Réduction du séjour en maternité : un bilan alarmant

Fin 2014, Maggie De Block, ministre de la Santé, décrétait que les séjours en maternité devaient raccourcir. Où en est-on aujourd’hui ? Quelles sont les conséquences sur les femmes et sur la santé publique ? Comment s’arrangent les hôpitaux ? Divers·es acteurs/trices s’organisent, pris·es entre une mesure qui paraît inévitable et leur volonté d’offrir des soins de qualité aux femmes et aux nouveau-né·es.

© Aline Rolis

Depuis janvier 2015, la durée des séjours à la maternité a été revue à la baisse. Or les femmes sont déjà très peu préparées au retour à domicile en général, et encore moins à un retour rapide. Beaucoup de femmes ont témoigné dans axelle de difficultés face à ce changement : sentiment d’être « jetée dans le vide », « éjectée », problèmes pour poursuivre l’allaitement, diagnostic manqué de jaunisse, réadmissions fréquentes, etc.

Pour certaines femmes, l’expérience peut être positive, quand elles se sentent « mal à l’aise à l’hôpital ». Mais elles insistent alors sur des conditions essentielles pour un retour serein à la maison : « se sentir à l’aise avec le bébé, avoir un bon soutien, pouvoir refuser des gens chez soi… » Une tendance générale chez les femmes et les professionnel·les de la naissance, c’est de dénoncer l’application d’une norme uniforme alors que les besoins des femmes, même en cas d’accouchement dit « normal », peuvent être très variés.

L’envers du décor : les logiques financières

Amélie (prénom d’emprunt) est psychologue et pratique notamment dans une maternité du Hainaut. En discutant avec les sages-femmes, elle apprend que « les hôpitaux paient 250 euros d’amende par jour quand la jeune accouchée reste hospitalisée plus de 48 heures, et ce, qu’une prolongation du séjour à l’hôpital soit justifiée ou non. »

Les femmes et les professionnel·les de la naissance dénoncent l’application d’une norme uniforme alors que les besoins des femmes, même en cas d’accouchement dit « normal », peuvent être très variés.

Ce que dénonce Amélie, c’est à la fois vrai, et aussi plus compliqué que cela ! Nous avons interrogé Michel Mahaux, expert en financement des hôpitaux pour Santhea (une fédération d’hôpitaux publics) et qui a réalisé une étude sur le sujet.

« Ce n’est pas exactement ça techniquement, mais dans le fond, c’est juste. La ministre avait en effet décidé de se baser sur l’activité de 2011, c’est-à-dire bien avant l’annonce de l’intention de réduire les durées de séjour en maternité, pour pénaliser les hôpitaux en 2015. » Donc la ministre a voulu imposer une nouvelle norme a posteriori (soit 4 jours en 2015 et 3,5 jours en 2016), en sanctionnant des pratiques passées (en 2011) sur lesquelles les différent·es acteurs et actrices n’ont plus aucune prise. Une drôle de conception de la responsabilisation ! C’est sur base de cet argument que Santhea a déposé un recours au Conseil d’État, l’organe qui peut annuler des décisions administratives en Belgique.

Autre argument : la méthode de calcul prévoyait des économies proportionnelles à la durée de raccourcissement, « ce qui n’est absolument pas correct du point de vue des coûts réels d’un séjour en maternité », nous explique Michel Mahaux. « En effet, la majorité des coûts sont concentrés sur les premières 48 heures. » C’est à ce moment que les sages-femmes exercent une surveillance et des soins réguliers à la maman et au bébé, que certains médicaments peuvent être administrés. Il faut aussi souvent changer les draps, etc. Après 48 heures, les soins s’espacent, même si une présence « à la demande » peut continuer et il s’agit surtout de frais de « séjour » (repas, nettoyage).

© Aline Rolis

Pas de lumière à l’horizon

Face à ces arguments et sans attendre l’avis du Conseil d’État, le 18 mai 2016, la ministre a retiré la mesure sanctionnant les hôpitaux sur la base de 2011. Une victoire en demi-teinte, puisque la ministre n’a toutefois pas renoncé aux économies prévues (environ 18 millions). Le secteur a juste trouvé un accord pour répercuter ces économies globalement et indépendamment des durées de séjour pratiquées.

