L’histoire de Rouguiatou, victime d’excision et de violences conjugales

Rouguiatou (prénom d’emprunt), victime d’excision, a fui son pays natal il y a deux ans. Elle est aujourd’hui en procédure d’asile, après s’être séparée de son mari violent.

© Manon Legrand pour axelle magazine

Cet article est publié dans le cadre d’un dossier spécial sur les violences contre les femmes, avec une série de témoignages et des articles de fond.

« On ne m’écoute pas, on ne m’a jamais écoutée. Jamais. En Afrique et ici. Je suis fatiguée », assène Rouguiatou, épuisée et en colère. Cette jeune femme de trente ans vit actuellement dans un centre pour demandeurs/euses d’asile à Liège, dans l’attente de la décision quant à un recours introduit contre un premier avis négatif. Nous la rencontrons dans une maison médicale bruxelloise. Elle vient y soigner les séquelles d’une « tradition aiguisée », comme elle la nomme, dont 200 millions de femmes sont victimes dans le monde, dont en Belgique  : l’excision.

Une douleur incessante

Vingt-quatre ans plus tard, elle n’a rien oublié de ce jour. « J’avais environ six ans. Mes parents et toute ma famille m’ont annoncé qu’une fête serait tenue et que je serais au centre de cette fête. Je me réjouissais de cet événement dont tout le monde me parlait, mais j’ignorais complètement ce qui allait m’arriver. On me présentait cela comme une fête pour enfants. Toutes les filles ont été appelées à courir derrière la maison familiale. Je courais avec joie. C’est là que les vieilles femmes nous ont attrapées une à une et nous emmenées derrière des pagnes. J’ai été déshabillée de force. D’un coup de lame de couteau, ma grand-mère maternelle m’a blessé l’entrejambe, m’a coupée. Elle m’a très vite rhabillée d’un pagne enroulé comme un lange entre mes jambes. J’ai dû sortir de la case avec un collier autour du cou, le signe que c’était fait, que j’avais été excisée. Ma communauté se réjouissait pendant que moi, je me tordais de douleur et que le sang coulait. »

• La photographe belge Virginie Limbourg a réalisé un reportage en Guinée, à la rencontre de femmes, d’enfants et d’exciseuses impliquées dans la perpétuation de la pratique, ou soulagées d’avoir abandonné. 

Cette douleur, Rouguiatou la ressent toujours aujourd’hui : « Chaque mois, mes règles sont douloureuses. J’ai des démangeaisons constantes. Faire l’amour… n’en parlons pas. » Par ailleurs, en plus des conséquences physiques, les conséquences psychologiques liées au traumatisme sont aussi une cause importante de souffrances pour les femmes excisées.

Une histoire de violences

L’histoire de Rouguiatou est marquée depuis sa naissance par la violence et par l’absence de protection de la part de son entourage, de la société et des États. D’abord, en Guinée, la violence paternelle. Rouguiatou reçoit des coups. Sa mère aussi. « Ma mère avait peur, elle ne m’a jamais soutenue, elle n’a jamais osé dénoncer mon père. La violence conjugale est très répandue en Guinée, elle provient des mariages forcés, de la culture machiste mais aussi des problèmes intimes liés aux excisions. Elle dure depuis des siècles et personne ne s’y oppose », déplore la jeune femme.

En 2015, Rouguiatou décide de fuir son pays, seule, par voie légale : elle se marie à un homme déjà installé en Belgique. « J’ai quitté la violence et je suis rentrée dans la violence », explique-t-elle. Car son mari, « gentil » dans les courriers que le couple s’échangeait à distance, s’avère être un homme violent. « Il savait où me frapper, ou plutôt où ne pas me frapper. Il ne me frappait jamais au visage. Il me forçait à avoir des relations sexuelles alors qu’il savait très bien ce que j’avais connu. Lui non plus ne m’écoutait pas, comme mon père en Afrique. J’ai demandé plusieurs fois à la police : où sont les droits des femmes, ici, en Belgique ? Je ne les ai toujours pas trouvés… », dénonce-t-elle.

Avis négatif

Le mari de Rouguiatou finit par la mettre dehors, change de serrure et va dénoncer un « mariage blanc » à l’Office des Étrangers. Rouguiatou se retrouve donc sans papiers et sans toit durant trois mois. Jusqu’à être dirigée vers un centre de demandeurs/euses d’asile dans la Province de Liège. La Croix-Rouge lui recommande aussi de contacter le GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines), qui accompagne les victimes d’excision et sensibilise les professionnel·les et le grand public à la question.

Rouguiatou entame une procédure d’asile et essuie un premier refus. Le risque d’excision constitue un motif d’octroi du statut de réfugiée. En revanche, si les femmes ont déjà été excisées, la Belgique considère qu’il n’y a plus de risque si elles sont renvoyées dans leur pays… La question des mutilations sexuelles demeure peu connue parmi les professionnel·les de la santé et de l’immigration.

Rouguiatou sera fixée sur son sort en janvier. Entendra-t-on sa détresse ? « On ne m’écoute, pas on ne m’a jamais écoutée. Jamais. En Afrique et ici. Je suis fatiguée », répète-t-elle encore et encore.

Pour aller plus loin

Le cas de Rouguiatou, comme celui de Françoise qui témoigne également dans ce dossier, est emblématique de la situation des femmes migrantes victimes de violences conjugales ou intrafamiliales qui subissent la violence sans pouvoir y échapper, de peur de se voir retirer leur titre de séjour. En effet, une personne qui rejoint son conjoint par la procédure de regroupement familial a, pendant cinq ans, un droit de séjour dépendant de la relation (et de la cohabitation) avec sa/son conjoint·e.

« La loi crée une situation de dépendance administrative entre conjoints/partenaires qui est particulièrement problématique lorsqu’il existe au sein du couple ou de la famille une situation de violences conjugales ou intrafamiliales. Le titre de séjour étant dans ces cas-là utilisé comme outil de domination par les auteurs de violence », dénonce le CIRÉ dans un rapport sur la question.