Les éclats du plafond de verre

Les féministes ne l’ont sans doute pas voulu, mais leurs victoires ont eu un effet secondaire indésirable : creuser les inégalités entre les femmes elles-mêmes. Tandis que tout en haut de l’échelle sociale, certaines atteignent des sommets autrefois inimaginables – exemple récent avec Sophie Wilmès (MR) nommée Première ministre –, d’autres, bien plus nombreuses, se débattent sur un “plancher collant” dans des vies de plus en plus précaires.

© Ma Tête est pleine d'endroits pour axelle magazine

C’est un titre d’une opinion publiée dans le journal économique l’Echo : “Collaboratrices, osez réussir !” Même si les interlocutrices ne se disent pas féministes, on y trouve tous les ingrédients d’un “féminisme libéral” : la conviction que désormais, les femmes doivent avoir accès à tous les postes à responsabilités, mais aussi que cela dépend d’elles, individuellement, de savoir surmonter les divers obstacles pour “oser” briser le fameux “plafond de verre”. Certains de ces obstacles ne seraient d’ailleurs qu’érigés par elles-mêmes, car on trouve toujours “des raisons pour ne pas se lancer et rester dans son fauteuil”, selon les termes de Françoise Raes, membre fondatrice et présidente de Women on Board, association créée il y a 10 ans pour promouvoir l’accession de femmes aux postes de direction des entreprises belges. Les enfants et la répartition toujours aussi inégale des tâches ménagères et parentales ne sauraient servir d’excuses. Dans le même article Laurie Pilo, directrice générale d’une société de consultance, enfonce le clou : “Aujourd’hui en Belgique, on a plein d’exemples de femmes qui ont des emplois avec de très grosses responsabilités et qui sont mères de famille.” Elle oublie cependant d’ajouter que cette possibilité existe parce que d’autres femmes, moins favorisées, souvent migrantes, sont là pour assurer le quotidien, se charger des tâches qui leur sont déléguées par ces femmes aux “très grosses responsabilités” (car même si elles ne s’en chargent plus elles-mêmes, ce sont toujours les femmes qui “délèguent”).

Il est probable que sans le mouvement féministe, la plupart de ces femmes n’auraient jamais pu grimper aussi haut. Mais parallèlement, le sort de celles qui rendent possible la conciliation entre maternité et “grosses responsabilités”, lui, ne s’est guère amélioré.

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“À jeu égal, salaire égal” ?

C’est même là que le féminisme a connu le plus d’avancées : en haut de l’échelle. La parité sur les listes électorales, les quotas dans les conseils d’administration des grandes entreprises, l’accès à des métiers prestigieux (qui perdent d’ailleurs de leur prestige à mesure qu’ils se féminisent), ou plus récemment encore la visibilisation croissante du sport féminin… Entre Kathrine Switzer, coureuse allemande bousculée par des hommes parce qu’elle voulait participer au marathon de Boston en 1967 et la retransmission télévisée de la Coupe du Monde féminine de foot en juin dernier, on peut dire qu’il y a eu une sacrée évolution.

Le foot, justement, parlons-en : cette Coupe du Monde féminine a été l’occasion non seulement de montrer que les femmes aussi savent manier un ballon, mais également de révéler le fossé abyssal qui sépare leurs revenus de ceux des hommes. La Norvégienne Ada Hegerberg, première à recevoir le Ballon d’or féminin en 2018, a refusé de jouer avec sa sélection nationale pour dénoncer le manque de considération de sa Fédération pour le football féminin.

Et l’Américaine Megan Rapinoe, meilleure joueuse du tournoi et Ballon d’or féminin en 2019, a également profité de sa visibilité pour dénoncer les inégalités entre femmes et hommes dans le monde du foot.

S’il est vrai que les femmes les mieux payées le sont souvent moins que leurs collègues masculins au même niveau et qu’il s’agit d’une injustice à combattre, fait-on vraiment ainsi progresser le sort des femmes, de toutes les femmes ?

