Un samedi soir au parc Maximilien

Ce samedi 23 septembre au soir, axelle a suivi Nati, une bénévole au parc Maximilien, à Bruxelles. Le parc abrite des migrant·es depuis 2015, la plupart dans une situation particulièrement vulnérable, victimes des descentes de police et parfois aussi des mauvaises intentions de certain·es. Un homme a d’ailleurs récemment été arrêté ; il aurait agressé sexuellement plusieurs migrantes mineures.

Vendredi 22 septembre, au coeur du parc Maximilien à Bruxelles, des artistes ont installé un message de solidarité avec les migrant·es et d'opposition à la politique menée par le gouvernement. D.R. Cuistots Solidaires

« Désolé, je ne peux pas rester, je dois aller aider un migrant qui est à l’hôpital parce qu’il a la tuberculose », s’excuse Nabil, qui devait m’aider pour la traduction. Au parc Maximilien, au nord de Bruxelles, on a appris depuis longtemps à jongler avec les imprévus. Plusieurs centaines de migrant·es s’apprêtent à y passer l’hiver. Elles/ils ne veulent pas rester en Belgique et espèrent continuer leur périple vers un autre pays, le plus souvent l’Angleterre.

L’État belge n’a rien prévu pour les accueillir et ne compte pas remédier à la situation de sitôt. Le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Theo Francken (N-VA), a au contraire expliqué sur Facebook ce 13 septembre qu’il allait « nettoyer » le parc, en parlant des êtres humains qui y trouvent refuge. Neuf jours plus tard, le Premier ministre Charles Michel insistait très sérieusement sur le rôle de la Belgique en tant que « terre d’accueil » dans son discours à la tribune de l’ONU

Peut-être parlait-il des citoyen·nes qui veillent tous les jours pour faire de notre pays un lieu bienveillant ? Comme Nati, qui fait partie des Cuistots solidaires, un réseau auto-organisé de bénévoles qui apportent des repas et de la bonne humeur aux migrant·es. « Au début, on était plus solidaires que cuistots », sourit-elle.

D.R. Cuistots solidaires

Ce soir-là, sur le coup de 20 heures, ce sont surtout des femmes qui installent des tables à l’entrée du parc, dans un joyeux désordre. Au menu : des macaronis en plat principal et, en dessert, des couques provenant de boulangeries de Schaerbeek et d’Ixelles. « Aujourd’hui, on a même reçu des chouquettes », se réjouit Nati.

Deux hommes s’approchent des tables, ils apportent du pain. « Chacun apporte ce qu’il veut et le rajoute sur la table, comme une auberge espagnole, sauf qu’on ne mange pas tous ensemble. » Une file commence à se former devant les tables, l’occasion pour Nati d’expliquer l’organisation qui s’est mise en place : « Tout est toujours très calme. Il n’y a pas de violence. Les femmes et les enfants sont protégé·es par les hommes. Dans la file pour manger, elles/ils ont priorité. »

Fausse alerte

Nati connaît bien la population que le parc abrite, des personnes particulièrement vulnérables, souvent traumatisées par leur passé et leur périple jusqu’en Europe. Alors que nous nous avançons à l’intérieur, beaucoup lui font des signes ou l’enlacent. « Vu mon âge, on m’appelle ‘mama Nati’ », précise-t-elle. Parmi les migrant·es du parc, il y a des dizaines de mineur·es. “La plupart des garçons n’ont pas un seul poil au menton ! Ils mangent tous encore de la pâte à tartiner au chocolat », s’exclame Nati. Des jeunes qui sont également victimes des descentes de police et des arrestations quotidiennes applaudies par Theo Francken sur les réseaux sociaux.

D.R. Cuistots solidaires

Soudain, des sirènes se font entendre et la lumière des gyrophares bleus serpente sous les arbres. Le parc tout entier retient son souffle. Fausse alerte ! Le convoi de police ne s’arrête pas cette fois-ci. « Quand les policiers viennent, ils portent des masques sur leur visage, on dirait qu’ils sont à Fukushima », s’insurge Nati. Des policier·ères et des éboueurs qui s’en prennent aussi aux affaires des migrant·es. Leurs maigres biens sont alors jetés dans un broyeur pour des « raisons d’hygiène ». Un exercice contradictoire puisque ce sont précisément les sacs qui contiennent les brosses à dents, dentifrices et autres savons qui sont systématiquement jetés à la décharge.

