Quelle rentrée académique pour les étudiantes musulmanes visibles ?

Au mois de septembre, les femmes musulmanes visibles* pourront garder leur foulard au sein des établissements supérieurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Une interdiction levée suite à la manifestation “Hijabis Fight Back” de juillet 2020. Retour sur une mobilisation historique pour contrer des règlements d’ordre intérieur sexistes et racistes.

De gauche à droite : Sarah Tulkens, Salma Faitah, Fatima-Zohra Ait Al Maâti, Souhaïla Amri, le 5 juillet 2020 à Bruxelles, lors de la manifestation du mouvement Hijabis Fight Back. © Abdulazez Dukhan

[Un article publié dans notre dossier de septembre 2021, “Vêtements à l’école : jeunes femmes contre vieux règlements”. À lire aussi : “Dans les écoles, filles et garçons combattent le sexisme des règles vestimentaires”]

C’était le 5 juillet 2020. Une manifestation historique avait lieu : Hijabis Fight Back (HFB) ! Des femmes musulmanes se mobilisaient pour contester l’interdiction du port de signes convictionnels dans l’enseignement supérieur. Cette manifestation a réuni plus de 4.000 personnes. Grâce à cette mobilisation et au travail de nombreux/euses militant·es, la situation a progressé. Les femmes musulmanes auront le droit de garder leur foulard dans les hautes écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles à partir de ce mois de septembre.

“Touche pas à mes études !”

Pour rappel, en 2017, des étudiantes de la Haute École bruxelloise Francisco Ferrer ont introduit une action en cessation devant le tribunal de première instance de Bruxelles contre le règlement d’ordre intérieur (ROI) de l’école (relire à ce sujet la carte blanche d’Imane Nachat). Le tribunal a alors posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle. En juin 2020, celle-ci se prononce en faveur du règlement. Face à cette nième discrimination, le mouvement Hijabis Fight Back voit le jour.

De gauche à droite : Sarah Tulkens, Fatima-Zohra Ait Al Maâti, Salma Faitah, Souhaïla Amri, le 5 juillet 2020 à Bruxelles, lors de la manifestation du mouvement Hijabis Fight Back. © Abdulazez Dukhan

“Touche pas à mes études !”, scandaient avec fermeté et émotion des femmes musulmanes des quatre coins du pays, présentes au rassemblement HFB à Bruxelles. C’est la première fois en Belgique qu’une protestation de cette ampleur est organisée par les femmes musulmanes pour leur droit à l’éducation. La mise en place d’une telle manifestation en période de pandémie a nécessité une mobilisation totale et rigoureuse, d’autant plus qu’elle a eu lieu en pleine session d’examens.

Trois collectifs féministes étaient à la manœuvre : Imazi.Reine (voir axelle n° 235-236 et l’épisode 2 de notre série de podcasts Passeuses), Belges Comme Vous et La 5e vague. Toutes étudiantes, les initiatrices ont dû interrompre leur blocus pour s’organiser. La mobilisation a aussi généré une vague de cyberharcèlement et de menaces suite à leur participation médiatique.

Quand plus de 5.000 personnes manifestent pour défendre la même cause, tu réalises que tes demandes sont légitimes et qu’il faut continuer de lutter.

Malgré le contexte violent, la protestation a été synonyme d’espoir pour beaucoup de femmes. Souhaïla Amri, l’une des initiatrices, se souvient : “Le travail en amont valait la peine car cette manifestation m’a redonné de l’espoir.” La mobilisation a engendré de profonds instants de sororité et de soutien.

Souhaïla Amri poursuit, soulagée : “J’ai réalisé que nous étions beaucoup à vivre cette discrimination. Quand plus de 5.000 personnes manifestent pour défendre la même cause, tu réalises que tu n’es pas folle, que tes demandes sont légitimes et qu’il faut continuer de lutter. Quelque chose de phénoménal s’est passé quand j’ai réalisé cela. Ça restera à jamais ancré dans ma mémoire.”