“À jeu égal, salaire égal !”, auraient-elles pu s’exclamer, et mobiliser les féministes derrière elles. Sérieux… ? On voudrait vraiment que les femmes aient les mêmes salaires déraisonnables (un joueur comme Cristiano Ronaldo gagne 1 euro par seconde selon Planetoscope, même quand il dort, ce qui lui fait 86.400 euros… par jour), qu’elles soient vendues (pardon, transférées) pour des dizaines de millions de dollars, qu’elles servent de support publicitaire à des marques qui salivent déjà à l’idée d’augmenter encore leur visibilité et leurs parts de marché ?

On peut élargir la question aux PDG qui, sans atteindre ces sommets, ont quand même des revenus qui ne cessent de grimper tandis que ceux des simples salarié·es stagnent, sans même compter les avantages divers et autres parachutes dorés. S’il est vrai que les femmes les mieux payées le sont souvent moins que leurs collègues masculins au même niveau. Et plus les préjugés peuvent peser dans la détermination d’un salaire. et qu’il s’agit d’une injustice à combattre, fait-on vraiment ainsi progresser le sort des femmes, de toutes les femmes ?

“L’égalité dans la domination” ?

Dans leur manifeste Féminisme pour les 99 %, Nancy Fraser, Cinzia Arruzza et Tithi Bhattacharya prennent l’exemple de Sheryl Sandberg, numéro 2 chez Facebook. Son féminisme – qu’elle déploie dans son livre Lean in, en français : En avant toutes. Les femmes, le travail et le pouvoir – défend une sorte de “méritocratie” pour faire émerger les “meilleures”, pour arriver à ce que les autrices appellent joliment “l’égalité dans la domination”. Tout ce que les hommes ont – et surtout certains hommes, les plus puissants –, les femmes doivent l’obtenir aussi, sans s’interroger sur le contenu réel de cet objectif. Des femmes à la tête des armées (même colonisatrices), des femmes dans les conseils d’administration des multinationales (même celles qui “rationalisent” et “dégraissent” à tour de bras), des femmes à la tête de gouvernements (fussent-ils autoritaires)… Dans cette vision, l’égalité ne met jamais en cause un système qui, justement, crée les inégalités de genre, de classe, d’origine, et se nourrit d’elles.

Tandis que certaines arrivent à se hisser à des hauteurs autrefois inimaginables, les autres continuent à se dépatouiller tout en bas dans des conditions qui ont plutôt tendance à se dégrader.

On pourrait penser que ce n’est là qu’une étape, que l’émancipation des femmes commence par le haut pour redescendre ensuite au profit de toutes, par une sorte de miraculeux “ruissellement”. Mais ce n’est pas ce que l’on peut constater : tandis que certaines arrivent à se hisser à des hauteurs autrefois inimaginables, les autres continuent à se dépatouiller tout en bas dans des conditions qui ont plutôt tendance à se dégrader. Celles-là ne peuvent compter que sur leurs propres forces et leurs luttes sont peu soutenues ou relayées par un féminisme plus privilégié ou institutionnel. Combien de parlementaires, prêt·es à monter à la tribune pour défendre l’égalité, se soucient des conditions de travail de celles qui nettoient les bureaux ou l’hémicycle qui accueille leurs beaux discours ?

Un féminisme moins plafonnant

Ce n’est pas un hasard si le “plafond de verre” est devenu un terme beaucoup plus familier que le “plancher collant”, celui où restent scotchées tant de femmes, dans des métiers peu valorisés, mal rémunérés, aux horaires atypiques et aux conditions de travail pénibles. Sans compter toutes celles qui doivent vivre d’allocations insuffisantes, parfois avec des enfants à leur seule charge. La pauvreté touche encore davantage les femmes que les hommes, et l’évolution ne leur est guère favorable. N’est-ce pas là l’un des chantiers essentiels d’un féminisme un peu moins “plafonnant” ?

Quant à ces femmes qui ont “osé réussir”, il ne faut pas trop compter sur elles dans ce combat : il est peu probable de voir des privilégié·es lutter contre leurs privilèges, surtout s’ils ont été durement acquis. Et la réussite des unes se nourrit aussi, il faut bien l’admettre, de l’exploitation des autres.

Il ne s’agit donc pas seulement de deux stratégies différentes, mais qui seraient complémentaires. Comme l’expriment les autrices du Féminisme pour les 99 % : “Nous n’avons aucun intérêt à briser le plafond de verre si l’immense majorité des femmes continuent d’en nettoyer les éclats.”

