisir”, de “santé”, de “sensation” au périnée, à tous les stades de la vie des femmes. “On veut renverser la mélodie ! On sort du discours sur le périnée autour de l’accouchement. On explique que le périnée est une région merveilleuse, en intersection avec un ensemble de tissus musculaires, confie Catherine Markstein. Il forme un hamac pour soutenir le plancher pelvien. Il soutient notre colonne vertébrale. Il n’est pas un endroit technique mais vivant, la source de notre vitalité !” Autant d’images et de symboles qui changent des planches anatomiques souvent incompréhensibles…

Prendre sa santé en main

“Chaque femme a son histoire, parfois violente. À partir du moment où nous nous réapproprions notre périnée comme un ensemble de muscles sources de plaisir et de confort, des expériences joyeuses peuvent refaire surface”, poursuit Catherine Markstein. Et Rina Nissim d’insister sur la dimension du plaisir lors de ces rencontres : “Si nous abordons le problème de manière frontale, que nous analysons d’emblée l’oppression, ça coince. Autant le prendre à la rigolade, avec plaisir. Dédramatiser…” Un changement de paradigme qui passe aussi par un nouveau vocabulaire. “Le périnée est selon moi une appellation anatomique, analyse Rina Nissim. Je l’utilise donc uniquement quand je parle de posture ou de musculation. Dans ma pratique quotidienne, je préfère parler de vagin, de vulve, d’ovaires… Des termes plus politiques qui renvoient au plaisir et à la sexualité. Je leur donne même une voix et une vie. Je les anime !”

On se dégage de l’emprise des médecins, des familles, de tous ceux “qui savent mieux que nous”. On prend notre santé en main !

De la parole, les femmes passent aussi à l’action, à travers le mouvement du self-help – qu’on peut traduire par “s’aider soi-même, auto-assistance, entraide entre femmes”. Ce mouvement comprend notamment la pratique de l’auto-examen gynécologique. “On veut sortir du privé, partager les expériences, briser les solitudes, explique Rina Nissim, on ose regarder comment on est faites, on laisse tomber les tabous qui envahissent l’imaginaire collectif, on se dégage de l’emprise des médecins, des familles, de tous ceux “qui savent mieux que nous”. On prend notre santé en main !”, conclut-elle.

Article initialement publié dans axelle n° 173 en novembre 2014 et mis en ligne à l’occasion de la sortie du numéro hors-série juillet-août 2017.

À lire sur le sujet

L’article “Le périnée, dernier tabou de l’intimité”.