Les conséquences des ROI

Ces règlements semblent anodins, tant les discriminations envers les femmes musulmanes visibles sont anciennes et normalisées. Pourtant, ils ont un impact. Peur, dépression, angoisse… Les effets de l’exclusion sont profonds.

“J’ai fait une dépression quand j’ai voulu aller dans une classe préparatoire et que l’on m’a imposé de retirer mon foulard prétextant que je devais “comprendre” suite aux attaques de Charlie Hebdo. Psychologiquement, c’était dur. Une fois que ça t’arrive, tu as constamment peur de revivre une exclusion”, explique Sarah Tulkens, co-initiatrice du mouvement HFB et fondatrice de la plateforme Belge Comme Vous.

“Je ne comprends pas comment on peut considérer normal que j’abandonne mes études à cause d’un habit et que d’autres personnes exercent un contrôle total sur mon corps”, complète Fatima-Zohra Ait El Maâti, fondatrice de Imazi.Reine et co-organisatrice de la manifestation de 2020.

“Nombre de femmes renoncent à leurs rêves, revoient leurs ambitions à la baisse. Le constat est assez violent !”, déplore Sarah Tulkens. En effet, nous avons consulté des dizaines de témoignages de femmes musulmanes contraintes à revoir leur plan d’études. Sur les groupes de networking sur les réseaux sociaux, il est fréquent de voir des femmes rechercher des établissements “hijab friendly”. Lorsque leur école de prédilection les discrimine, elles doivent trouver d’autres moyens d’acquérir les connaissances, choisissent un cursus par défaut… ou encore quittent la Belgique. Leur parcours est parfois rallongé par ces recherches d’alternatives, voire interrompu.

Souhaïla Amri, le 5 juillet 2020 à Bruxelles, lors de la manifestation du mouvement Hijabis Fight Back. © Abdulazez Dukhan

La récente autorisation de la Fédération Wallonie-Bruxelles permettra donc un choix d’études plus conséquent pour toutes ces femmes reléguées au second plan. Toutefois, Sarah Tulkens insiste : cette autorisation ne concerne que l’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les ROI sexistes existent donc toujours dans le pays. Ainsi, les lieux de stage sont régulièrement soumis à des ROI proscrivant les signes convictionnels. C’est notamment le cas pour les étudiantes aspirant à devenir enseignantes, comme Souhaïla Amri.

Plus de 20 ans de discrimination

Belgique, décembre 1997 : la Justice est saisie pour la première fois. Six étudiantes d’une école supérieure n’avaient pas pu se réinscrire car leur école (Haute École Libre de Bruxelles Ilya Prigogine) interdisait le port du foulard pendant les stages. Le tribunal des référés de Bruxelles a rejeté leur demande. À cette époque, le sujet divisait déjà la société pendant que les femmes musulmanes – comme Malika Hamidi – prenaient la parole dans la sphère médiatique afin de se réapproprier le débat.

Pourquoi cette interdiction a-t-elle été établie au fil du temps ? Les trois militantes sont unanimes : il s’agit essentiellement de sexisme et d’islamophobie institutionnalisée. En effet, le foulard n’est pas uniquement interdit dans l’enseignement. Loisirs, emploi, fonction publique… Les musulmanes visibles ne sont manifestement pas les bienvenues dans l’espace public. La violence perpétrée à leur encontre est largement répandue. D’après le Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique, plus de 90 % des victimes d’islamophobie sont des femmes.

Fatima-Zohra Ait El Maâti souligne l’aspect néocolonial des ROI en se référant aux cérémonies de dévoilement ayant eu lieu lors de la colonisation en Algérie. Elle souligne d’ailleurs une contradiction : “C’est devenu trendy de mettre en place des cursus sur la décolonisation. Je trouve cela hypocrite de ne pas décoloniser les ROI !”

Pour Souhaïla Amri, les femmes musulmanes sont emprisonnées dans une dualité stéréotypée. “On projette une image sur les femmes, et plus particulièrement sur les femmes musulmanes. Quand elles ne correspondent pas aux stéréotypes, on a du mal à les accepter”, explique-t-elle. Ainsi, soit on prétend les sauver d’un patriarcat musulman les obligeant toutes à porter le foulard, ce qui confère le bon rôle aux institutions discriminantes. Soit on les criminalise. Ces femmes sont, effectivement, souvent publiquement accusées d’être l’étendard du radicalisme islamiste.