“Les mécanismes d’oppression du sexisme et du validisme se rejoignent”

“No Anger”, “Pas de colère” en français. C’est le pseudo que s’est choisi une jeune femme handicapée physique, chercheuse et performeuse. Son talisman contre la colère d’être un corps invisibilisé, impensé et écrasé, par les imaginaires et les institutions. Rencontre.

No Anger déploie à travers des textes et des performances dansées une réflexion sur les corps handicapés. Ici, lors de sa performance « Quasimodo aux miroirs », présentée au musée d'Art contemporain du Val-de-Marne en novembre 2018. © Arsène Marquis

C’est au hasard de l’écoute de l’épisode d’Un podcast à soi “Les corps indociles” consacré au lien entre féminismes et handicaps que nous avons découvert No Anger. On y entend la lecture de l’un de ses textes. “Jusqu’à 8 ans, mon handicap n’était pas problématique. C’est lors de mon entrée en CE2 [troisième primaire, NDLR], quand l’institutrice m’a envoyée chez une pédopsy parce que je ne parlais pas, alors que pour moi je parlais puisque j’écrivais sur mon ordinateur, que je me suis rendu compte de mon handicap…”, raconte-t-elle avec sa voix de synthèse. Interpellée par ses mots, axelle a découvert son blog “À mon geste défendant”, sur lequel elle déploie des réflexions intimes et politiques sur son corps, sur les corps, sa lutte pour rendre visibles les corps minorisés… No Anger danse aussi. “Pour ne plus réduire son corps au silence”, écrit-elle.

Nous avons conversé par écrit, virtuellement mais en direct. L’expérience d’une “autre” façon de parler. Comme un premier pas vers d’autres manières de faire et de penser pour construire un féminisme qui ne laisse personne au bord du chemin.

Pourquoi as-tu choisi le nom “No Anger” ?

“Ce blog est né au moment où j’étais en train d’élaborer ma performance de danse nue pour le fim My Body, My Rules d’Émilie Jouvet, réalisatrice française, en 2015. C’était un moment pour moi de grande colère, et je la retournais contre moi. Du coup, j’ai créé cet alterego comme un talisman contre cette colère, pour la transformer en création artistique et la placer comme fondement de la réinvention de soi. No Anger n’est donc pas un refus de la colère mais le souhait d’en faire quelque chose d’autre.”

“J’ai l’habitude de dire pour bousculer un peu mes ami·es féministes : “Les enfants handicapés sont les petites filles du 19e siècle. Les personnes handicapées sont les femmes du 19e siècle””, écris-tu. Est-ce une façon de dire que le féminisme a oublié les corps féminins handicapés ?

“Oui, parce que le féminisme pense avant tout le corps féminin valide. Le corps handicapé – qui plus est le corps handicapé féminin – souffre encore aujourd’hui d’une invisibilisation dans tous les domaines. Il reste donc un impensé politique. Et seul le discours médical le prend en charge.”

Le féminisme a pourtant forgé ta lutte. Quels liens fais-tu entre le corps féminin et le corps handicapé ?

“Oui, le féminisme a forgé ma lutte puisque mon corps est aussi féminin, et lesbien. J’ai donc transposé au handicap ce que le féminisme m’apprenait à déconstruire de la féminité et du lesbianisme. Les mécanismes d’oppression du sexisme et du validisme se rejoignent. Par exemple dans l’injonction constante faite aux femmes et aux personnes handicapées de faire leurs preuves. Nous devons toutes lutter contre le présupposé de notre incapacité. Comme les femmes, les personnes handicapées sont considérées comme faibles de corps et d’esprit, irrationnelles et manquant de contrôle, là où les hommes et les valides sont vus comme forts, rationnels et contrôlés. Il est donc de la responsabilité des corps minorisés – féminins, lesbiens, gays, trans, racisés ou encore handicapés – de démentir cela. Et c’est parfois épuisant de montrer qu’on est “capable”.”