Conditions de vie intenables

Résultat ? Quelques cas de gale et de tuberculose, dont se plaignent… les policier·ères. Un syndicat des forces de l’ordre est en effet sorti du bois pour s’inquiéter du risque encouru par les agent·es qui interviennent dans le parc. Une stigmatisation des migrant·es malades inacceptable pour l’ONG Médecins du Monde. « Les migrants sont maintenus dans des conditions de vie intenables, puis on s’étonne qu’ils soient malades, dénonce l’organisation. Lorsque la police reçoit l’ordre de les réveiller pour enlever le bout de carton sur lequel ils dorment et qui les protège du froid, on peut imaginer qu’ils soient plus enclins à souffrir de bronchite, de pneumonie, voire de tuberculose. »

Depuis une dizaine de jours, alors que le nombre d’interventions de police a augmenté, des demandes sont apparues sur les réseaux sociaux afin de trouver des hébergements pour les migrant·es. La police a en effet plus de mal à intervenir dans des lieux privés. Une « vague de solidarité » qui n’est pas à négliger, de mieux en mieux coordonnée par la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés qui parvient à placer chaque soir des dizaines de migrant·es, mais que certain·es bénévoles questionnent.

« On ne sait pas chez qui les migrant·es vont passer la nuit. Quelles sont les intentions des gens qui viennent les chercher ? Si la plupart sont sincèrement solidaires, que va-t-il se passer si certain·es ont de mauvaises intentions ? », s’inquiète Myriam, une autre bénévole des Cuistots solidaires. Une femme qui a accueilli une migrante la nuit précédente me confirme qu’aucun contrôle n’a été effectué sur son identité.

Mauvaises intentions

Les bénévoles ont encore en tête la présence d’un pédophile au parc il y a quelques semaines et l’inaction des policier·ères. Ce sont les bénévoles qui ont dû donner l’alerte et mener le début de l’enquête, notamment à l’aide de photos. Un homme de 64 ans a été placé sous mandat d’arrêt par le juge d’instruction la semaine passée pour attentat à la pudeur avec violence ou menace sur mineures âgées entre 16 et 18 ans.

« C’est difficile pour les victimes de témoigner parce qu’elles n’ont pas de papiers. Elles ont peur, explique Nati. Le pire, c’est que les médias présentent cet homme comme un bénévole  ! C’est faux ! Il rôdait dans le coin. J’ai voulu prendre des photos de lui et il a essayé de me casser la figure. Ce sont des migrants qui m’ont protégée », continue-t-elle. Les bénévoles pensent qu’un deuxième homme rôde dans les parages.

Nati m’alerte sur l’état de santé de Raelle, inquiétant ce soir-là. L’Érythréenne se sent particulièrement mal. Assise par terre, cette femme enceinte de huit mois est accompagnée par son mari. Le couple est très jeune et espère pouvoir passer bientôt en Angleterre. Raelle n’esquisse un sourire que lorsqu’une bénévole propose de les héberger chez elle. « L’Angleterre, c’est leur paradis », souligne Nati.

La situation de Raelle est à peine réglée pour ce soir que voilà déjà une autre urgence. Il faut trouver un endroit pour la nuit pour « Bambino », un adolescent égyptien d’environ 14 ans qui explique avoir vécu deux ans en Italie avant d’arriver en Belgique. Lui aussi rêve d’Angleterre. Le Samu social ne pouvant visiblement pas le prendre en charge ce soir, « Bambino » restera sûrement dehors, avec les « grands » laissés sur le carreau.

« L’école, ça se rattrape, mais pas l’enfance, regrette Nati. Il parle déjà comme un adulte. On pourrait le convaincre de rester ici et de demander des papiers mais cela prendra du temps. C’est là qu’on se dit qu’on est vraiment abandonné·es. L’État belge laisse pourrir la situation en espérant que ces personnes s’en aillent. Mais on ne peut pas juste les ignorer. »

« Ce n’est pas simple quand on a un autre travail, une famille et le travail au parc. Parce que c’est ici qu’on doit vraiment être à 100 % », constate Myriam. « Moi, j’ai de la chance, je travaille avec mon mari, sinon je serais déjà divorcée », rigole ‘mama Nati’, qui conserve malgré tout son optimisme et son humour. Sauf à l’heure du coucher. « C’est le moment le plus difficile, confie-t-elle. Quand je rentre chez moi, que je me fais un thé et que je me glisse dans mes draps chauds. » Un sentiment de culpabilité que ne doit pas souvent connaître Theo Francken. Il n’a pas mis une seule fois les pieds au parc Maximilien.

À relire...

Dans axelle n° 187, nous vous proposions tout un dossier sur les ‘Maximiliennes” dont voici un résumé.

Quai de Willebroek, à Bruxelles, dans une petite pièce du “Hall Maximilien” accueillant la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, des femmes entre elles peuvent se reposer, boire une tasse de thé, dialoguer. Les bénévoles des “Maximiliennes” ont créé ce lieu parce qu’elles sont conscientes des violences spécifiques que les femmes connaissent avant et pendant leur exil. Ce n’est pas forcément le cas des instances d’asile et de migration, qui, selon l’avocate Selma Benkhelifa, ne prennent pas assez en compte la situation spécifique des femmes dans leurs procédures (par Véronique Laurent).