La lutte continue !

Quelques mots vont changer dans les règlements d’ordre intérieur, mais ce qui devrait évoluer, ce sont les mentalités !

“Il serait naïf de penser que ces filles seront totalement les bienvenues en septembre, car les professeurs seront toujours les mêmes”, alerte Fatima-Zohra Ait El Maâti. En effet, certain·es enseignant·es ont défendu ces ROI. “Quand des filles ont essayé de porter des accessoires couvrants comme un bandeau, c’est ces mêmes professeurs qui ont mis ces élèves à la porte ou qui leur ont fait des remarques islamophobes. Quelques mots vont changer dans les ROI, mais ce qui devrait évoluer, ce sont les mentalités !”, signale-t-elle, désillusionnée.

Rien n’est acquis quand il s’agit des droits des minorités. “On ne doit pas se laisser endormir, avertit Sarah Tulkens. On a l’impression que les choses s’améliorent, mais il ne faut pas longtemps pour que les débats s’enflamment. À chaque fois qu’on pensait être mieux acceptées et représentées dans l’espace public, quelque chose a ébranlé ce qu’on pensait acquis.”

En juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs estimé que l’interdiction du port du foulard sur le lieu de travail n’était pas discriminatoire, pile un an après la manifestation Hijabis Fight Back.

Gender mainstreaming, des raisons d’y croire ?

Ce 11 juin 2021, le Conseil des ministres a adopté le Plan fédéral Gender mainstreaming présenté par la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, Sarah Schlitz (Ecolo). Comment s’articulera sa mise en place concrète ? Quelles en sont les garanties ? Et pourquoi faut-il rester vigilant·es ? Décryptage d’un dispositif dont l’application a jusqu’ici peiné.

CC Dana Rvana / UN Women Europe and Central Asia

Le gender mainstreaming (GM), on en entend parler depuis longtemps. La première fois, c’était en 1985, lors de la 3e Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes à Nairobi. Dix ans plus tard, le GM devient un engagement des États membres lors de la Conférence de Pékin. En 1998, il constitue une recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui encourage son utilisation en tant qu’instrument pour incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux dans les secteurs public et privé.

La mission dans laquelle s’engage le gouvernement fédéral est ambitieuse.

La Belgique adopte en 2007 la “loi gender mainstreaming” qui l’engage à intégrer cette approche dans toutes les étapes des politiques publiques. Mais de l’adoption à l’application, il y a un fossé. Le GM a été intégré durant les précédentes législatures dans plusieurs politiques, mais de façon très limitée et insuffisante. Les associations féministes l’ont rappelé régulièrement et n’ont cessé de se mobiliser pour exiger l’application de la loi de 2007, dans les matières socioéconomiques en particulier. On pense notamment à leurs critiques à l’égard des réformes des pensions opérées depuis 2011, avec des conséquences désastreuses pour les femmes.

Aujourd’hui, presque 15 ans plus tard, va-t-on enfin voir se développer ce “concept-méthode” ? C’est ainsi que le nomme Réjane Sénac pour souligner son aspect à la fois théorique (la nouvelle approche de l’égalité qu’il insuffle) et pratique (l’outillage technique qu’il nécessite pour s’inscrire dans les pratiques des différent·es acteurs/trices des politiques publiques).

Consultation des concernées

Pour préparer ce plan, la secrétaire d’État Sarah Schlitz a organisé au printemps dernier une large consultation des associations et collectifs de femmes francophones et néerlandophones. Une expérience inédite et l’illustration de la nécessité de faire du GM un instrument participatif. Les associations de femmes ont pu partager leurs observations, faire remonter les problématiques rencontrées sur le terrain afin de pouvoir identifier plus finement les dysfonctionnements institutionnels à l’égard des femmes et, sur cette base, émettre des propositions et points d’attention.