Mais quand même, la domination sur un corps handicapé est différente, et plus forte encore que la domination sur les corps des femmes. Je pense notamment à l’indifférence par rapport à la violence sexuelle exercée sur les femmes handicapées “considérées” comme des “anges”, des êtres asexués…

“La violence validiste est différente de la violence sexiste, en effet. On désexualise les femmes handicapées, c’est inimaginable que leurs corps soient objets de désir et qu’elles aient des rapports sexuels, consentis ou non. Par conséquent, la prise en charge des violences sexuelles faites aux femmes handicapées est totalement insuffisante. Prenons aussi l’exemple du harcèlement de rue. Notre expérience du harcèlement de rue n’est pas la même que celle des femmes valides, et elle est malheureusement ignorée par le féminisme. Déjà se pose notre accès à l’espace public, à la rue. Ensuite, je reçois des remarques infantilisantes ou condescendantes, mais jamais d’ordre sexuel, comme les femmes valides. Mais au fond, c’est le même principe : on signifie aux corps féminins qu’ils sont illégitimes dans l’espace public.”

Tu écris dans l’un de tes textes que tu ne veux pas être “porte-étendard” de la lutte contre le validisme, surtout qu’il est déjà fatigant de prouver que tu es toujours “capable”. Comment donc mener cette lutte – et en parler, comme tu le fais maintenant d’ailleurs – sans être réduite à “la” femme handicapée ?

“En effet, je m’interroge à porter cette voix. Je suis chercheuse en sciences politiques. Ma thèse porte sur la nudité comme mode de contestation politique. J’adorerais parler des Femen ou du porno dans un journal. Mais si je parle du validisme, c’est parce que je pense aux adolescent·es handicapé·es. Cela aurait été beaucoup moins difficile pour moi à leur âge d’avoir des figures publiques handicapées auxquelles m’identifier.”

Tu es femme, lesbienne, handicapée, et tu as aussi fait l’expérience du racisme en raison de tes origines asiatiques. Tu es donc à l’intersection de toutes les discriminations, que les féministes aujourd’hui essayent de mettre en lumière. Comment te définis-tu ?

“J’aime me définir lesbienne, parce que c’est une identité “politique” que j’ai aimée me forger. Il est difficile pour moi de construire ma féminité, en raison des regards qu’on porte sur mon corps handicapé. Être lesbienne, c’est construire une appartenance à une culture et ça me donne beaucoup de fierté. Être lesbienne, c’est aussi, comme le disait Monique Wittig [figure majeure du mouvement de libération des femmes et du lesbianisme radical. Elle a écrit notamment Les Guérillères en 1969 et Le Corps lesbien en 1973, NDLR], devenir des insoumises au patriarcat. Et ça me rend encore plus fière !”

Les bonnes planques de l’antiféminisme

Les idées féministes progressent et, en retour de bâton, les antiféministes. Ces dernières s’exposent ouvertement, ou se camouflent, parfois où on les attend le moins. Examen de coins sombres, sous l’œil de Mélissa Blais, spécialiste des masculinismes.

Il existe chez les masculinistes une diversité d’acteurs aux discours plus ou moins francs mais la plupart dissimulent leur antiféminisme. © Kathleen de Meeûs pour axelle magazine

Comme dans tout contre-mouvement, il existe chez les masculinistes une diversité d’acteurs aux discours plus ou moins francs, “mais la plupart vont dissimuler leur antiféminisme”, constate Mélissa Blais, professeure associée à l’Institut de recherches et d’études féministes de l’Université du Québec à Montréal. Aux dernières élections belges par exemple, le programme du Vlaams Belang ne faisait plus une seule fois référence à l’IVG. Et il dissimulait son fond sexiste, et raciste, derrière des annonces de mesures sociales très favorables aux familles… de maximum trois enfants. Cette absence d’attaque directe des droits des femmes, Mélissa Blais la qualifie “de marketing politique” en vue “d’aller chercher un électorat beaucoup plus large”.

Illustration : Kathleen de Meeûs

Des fondements sexistes, et racistes (qui vont souvent de pair) peuvent se masquer de façon plus subtile. “Les mouvements d’extrême droite revendiquent une suprématie blanche, conjointe à une suprématie mâle, mais cette dernière est bien dissimulée – au nom de l’égalité entre les sexes – sous l’opposition à la barbarie de l’islam radical.” La chercheuse dénonce cette façon de masquer son sexisme “puisque dans les faits, ces instances s’opposent à l’égalité à l’intérieur du couple et de la famille, sous prétexte d’une crise de la masculinité hégémonique blanche.”

