Qu’est-ce qui vous enthousiasme actuellement ?
De nature, je suis enthousiaste et définis l’enthousiasme comme une puissance qui met en mouvement. Un mouvement pour transformer le réel. Et cette transformation, que je vis dans la vie associative et dans la pratique artistique, m’enthousiasme à son tour ! En ce moment, c’est la création d’une COLLECTIVE du 7e art qui rassemble les femmes réalisatrices de la Communauté française qui m’enthousiasme. Un combat collectif pour la parité dans les secteurs de la culture ! Sur le plan artistique, c’est aussi tout ce qui est en devenir dont je ne connais pas le résultat. Ce saut dans l’inconnu est toujours un mélange d’angoisse et d’excitation. Et enfin, c’est la rencontre de gens nouveaux, avec des univers et des expériences de vie autres que les miennes, qui m’emmène ! Pour moi, un jour sans enthousiasme est un jour perdu.
Quelque chose à pointer du doigt dans votre métier ?
C’est le courage, le fait d’y croire, la détermination, le fait de dépasser les blessures et recommencer. Être cinéaste est un sport de combat et je connais bien des femmes de talent qui n’ont pas « tenu ». Le système de financement et de distribution est devenu très arrogant. Il est de plus en plus sélectif. Les coups sont durs et les œuvres fragiles qui ne collent pas aux critères de l’industrie sont de moins en moins soutenues, de moins en moins visibles. Or, la singularité du cinéma en Communauté française, vient de cette multitude de regards, de ces modes de fabrication qui s’inventent. La tendance généralisée à vouloir appliquer des modèles qui sont ceux du libéralisme enferme et réduit. Cette idéologie dominante a un impact sur la prise de risque, la richesse des tentatives, la richesse des écritures.
Un moment d’indignation : envers qui, envers quoi ?
Je ne supporte pas le sort que nos pays réservent aux migrants ! Je trouve que la politique des Jambon et Francken est criminelle et sans limites. J’ai halluciné de voir les rafles policières au parc Maximilien le matin même d’une distribution de sacs de couchage offerts par la population. J’ai pleuré de voir les couvertures et les sacs de ces naufragés du monde jetés à la déchèterie de Bruxelles-Propreté. Il m’apparaît simplement odieux que la solidarité se retrouve dans la liste des délits. Comme ces passagers et passagères inculpés pour s’être opposés à l’expulsion d’un ressortissant camerounais en août 2016 dont le procès continue !
Avec qui, avec quoi vous sentez-vous en lien ?
Je me sens en lien avec celles et ceux qui peuvent manifester de la joie de vivre et se montrer sans masque. Je me sens en lien avec celles et ceux qui se révèlent de manière simple, dans leur vérité brute, à cœur ouvert et sans peur. Dans un besoin de sincérité, sans détour.
Qu’est-ce qui titille votre curiosité ?
Tout ce que je ne connais pas et qui me propose de quitter mon confort tant intellectuel que matériel !
Originaire du Borinage, Bénédicte Liénard a suivi des cours de réalisation à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD) de Louvain-la-Neuve. Une fois diplômée, elle travaille comme assistante sur les tournages de Raoul Ruiz, Raymond Depardon, les frères Dardenne. Elle réalise aussi ses premiers documentaires, notamment Tête aux murs (1997) sur quatre adolescent·es placé·es en institution par le juge. En 2002, la cinéaste sort son premier long métrage de fiction, Une part du ciel qui sera présenté dans de nombreux festivals (Cannes, Toronto, New York…). Le film explore des lieux d’enfermement (l’usine et la prison), en se focalisant sur Claudine et Joanna, deux fortes têtes qui refusent toute forme de compromis. Dix ans plus tard, Bénédicte Liénard renoue avec le documentaire et signe une œuvre autobiographique, plus intime, D’arbres et de charbon. Elle réalise également plusieurs films à quatre mains avec Mary Jiménez : Sobre las brasas (2013) ou encore Le chant des Hommes (2016). Cette fiction relate la grève de la faim entamée par un groupe de migrant·es réfugié·es dans une église. Toujours avec Mary Jiménez, elle prépare actuellement Madre del oro, un documentaire sur l’exploitation sexuelle d’une adolescente au Pérou. Depuis plus de dix ans, Bénédicte Liénard enseigne le cinéma à l’IAD. Elle figure aussi parmi les 125 réalisatrices belges qui, en réaction à l’opération 50/50 de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dénoncent la sous-représentation des femmes dans le cinéma et réclament la parité.
Petit plus : lire ce portrait de Bénédicte Liénard ou voir cette interview.