En matière de lutte contre la pauvreté ou de télétravail, les associations de femmes ont souligné la nécessité de tenir compte du travail reproductif.

Sur les questions environnementales par exemple, elles préconisent la mise en œuvre de mesures collectives pour éviter que ne s’ajoute à la charge mentale des femmes une charge environnementale. Sur la santé, les associations de femmes ont rappelé que les politiques de santé mentale devaient tenir compte de la violence fondée sur le genre, sachant que la violence engendre des problèmes de santé et réduit l’espérance de vie. En matière de lutte contre la pauvreté ou de télétravail, elles ont souligné la nécessité d’intégrer à la réflexion le travail reproductif. Sur les enjeux liés à l’asile, elles préconisent la mise à disposition d’interprètes féminines lors des entretiens ou la formation du personnel des centres d’accueil aux questions de genre… Les idées ne manquent pas.

Inégalités structurelles et historiques

Dans le Plan fédéral GM 2021-2024, on peut lire en introduction : “Une politique intègre la dimension de genre quand elle a été établie en tenant compte des éventuelles différences de situation qui existent entre hommes et femmes, de son impact sur ces situations, et qu’elle contribue à réduire ou à éliminer des inégalités entre femmes et hommes. Pour que le gender mainstreaming soit efficace, il est important de prendre en compte les inégalités structurelles et historiques entre les hommes et les femmes, ainsi que la question des violences de genre. Il faut par ailleurs considérer l’intégration de la dimension de genre dans une perspective intersectionnelle.”

À côté de balises qui donnent confiance pour la mise en oeuvre effective du plan, plusieurs éléments nécessitent de rester vigilant·es.

Par ces mots – que nous soulignons en gras –, on comprend que le gouvernement veille à ne pas reproduire un écueil du GM : celui de “se baser sur une lecture froide des données chiffrées à un instant T, sans prise en compte des inégalités structurelles qui touchent les femmes ni de l’historique des mesures qui les ont déjà impactées”, comme nous l’expliquait Vanessa D’Hooghe, chargée d’étude à Vie Féminine, à propos des pensions. Prendre en compte les inégalités structurelles et historiques permet aussi d’éviter de “noyer” l’égalité femmes-hommes dans les politiques d’égalité des chances. Un “risque” que permet aussi d’éviter la perspective intersectionnelle. En effet, la notion d’intersectionnalité, en plus de marquer une intention nouvelle de faire du GM un outil qui tienne compte des femmes dans toute leur diversité, permet aussi de “poursuivre une politique de l’égalité dans laquelle le genre ne disparaît pas, mais où il conserve un rôle clé en tant qu’axe de domination”.

180 mesures

La dimension de genre sera intégrée dans les politiques fédérales qui pourraient avoir un effet différent sur les hommes et les femmes et engendrer des inégalités entre les sexes. Autant dire que le menu est copieux. Le plan comprend plus de 180 mesures. Le socioéconomique y est fort représenté – notamment des politiques d’emploi, de fiscalité, de pension, d’entrepreneuriat. Le 4e Plan fédéral de lutte contre la pauvreté, prévu pour septembre, figure aussi dans la liste. On retrouve également des engagements en matière d’environnement, de digitalisation, de santé, de justice, de citoyenneté, de mobilité…

Autant dire que le menu est copieux. Le plan comprend plus de 180 mesures.

Pour mettre en œuvre le GM, il s’agira d’abord “d’analyser la composition genrée des groupes ciblés par les politiques” pour ensuite “identifier les différences qui existent entre les situations respectives des femmes et des hommes”. Les deux étapes suivantes consistent à “déterminer si ces différences sont problématiques en termes d’accès aux ressources ou d’exercice des droits fondamentaux” et à “établir des politiques qui tiennent compte des résultats de l’analyse de genre réalisée et évitent ou corrigent les éventuelles inégalités identifiées”.