Autre procédé utilisé par les antiféministes, d’extrême droite ou d’ailleurs : cibler un “certain” féminisme, celui qui poserait problème, sous le discours “je ne suis pas contre le féminisme (pas contre celui qui est pour l’égalité, celui qui se préoccupe aussi des hommes), mais je suis contre le féminisme radical”, ce dernier alors transformé en synonyme d’extrémisme et de mouvement anti-hommes. Un procédé qui scinde le féminisme en deux : le mauvais d’un côté, le bon de l’autre, ce dernier rapidement endossé par ceux qui viennent juste de le redéfinir.

Les mascu-lissés

Fin octobre, la conférence “Soirée Psycho-sexo (avec humour et sans tabou)” organisée à Liège, donnée par le psychologue canadien Yvon Dallaire et par le sexologue bruxellois Iv Psalti (auteur de Sexe : Savez-vous vous y prendre avec les hommes ? Secrets et vérité sur le sexe des hommes à l’usage des femmes !, qui sévit aussi en radio sur VivaCité), a soulevé pas mal de protestations.

En conférence et dans ses écrits, Yvon Dallaire, qu’on présente comme le “spécialiste” canadien des relations de couple défend une vision dans laquelle hommes et femmes ne fonctionnent pas de la même manière.
“En donnant des trucs et astuces, différents, aux hommes et aux femmes, il poursuit son programme politique, à savoir la réaffirmation de la place traditionnelle de l’homme et la perpétuation du modèle de soumission des femmes, enjointes à respecter la “nature” des hommes mais, souligne Mélissa Blais, ce discours passe beaucoup plus inaperçu à l’oral, venant s’insérer dans la croyance communément admise que le bonheur s’atteint à partir du moment où les femmes et les hommes respectent chacun leur rôle.” À la lecture de ses livres cependant, le doute n’est plus permis. Dans Homme et fier de l’être, Yvon Dallaire “pointe explicitement les féministes comme cause d’un “désarroi” masculin, et il va même ouvertement justifier des violences sexuelles : il va dire – je paraphrase – que les garçons doivent pouvoir laisser libre cours à leur puissance sexuelle. Ou que quand un homme est stressé, il serre les poings, une attitude à respecter, sinon…”

Yvon Dallaire, qui a développé une “Formation en Thérapie Conjugale Positive”, tente de l’implanter en Europe. Des “demandes de reconnaissance sont en cours en Belgique, en France et en Suisse”, renseigne son site.

Le féminisme pour embellir nos vies !

Comment porter le combat féministe sans perdre ni le sourire, ni le moral ? En pensant et agissant dans la joie et l’humour, comme nous y appellent de nombreuses féministes.

Si l’on ne sait pas toujours où le chemin du féminisme nous mènera, on le construit au gré de nos pas. Et en riant aux éclats ! © Pexels

C’est beaucoup plus fatigant d’être féministe quand tu es une femme, parce que tu vis les injustices que tu combats”, témoignait Sarah dans un article d’axelle sur le burn-out militant. Le féminisme est un sport de combat. Et les moments de répit sont rares… Il arrive donc que les femmes soient exténuées, et aient envie de jeter l’éponge. On a vu d’ailleurs ces dernières années plusieurs femmes quitter les réseaux sociaux suite à un acharnement à leur encontre. À l’instar de Lauren Bastide, créatrice du podcast féministe La Poudre, qui expliquait, à l’annonce de la suppression de son compte Twitter : “Je me protège ainsi de la fatigue militante qui menace toutes les féministes, tant le quotidien est violent et les insultes nombreuses.”

Penser, nous devons, écrivait la romancière anglaise Virginia Woolf il y a presque un siècle. Mais cela ne doit pas se faire sans joie. Pour penser, nous devons aussi rire…

Mais le féminisme peut rendre la vie plus belle. Oui oui… C’est aussi l’intime conviction de Pauline Arrighi. Dans son livre Et si le féminisme nous rendait heureuses ? (InterÉditions 2019), elle revient sur sa “révolution du féminisme vécu”. [Elle] m’a apporté une joie, une excitation et un sentiment d’accomplissement comme jamais rien ni personne auparavant”, écrit-elle, bien décidée à partager son expérience de “libération intime” à d’autres femmes. Au fil des pages, elle livre des conseils d’autodéfense intellectuelle pour déjouer “l’enfumage patriarcal”. L’auteure rappelle aussi que la colère des femmes – souvent disqualifiée – est juste. Comme d’autres féministes, elle invite les femmes à se la réapproprier et à la retourner en une force puissante et collective. Au risque de passer pour des “folles”, qualification qu’on donne souvent à des femmes en colère et en lutte !