Mais puisque la mesure a été retirée, pourquoi ne pas attendre ? Pour avoir enfin un accompagnement adapté à des retours à domicile « précoces », on pourrait se baser sur les futurs résultats des projets-pilotes, lancés début 2016 dans différents hôpitaux sélectionnés (Érasme-UZ Bruxelles, le CHR Mons-Hainaut, le CHR de la Citadelle, le CHU de Liège, le Centre hospitalier Bois de l’Abbaye et de Hesbaye (CHBAH) et les Cliniques universitaires Saint-Luc). Mais il ne faut pas trop espérer voir ralentir la réduction des séjours. En effet, les hôpitaux ont maintenant bien intégré l’idée que leur financement de demain pourra dépendre des durées moyennes de séjour pratiquées aujourd’hui. Même s’il n’y a plus de mesure à proprement parler pour les y contraindre, ils anticipent la logique économique qui prédomine aujourd’hui.

Une mesure « sans danger » ?

« Dans 30 % des cas, ce renvoi précoce donnerait lieu à une réhospitalisation de la mère ou du bébé », explique Amélie. Un chiffre qui, selon elle, fait consensus chez beaucoup de gynécologues. Évidemment, puisque le troisième jour peut être critique, à la fois pour l’enfant nouveau-né·e (détection de la jaunisse, prise de poids insuffisante) ou pour la maman (montée de lait, chute hormonale). Selon Michel Mahaux, « c’est scientifiquement prouvé : au plus la sortie est précoce, au plus le risque de réhospitalisation est grand. »

C’est scientifiquement prouvé : au plus la sortie est précoce, au plus le risque de réhospitalisation est grand.

Le problème, c’est que les pratiques varient d’un hôpital à l’autre. Parfois la maman et son bébé retournent à la maternité. Cela assure une continuité des soins, mais ce retour à la « case départ » peut fragiliser la construction de la confiance en soi nécessaire pour assumer les soins et les responsabilités parentales. Parfois, « le nouveau-né est hospitalisé en pédiatrie », nous explique Amélie, « un service où l’on peut côtoyer des enfants gravement malades, ce qui peut provoquer des angoisses démesurées et inutiles chez les jeunes parents. » Sans compter que la maman est alors considérée comme « accompagnante » et ne bénéficie pas forcément des soins dont elle a elle-même encore besoin.

D’autres impacts

La réduction des séjours en maternité met également sous tension les missions de l’ONE. En effet, comment encore caser un premier contact entre une travailleuse médico-sociale (TMS) de l’ONE et une jeune maman sur ce court intervalle de 48 heures ? Les TMS qui interviennent à domicile pourraient également être confrontées à de nouvelles difficultés vécues par les mamans plus vite rentrées chez elles. L’ONE a donc décidé de réaliser une étude sur le sujet dont les résultats étaient attendus fin décembre 2016. Mais attention, explique à axelle la ministre de l’Enfance, Alda Greoli, « l’ONE ne peut en aucune manière prendre en charge les soins nécessaires à la maman en post-partum, ni les soins curatifs que nécessiterait la santé de l’enfant. »

Les sages-femmes, elles aussi, sont impactées par cette mesure, en termes de conditions de travail et de qualité des soins qu’elles veulent donner. Elles y voyaient pourtant de prime abord une possibilité d’améliorer le suivi prénatal et postnatal pour toutes les femmes (voir leur carte blanche dans la version papier de cet article).

À l’heure actuelle, la réduction du séjour en maternité semble donc être une mesure d’économie injuste. Et si rien ne change rapidement, il y a fort à parier qu’elle générera de nouveaux problèmes de santé publique pour les femmes et les enfants, dans les mois et années qui viennent.

Prolongations…

Le 2 décembre 2016, Maggie De Block (Open VLD) affirmait par communiqué de presse qu’elle n’était pas responsable de la diminution du séjour en maternité et que beaucoup de fausses informations circulaient sur le sujet. Cette mesure était pourtant prévue dans des documents officiels dès la fin 2014. axelle a écouté divers·es acteurs et actrices à ce propos, dont les femmes, premières concernées, qui estiment pour leur part qu’il s’agit bien d’une réalité. En ces temps d’austérité, Maggie De Block n’a peut-être pas eu besoin de « forcer » beaucoup le secteur. Reste à comprendre pourquoi la ministre sème le trouble dans un dossier déjà si complexe et sensible…