Coordination et évaluations

“Politique active”, “volontarisme”, “engagements”, tels sont les mots communiqués par le Premier ministre lors de l’annonce de ce plan. Mais le mot “monitoring” retient aussi notre attention. Car assurer une évaluation du dispositif est indispensable à la mise en œuvre effective de la loi, et au suivi de son élaboration, ce qui manquait jusqu’ici. Un groupe interdépartemental de coordination y veillera. Il est composé de coordinateurs et coordinatrices GM désigné·es au sein des cellules stratégiques et des administrations et formé·es au gender mainstreaming, et de représentant·es de l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes (IEFH). Leur mission, outre la collaboration entre les départements fédéraux, a été d’élaborer le Plan GM. Elle consistera prochainement à rédiger un rapport semestriel de suivi de la mise en œuvre du plan fédéral et à approuver les rapports intermédiaires et de fin de législature.

Des statistiques genrées

À côté de ces balises qui donnent confiance pour la mise en œuvre effective du plan, plusieurs éléments nécessitent de rester vigilant·es. Les chiffres, d’abord. La loi de 2007 oblige à ce que chaque ministre veille à la récolte de statistiques ventilées par sexe. En effet, comment diagnostiquer une situation d’inégalités sans chiffres ? Seules 14 administrations fédérales (sur la cinquantaine que compte la fonction publique administrative fédérale) s’y sont tenues pendant la précédente législature.

Parmi les freins qui pourraient mettre en difficulté la réalisation du plan, on peut aussi citer le temps : le temps des formations, le temps du changement de mentalité… Des observations déjà formulées par celles et ceux qui mettent en œuvre le “gender budgeting”, pour laquelle se sont engagés les divers gouvernements belges et à laquelle s’essayent quelques communes (notamment à Bruxelles).

Parmi les freins qui pourraient mettre en difficulté la réalisation du plan, on peut citer le temps : le temps des formations, le temps du changement de mentalité…

Aussi, si le rôle central de l’IEFH dans le suivi de la mise en œuvre du GM est à saluer, il ne faudrait pas oublier les critiques formulées à son égard par des associations féministes qui lui reprochent une approche de “neutralité de genre” qui ne tiendrait justement pas assez compte des rapports de pouvoir structurels entre les femmes et les hommes. Enfin, une politique de GM nécessite de la transversalité. Or, on sait que la Belgique se caractérise par une lasagne institutionnelle complexe…

Être en veille

La mission dans laquelle s’engage le gouvernement fédéral est donc ambitieuse. Les associations de femmes ont désormais, en plus d’une loi, des engagements forts. Ce qui leur permettra de demander des comptes, à condition d’être en veille active. Et les dossiers risquent de ne pas manquer. À commencer par la réforme du droit pénal – inscrite au rang des politiques qui devront intégrer le genre – dévoilée quelques jours après l’annonce du Plan GM par le ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld). Le projet de loi comporte deux volets : les agressions sexuelles (dont le viol) et la prostitution. Une réforme qui “permet de dépoussiérer le Code pénal de son héritage patriarcal et d’imposer une meilleure prise en compte du vécu des victimes tout en envoyant un signal clair aux auteurs de violences sexuelles”, annonçait Sarah Schlitz en avril dernier. Pourtant, à en croire des associations féministes rassemblées dans le réseau FACES (réseau des Associations Féministes Contre les Exploitations Structurelles), le ministre de la Justice n’a pas chaussé ses lunettes de genre… Un faux départ pour le GM au fédéral ? Une première mise à l’épreuve du dispositif, en tout cas.

Dans les écoles, filles et garçons combattent le sexisme des règles vestimentaires

Depuis septembre 2020, un vaste mouvement de protestation mobilise les jeunes élèves contre les règlements d’ordre intérieur sexistes dans les écoles. Certaines écoles précisent comment les filles doivent s’habiller et leur enjoignent de ne pas perturber les garçons. Ce mardi 22 juin 2021, une manifestation a été organisée devant le cabinet de la ministre de l’Éducation Caroline Désir (PS). axelle y était.