Incarner la joie

Insuffler de la joie dans les mobilisations, mais aussi dans les espaces de débats et d’apprentissages…

Le féminisme est exigeant. Il demande de résister, au quotidien, et de décortiquer sans cesse le monde dans lequel nous évoluons. “Penser, nous devons”, écrivait la romancière anglaise Virginia Woolf il y a presque un siècle. Mais cela ne doit pas se faire sans joie. Pour penser, nous devons aussi rire – des rires de complicité, contre les injonctions faites aux femmes à sourire – et prendre du plaisir.  C’est ce que défend la biologiste et philosophe Donna Haraway, icône féministe américaine à la bonne humeur communicative : “Je pense que nous débattons les unes avec les autres, du mieux que nous pouvons. Et on ne peut pas s’en tenir seulement à un débat : il s’agit aussi d’une sérieuse joie, d’une capacité à jouer, et pas seulement à travailler. ”

Insuffler de la joie dans les mobilisations, mais aussi dans les espaces de débats et d’apprentissages… Quelle joyeuse alternative – pour tous et toutes – à ce qu’on nous apprend dès l’école : être sage, docile et dans son rang… quitte à frôler l’ennui.

Si l’on ne sait pas toujours où le chemin du féminisme nous mènera, on le construit au gré de nos pas. Et en riant aux éclats !

Sri Lanka : quand les femmes protègent leur mangrove

En 2015, le Sri Lanka devient le premier pays du monde à classer en zone protégée la totalité de sa mangrove. Indispensable à la reproduction des poissons autant que poumon vert, elle est essentielle à la survie des communautés côtières. L’ONG locale Sudeesa développe le microcrédit pour des milliers de femmes qui, en contrepartie, participent à replanter et protéger la mangrove. Reportage à Chilaw, où les femmes de pêcheurs s’engagent.

Shermila et Suseema, membres du comité du village de Keerimattawa-Kudirippuwa, observent les progrès du replantage de jeunes palétuviers, entre Chilaw et Puttalam, au nord de Colombo (capitale du Sri Lanka). © Juliette Robert

La lagune bordée de palétuviers, ces grands arbres tropicaux qui poussent dans la vase de la mangrove, s’éveille dans la clarté matinale. Depuis plusieurs heures déjà, de petites embarcations colorées, manœuvrées par les pêcheurs locaux, sillonnent les 20 km² de la lagune de Chilaw, parée des nuances roses de l’aube. Dans cette localité située à 60 km de Colombo, la capitale du Sri Lanka, la pêche est l’activité principale des communautés côtières depuis des temps immémoriaux. Aux hommes, la pêche, aux femmes, le séchage du poisson et la vente sur les marchés. De père en fils, et de mère en fille, on adopte les mêmes rituels, on bénéficie des mêmes ressources, on remercie la nature pour ses bienfaits. Et la mangrove, on l’aime, chevillée au corps. Pourtant, ce rapport viscéral avec ces arbres majestueux aux racines enchevêtrées qui ressemblent à des araignées aquatiques, a bien failli être bouleversé. En cause ? La destruction de la mangrove, principalement en raison des élevages industriels de crevettes et de poissons qui ont défiguré le paysage côtier et pollué les eaux, contaminées par les déjections animales et les antibiotiques. Au plus fort de leur implantation, “près de la moitié de la mangrove avait disparu”, rappelle Anuradha Wickramasinghe, fondateur de Sudeesa. Cette ONG créée en 1992, au départ une association de petits pêcheurs locaux, s’est ensuite donné pour mission de former les habitant·es aux vertus de leur mangrove afin de les rendre acteurs/trices de sa protection.

