L’histoire de Valentine, victime de viol

Le scandale Weinstein, qui a mis en lumière le harcèlement sexuel et les viols commis par ce producteur américain jusqu’il y a peu acclamé dans le monde du cinéma, a libéré la parole des femmes et mis en lumière une violence dramatiquement banale : le viol. Valentine témoigne, pour axelle, du viol qu’elle a subi.

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Cet article est publié dans le cadre d’un dossier spécial sur les violences contre les femmes, avec une série de témoignages et des articles de fond.

La législation belge définit le viol comme une pénétration sans consentement. Si l’on se fie à cette définition, « toutes les femmes sont violées au moins une fois dans leur vie, affirme Valentine. Le viol est encore souvent vu comme une agression par un homme extérieur, un inconnu, dans une ruelle sombre et par temps froid, observe-t-elle, mais c’est beaucoup plus large, si l’on s’en tient à la définition légale. Les femmes sont violées dans tous les milieux, par tous types d’hommes, avec des pénis, des doigts ou des objets. Et s’il y a bien un viol qui reste tabou, c’est le viol conjugal. »

« C’est du viol »

Le viol dont Valentine a été victime remonte à ses dix-neuf ans. Elle est en couple depuis trois ans avec un garçon d’un an de plus qu’elle, « un jeune homme très influencé par le porno, issu d’une famille patriarcale où l’on distinguait nettement les hommes et les femmes. » Un jeune gars banal.

C’est avec lui qu’elle a ses premiers rapports sexuels. Plus de trente ans plus tard, Valentine raconte qu’il n’était « pas du tout attentif au corps de l’autre. » Un jour, elle se réveille en pleine nuit et le sent en elle. « J’ai voulu le repousser mais c’était impossible, il était trop fort », raconte-t-elle. S’ensuit une dispute où il lui jette un objet au visage et menace de la frapper. « Je ne trouvais pas cela normal, mais à l’époque, je replaçais cet événement dans un continuum de fatalités », se souvient-elle, confiant que c’est bien plus tard qu’elle comprend que « c’est un viol », en lisant la définition juridique de l’acte.

« Aujourd’hui encore, je ne serais pas étonnée que de nombreux hommes, et peut-être aussi des femmes, me disent : Ce n’était pas un viol », témoigne celle qui est devenue depuis militante féministe. « Quand je raconte cette histoire, je vois beaucoup de filles changer de couleur, poursuit-elle. Les femmes qui ont été violées savent que quelque chose ne va pas, mais elles ne se réalisent pas tout de suite qu’il s’agit d’un viol. Par exemple, une amie m’a raconté que lors d’une fête étudiante, un homme avait mis ses doigts dans sa culotte tellement fort qu’il l’a pénétrée. Elle ne s’est pas rendu compte que c’était un viol, mais elle ne l’a jamais oublié. Je rencontre aussi des femmes qui me racontent ce que leur a fait leur mari et réalisent qu’il s’agit de viol. »

Consentir, c’est céder

Comme le soulignent Valentine et de nombreuses féministes, un gros problème réside autour de la notion de consentement. Le consentement présuppose un rapport égal alors que femmes et hommes sont au cœur d’un rapport de domination. Pour Valentine, « le consentement consiste à dire “oui” à une personne de l’extérieur, mais la vraie question à se poser est “Pourquoi les femmes consentent-elles ?” : Pour avoir la paix ? Pour de l’argent ? Les femmes qui se prostituent ne consentent pas parce qu’elles désirent leurs clients, mais parce qu’elles ont besoin d’argent. En fait, ce n’est pas aux femmes dire “oui” ou “non”, mais c’est aux hommes de ne pas agir comme si tout leur était dû dans la sexualité. Et ça, il faut l’apprendre aux petits garçons. »

Pour Valentine, c’est la question du désir qui doit être remise au centre. « Il faut défendre la notion du désir mutuel, et du plaisir, il est là, le combat politique », argumente-t-elle. Et de reprendre les paroles d’une amie : « Consentir c’est céder, ce n’est pas désirer. »

Trente ans après ce viol, Valentine ne constate pas beaucoup d’améliorations dans la société. « De manière générale, les hommes pensent qu’ils possèdent le corps des femmes. Cela va du bisou volé, et donc imposé, à l’agression et au viol. Dans tous les milieux, par tous les hommes. » Elle en appelle à la nécessité d’un État « qui protège les victimes, qui punisse les violeurs et, parce que ça arrive aussi, qui ne mette pas en danger les hommes qui s’insurgent contre le viol, soulignant que malheureusement « des hommes qui font partie du pouvoir judiciaire commettent aussi des viols… »

Trêve de 24 heures sans viol

« La proposition d’Andrea Dworkin est plus que jamais contemporaine », insiste Valentine. Cette féministe américaine décédée en 2005 avait appelé, lors d’un rassemblement d’hommes se disant « antisexistes » en 1983, à «  une trêve de 24 heures durant laquelle il n’y aura pas de viol » , seule condition, selon elle, pour une égalité réelle.

Dans son discours, Andrea Dworkin déclarait : « Je veux un jour de répit, un jour de pause, un jour au cours duquel de nouveaux corps ne s’amoncelleront pas, un jour au cours duquel aucune nouvelle agonie ne s’ajoutera aux anciennes, et je vous demande de me le donner. Et comment pourrais-je vous en demander moins – c’est si peu. Et comment pourriez-vous m’en offrir moins – c’est si peu. Même dans les guerres, il y a des jours de trêve. Allez-y et organisez une trêve. Faites obstacle à votre camp pour un jour. Je veux une trêve de 24 heures durant laquelle il n’y aura pas de viol. »

Un slogan à crier haut et fort pour la manifestation du 25 novembre ? « Une exigence à poser : celle d’une trêve infinie », défend Valentine avec fermeté.

Pour aller plus loin

Une définition 

• Le Code pénal définit le viol comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas » (article 375). Un « viol » au sens juridique du terme, c’est donc une pénétration sexuelle en l’absence de consentement de la victime.

• « Il n’y a pas consentement notamment lorsque l’acte a été imposé par violence, contrainte ou ruse, ou a été rendu possible en raison d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale de la victime » (article 375, al. 2 du Code pénal).

• Le viol relève de la compétence de la cour d’assises car il constitue un crime depuis 1989. Mais dans la grande majorité des affaires, le viol est « correctionnalisé » (requalification en délit) et relève donc du tribunal correctionnel.

Quelques chiffres 

• Pas moins de 18 viols seraient commis par jour en Wallonie, selon une estimation de 2016 de l’IWEPS, l’institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique.

• 2/3 des viols ont lieu dans la sphère intrafamiliale, rapporte l’association SOS Viol.

• Dans les affaires de viol, 97 % des suspects sont des hommes et la moitié des victimes sont mineures d’âge (53 %).

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