Astrid (19 ans), photographiée à la manifestation du 22 juin 2021 devant le cabinet de la ministre Caroline Désir : "J’ai eu des remarques car on voyait un bout de mon corps entre mon t-shirt et mon pantalon : cela "excitait" les garçons. Difficile de se défendre face aux adultes qui mettent la pression et qui peuvent faire un chantage aux notes. Chaque matin, c’est l’angoisse de devoir s’habiller." © Coralie Vankerkhoven, photo et légende, pour axelle magazine

[Une première version de cet article a été publiée sur notre site au mois de juin 2021. Cette version-ci, mise à jour, est extraite de notre dossier de septembre, “Vêtements à l’école : jeunes femmes contre vieux règlements”. À lire aussi : “Quelle rentrée académique pour les étudiantes musulmanes visibles ?”]

“Laissez nos corps tranquilles.” C’est ainsi que débute un texte écrit par Louise (le prénom a été modifié), 17 ans, et adressé à ses professeur·es d’une école de la Région bruxelloise. Il s’agit pour elle de dénoncer des comportements et des remarques de leur part qui ciblent tout particulièrement les tenues vestimentaires des jeunes filles.

Astrid (19 ans), photographiée à la manifestation du 22 juin 2021 © Coralie Vankerkhoven pour axelle magazine

Louise rejoint une vague de protestation, commencée le 14 septembre 2020, rassemblant filles et garçons autour du sujet des tenues vestimentaires acceptées à l’école. Ce jour-là, en Belgique et en France, des filles étaient venues à l’école habillées de mini-jupes et de crop tops (des t-shirts courts qui laissent apparaître le ventre) pour critiquer les règles en vigueur dans les établissements scolaires, les discriminations sexistes et la culture du viol. Nombre d’entre elles ont dû rentrer chez elles pour se changer, manquant des heures de cours, ont été sanctionnées ou ont reçu des remarques dans leur journal de classe.

En ligne de mire des élèves : le règlement d’ordre intérieur des écoles (ironiquement résumé par les lettres qui forment l’acronyme “R.O.I”) qui précise les règles vestimentaires à suivre à l’intérieur de l’établissement. Chaque établissement établit son propre R.O.I.

Des remarques qui visent les filles

“Il ne manque plus que les talons hauts et tu finiras au bois”

“Je n’ai pas été victime moi-même de ces remarques, mais c’est le cas de ma petite sœur de 13 ans, explique Louise à axelle. Les filles, parfois très jeunes, reçoivent ces remarques destructrices. À l’une d’entre elles, un adulte de l’équipe pédagogique a dit : “Il ne manque plus que les talons hauts et tu finiras au bois”… Entre élèves, on ne se fait pas ce genre de commentaires, mais cela semble toléré de la part des adultes.”

Louise parle d’un choc entre générations, mais pas forcément avec ses professeur·es les plus âgé·es. “Ce sont des adultes dans la vingtaine ou la trentaine qui font ce genre de remarques aux filles. Ils ont bien assimilé les normes dominantes et ils les répètent sur nous”, analyse-t-elle.

Dans certaines écoles, les arguments vont jusqu’à expliquer qu’il s’agirait d’apprendre aux filles à “se respecter” ou même… à ne pas “provoquer” les garçons. C’est le cas d’une école wallonne qui, en mars 2021, a envoyé une lettre aux parents dans laquelle on pouvait lire ceci : “Certaines arborent des décolletés ou des blouses très courtes qui attirent le regard des jeunes élèves masculins en plein maelstrom hormonal.” La lettre continue en indiquant que si une agression se produisait aux abords de l’école, “il sera alors trop tard”. Une formulation qui fait porter la responsabilité d’une agression sur la potentielle victime et les vêtements qu’elle portait…

Instaurer le dialogue

“C’est le regard des garçons et des hommes qui dicte le comportement des femmes. Ça ne va pas, les hommes n’ont pas à avoir la mainmise sur la manière dont s’habillent les femmes”, analyse, quant à elle, Louise. Elle explique être scolarisée dans une école à pédagogie active. “Ici, on tutoie les professeurs et on peut leur dire quand on n’est pas d’accord avec eux, avec respect bien sûr. Du coup, on essaie de déconstruire leurs arguments sur les vêtements des filles par le dialogue.”