La mangrove, trésor de biodiversité

Différents types de palétuviers ont été replantés ces trois dernières années dans la lagune quasi asséchée par l’élevage intensif de poissons et de crustacés autour du village de Keerimattawa-Kudirippuwa, entre Chilaw et Puttalam, au nord de Colombo. © Juliette Robert

La mangrove n’est pas une forêt comme les autres. En effet, les arbres de ces jungles marécageuses, qui poussent à la charnière des eaux douces des rivières et des eaux salées de la mer, absorbent plus de CO2 que n’importe quels autres écosystèmes, réduisant davantage les effets du réchauffement climatique. Et ils forment aussi, avec leurs racines entrelacées, des refuges idéaux pour la reproduction des poissons. Enfin, partout où la mangrove pousse, elle retient les sols et évite les affaissements de terrain.
L’étude comparative réalisée par l’Union internationale pour la conservation de la nature, un an après le tsunami qui a ravagé une partie des côtes sri-lankaises en 2004, causant la mort de 30.000 personnes, a montré que dans le village de Kapuhenwala, protégé par 200 hectares de mangrove, le tsunami n’avait fait que deux victimes. Au contraire, dans celui de Wanduruppa, où elle avait été saccagée pour des projets piscicoles et touristiques, les flots emportèrent près de 6.000 Sri-Lankais·es. Ces différents rôles joués par la mangrove méritaient bien quelques enseignements auprès des communautés locales qui, déracinées, “partant souvent vers la ville”, ont pu “oublier certaines bases”, estime Anuradha.

L’échelle des douleurs

La douleur, c’est une sensation physique ou émotionnelle pénible. Une sensation très concrète, éprouvée dans son corps. Cependant, le regard porté par une société sur la douleur est variable, malgré les diverses échelles que la médecine utilise pour tenter de la quantifier. Entre l’ancestral “Tu accoucheras dans la douleur”, l’indémodable “Il faut souffrir pour être belle” et leurs divers sacrifices, les femmes sont particulièrement concernées par les sens divers donnés à la douleur, qui vont jusqu’à impacter les parcours de soin.

© Marion Sellenet pour axelle magazine

Tu enfanteras dans la douleur”, c’est ce qui est écrit dans la Bible. Longtemps, on a prêté une fonction morale à cette douleur. Dans les années 1950, une méthode d’accouchement sans douleur (ASD) est créée en URSS. Elle se base sur la conviction que l’accouchement est indolore. Les douleurs ne seraient pas physiologiques mais le résultat d’un conditionnement inadapté des femmes. Bien préparées à l’accouchement, elles n’auraient pas mal…

Accoucher : avec ou sans douleur ?

La diffusion de cette méthode en Europe, notamment par le Parti communiste français, poursuit un objectif médical mais aussi politique : démontrer la supériorité de la science soviétique sur la science “bourgeoise” en pleine guerre froide. Mais une partie de la profession reste opposée aux techniques de soulagement de la douleur. Comme ce gynécologue catholique belge qui s’inquiète dans le journal de la Ligue des familles nombreuses, car lorsqu’une biche met bas sous anesthésie, elle ne garde pas son petit au réveil. En 1956, le pape Pie XII se prononce sur le fameux “Tu enfanteras dans la douleur” : il s’agit d’un constat et non d’une obligation. Si des techniques nouvelles permettent de soulager les douleurs, elles peuvent être utilisées.

Dans les années 1960, les féministes descendent dans la rue et les femmes sont plus nombreuses à accéder à des positions professionnelles où leurs voix portent. Elles remettent en question les discours qui poussent à la maternité, forcément belle et heureuse. Elles font aussi savoir que les douleurs de l’accouchement sont bien réelles. Néanmoins, l’ASD a profondément changé la vision de l’accouchement, notamment en ce qui concerne l’accompagnement des femmes, qu’on retrouve dans les diverses méthodes de préparation à la naissance, le plus souvent en marge de l’hôpital. Au sein de celui-ci, depuis les années 1980, la péridurale s’est largement imposée. Elle représente un réel progrès. Mais elle est aussi moins chère et moins longue à mettre en place qu’un accompagnement de qualité des femmes, dans un contexte d’économie dans les soins de santé. Elle est actuellement remise en cause par une partie des femmes et de la profession. Elle représente la médicalisation croissante qui supplante les capacités des femmes à accoucher.