On demande que les professeurs qui tiennent des propos sexistes soient recadrés.

Dans son école, un groupe de filles et garçons volontaires a été créé et rencontre les professeur·es sur la question du règlement d’ordre intérieur. Louise en fait partie. “On demande que les professeurs qui tiennent des propos sexistes soient recadrés. On ne veut pas que les stéréotypes soient transmis à la génération d’après. On pense aussi que l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVRAS) est une piste, pas que pour les élèves mais aussi pour les professeurs qui ne sont pas formés à ces questions, ni à propos du féminisme par exemple. ”

Ce dialogue semble bénéfique : “Un éducateur a déjà dit qu’il allait essayer de modifier le R.O.I car il est écrit qu’il faut porter une “tenue convenable”. C’est très subjectif, on peut l’interpréter comme on veut”, poursuit-elle.

Louise a aussi proposé que le texte qu’elle a écrit soit publié dans le journal de l’école. “Cela a été refusé, car ils estiment qu’il est trop scandaleux. J’adore écrire, notamment des dissertations, et je suis féministe, ces questions me font vibrer. Après le 14 septembre, on a eu une discussion pendant le cours de morale, avec une professeure très bienveillante et à l’écoute. J’ai pris note des arguments et j’ai aussi utilisé les réseaux sociaux pour récolter des avis et des témoignages. C’est comme ça qu’est né ce texte. L’école m’a proposé de le réécrire, et au début, j’ai essayé. Je pense maintenant qu’il traduit un état d’esprit et qu’il est important de le garder tel qu’il est. Je ne suis plus d’accord avec certaines choses que j’ai écrites, mais le texte permet de faire passer une émotion. On ne convainc pas uniquement avec des arguments”, précise-t-elle.

Des règlements “farfelus mais surtout sexistes”

Lola (33 ans) et sa fille Elza (12 ans), photographiées à la manifestation du 22 juin 2021 devant le cabinet de la ministre Caroline Désir : “Elza a été renvoyée de l’école parce qu’elle portait un short et des leggings opaques. On lui a reproché qu’on voyait ses genoux. Nous étions outrées… ! L’affaire a fait grand bruit. Il est important de garder un dialogue avec l’école : depuis, un travail est amorcé avec tous les acteurs, pouvoir organisateur, parents, élèves…” © Coralie Vankerkhoven pour axelle magazine

Le mouvement de protestation est désormais international. Outre en France et en Belgique, des garçons et des professeurs masculins au Canada et en Espagne sont notamment venus en cours en portant des jupes contre les discriminations sexistes. Tout récemment dans notre pays, début juin, Elza (prénom d’emprunt), 12 ans, avait été renvoyée chez elle pour se changer après que sa tenue a été jugée “incorrecte”, ce qui a relancé le débat autour des règlements d’ordre intérieur (axelle a également rencontré Elza et sa maman Lola à la manifestation du 22 juin 2021, voir ci-dessus).

Cela avait incité la Secrétaire d’État à l’Égalité des Genres, Sarah Schlitz (Ecolo), à réagir, dans les colonnes de La Dernière Heure : “De la transparence d’un collant à l’épaule découverte, les règlements d’ordre intérieur des écoles secondaires sont souvent farfelus mais surtout sexistes”, a-elle déploré. “Les règlements qui font une différence entre la tenue des garçons et des filles renforcent la binarité et la pression à une période où les élèves sont en recherche, découvrent leurs corps et changent énormément. La question de la tenue vestimentaire doit être traitée avec empathie et délicatesse”, indiquait-elle.

Le cabinet de la ministre de l’Éducation Caroline Désir (PS) a également publié une mise au point suite à cette affaire : “Les règlements d’ordre intérieur relèvent des prérogatives du pouvoir organisateur mais ils doivent évidemment respecter des principes de droit, notamment en matière de non-discrimination. La ministre Désir défend le modèle d’une école inclusive et égalitaire, qui n’est pas compatible avec une règle qui conduirait à écarter une jeune fille dont la tenue est jugée provocante alors que des garçons pourraient, par exemple, venir en short à l’école.”

Manif et pétition

Une manifestation a lieu ce 22 juin, devant le cabinet de la ministre Caroline Désir, organisée par le comité des élèves francophones (CEF). axelle y était (voir le reportage photo illustrant cet article).

Une jeune fille souhaitant rester anonyme témoignait lors de la manifestation du 22 juin 2021 : “J’ai reçu des remarques parce que l’on voyait trop mes hanches. Je portais simplement un jeans. On entend de tout : comme quoi, on se met en danger, qu’on n’a pas de respect de soi-même…” © Coralie Vankerkhoven, photo et légende, pour axelle magazine

Une pétition contre les règlements d’ordre intérieur discriminants a également été lancée. Les élèves demandent “des écoles et des règlements d’ordre intérieur libres de toutes formes de discriminations. Il faut fixer des critères clairs et objectifs sur ce qui est autorisé ou non. Il faut aussi pouvoir justifier et expliquer d’éventuelles interdictions. Des écoles démocratiques, où chaque voix (y compris celles des élèves) compte et où chacun·e peut avoir son mot à dire sur le fonctionnement et les règles de vivre-ensemble (comme le prévoit le Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement). Les élèves doivent être associé·es à la rédaction des règles en matière vestimentaire et c’est avec l’ensemble du personnel éducatif que doit être défini collectivement ce qui est permis ou non comme tenue à l’école. Des écoles citoyennes, où tous les actrices et acteurs de l’école (direction, profs, éducateurs et éducatrices, personnel technique et d’entretien) et les élèves sont formé·es contre le sexisme et toutes formes de discriminations.” Autant dire que le mouvement pour plus d’égalité à l’école ne fait que commencer.

Et si, auprès des mères, revenait l’aide familiale ? (Oui, mais pas à n’importe quelles conditions…)

Au fil des évolutions de la société, le métier a changé. De soutien aux familles, l’aide familiale est passée à l’accompagnement des personnes dépendantes. Les besoins des mères ? Effacés, jusqu’à devenir un impensé, malgré des situations d’urgence. Ainsi qu’on l’analyse à la lecture d’une recherche-action récemment menée par Vie Féminine sur la maternité, il est temps de réinventer ce métier : le maillon manquant, en présence d’enfants dans une famille, d’une réelle prise en charge sociétale.

© Marion Sellenet pour axelle magazine

Pendant 20 ans, dans les années 1970 et 1980, Claudine Marx a exercé dans la province de Luxembourg son métier avec passion : aide familiale. “On partait avec notre valise le lundi, parfois jusqu’à la fin de la semaine…”, pour soutenir des familles nombreuses, relayer une mère malade, à moins que ce ne soient les enfants, quand la situation devenait trop compliquée au sein d’un couple, ou lorsque les parents souffraient d’assuétudes…

La mission de l’aide familiale : épauler la micro-communauté en difficulté, en accord avec elle et pour un temps déterminé. Selon les besoins exprimés, faire les courses, les repas, s’occuper des enfants au retour de l’école, prendre en charge le lavage et repassage du linge ou même aider à la gestion du budget (le métier d’aide-ménagère n’existait pas encore). “Notre présence permettait de maintenir les familles à flot, d’améliorer certaines situations”, se souvient Claudine Marx.

L’offre s’est spécialisée

À partir des années 1990, en réaction à une série de changements sociaux et économiques – dont l’accession plus généralisée des femmes au monde du travail, ou le vieillissement de la population, notamment –, l’offre des services à domicile a évolué. Elle s’est spécialisée (aide familiale, aide-ménagère, aide-soignante, garde-malade, repas à domicile, transports spéciaux…), suivant l’augmentation des besoins de soin aux personnes dépendantes, de plus en plus souvent isolées. Actuellement, seulement 10 % des heures disponibles sont consacrées aux familles, contre 70 % il y a une trentaine d’années. Et pourtant, le nombre d’heures disponibles a augmenté ; mais pas suffisamment pour répondre ne serait-ce qu’aux demandes des personnes en situation de dépendance…