Cet article prolonge une série de six articles consacrés aux programmes politiques des partis suivants côté francophone du pays : DéFI, Ecolo, Les Engagés, le MR, le PS et le PTB.
À l’approche des élections, le projet « Één stem voor gelijke kansen » (« Une voix pour l’égalité des chances ») rassemble les analyses de plusieurs associations : Çavaria (LGBTQI+), GRIP (handicap), Kif kif (racisme), et le Netwerk tegen Armoede (pauvreté). Et, parmi elles, RoSa a décortiqué les propositions des partis concernant l’égalité des genres.
Polarisation
Sa directrice Bieke Purnelle déduit des observations réalisées une polarisation importante entre deux groupes de partis. Du côté des partisan·es d’une approche axée principalement sur la prévention, notamment en matière de prise en charge des violences sexuelles, on retrouve Groen (pendant néerlandophone d’Ecolo), Vooruit (parti « frère » du PS) et le PVDA-PTB (seul parti belge unitaire et national, c’est-à-dire qu’il n’est pas divisé selon l’habituel clivage linguistique).
Dans leur programme, ces trois partis se penchent par exemple sur la prise en charge et la réinsertion des auteurs de violences, à l’inverse du groupe de partis situés plus à droite sur l’échiquier politique : libéraux/ales de l’Open Vld, droite plus dure de la N-VA et extrême droite du Vlaams Belang (VB). La Belgique a été condamnée plus d’une fois par la Cour européenne des droits de l’homme à cause de la surpopulation carcérale, poursuit Bieke Purnelle. Ces condamnations sont totalement niées par l’Open Vld, la N-VA et le VB. Ces partis soutiennent même des mesures qui aggraveraient la situation. Par exemple, N-VA et VB prônent davantage de sévérité, et donc des peines de prison plus longues pour les personnes condamnées.
Trois propositions dures du VB
Le parti d’extrême droite Vlaams Belang parle une seule fois de violences entre partenaires et intrafamiliales, pour recommander une « keiharde aanpak », une « approche super dure », purement répressive. Aucune analyse n’est faite des causes ou de l’échelle de la problématique, s’avise RoSa. En matière de violences sexuelles, le VB glisse trois propositions : d’abord, que les mineur·es soient à partir de 16 ans jugé·es comme des adultes. Le VB veut également introduire un contrôle à vie des condamnés pour tous les crimes graves, comme le viol. Enfin, le VB souhaite que les juges puissent imposer une castration chimique et un traitement thérapeutique aux auteurs d’abus sexuels, pendant et après la captivité. Ces propositions ne respectent pas les droits humains fondamentaux – et aucune ne se place vraiment du côté des victimes dont les besoins fondamentaux dépassent largement la Justice pénale, de la prévention des violences à leur réparation… Remarque de la directrice de RoSa : aucun des partis flamands ne parle des violences sexuelles dont sont victimes les hommes.
Nuances
À partir de la présence – ou non – d’une section spécifique consacrée aux droits des femmes dans les programmes, la chercheuse Robin Devroe pose un constat un peu moins net sur cette division en deux blocs. En effet, si le parti social-démocrate Vooruit (ex-sp.a) fait une large place aux droits des femmes dans son programme et développe dans une sous-section nombre de propositions transversales, les libéraux/ales de l’Open Vld le font également. Et s’étonne la chercheuse, Groen, parti considéré comme progressiste, ne prend par contre pas la peine de faire un focus particulier sur les femmes, alors que son programme est traversé par une volonté d’inclusion. Quant aux pages du CD&V (le pendant des Engagés), la moisson s’avère un peu maigre : seuls quelques éléments spécifiques à la situation des femmes affleurent dans certaines propositions, notamment concernant le travail ou l’accueil de la petite enfance.
Égalité pour « tous les flamands »
Dans son programme extrêmement court, le VB aborde peu de sujets en lien avec l’égalité femmes/hommes. Mais, estime Bieke Purnelle, ce n’est pas parce que le parti évite le sujet, sans doute par stratégie, qu’il n’a pas d’orientation précise. À la lecture des 80 pages du parti noir ainsi que de sa brochure concernant la famille, Robin Devroe relève quant à elle que les propositions en matière d’organisation du travail et de l’accueil de la petite enfance sont sous-tendues par l’objectif que les femmes belges fassent davantage d’enfants. Elle souligne également une phrase du programme fustigeant la « culture woke » (qui prône une analyse intersectionnelle, c’est-à-dire croisant les effets des systèmes de dominations) : elle « emprisonnerait » la société. Selon le VB, s’il faut faire référence à l’égalité des chances, il s’agit de l’égalité des chances de « tous les flamands », sans distinction entre les femmes et les hommes.
L’entre-deux de la N-VA
Le positionnement de la N-VA se situe dans un entre-deux, estiment nos deux intervenantes. Le parti de Bart De Wever consacre une sous-sous-section à l’égalité entre les femmes et les hommes, indique Robin Devroe, mais sous un narratif d’égalité des chances pour n’importe qui, plutôt que de prise en compte des discriminations spécifiques à certains groupes. Extrait : « Nous nous opposons fermement à une politique identitaire basée sur le sexe, l’orientation sexuelle ou l’origine. Nous continuons à investir dans une société flamande inclusive avec un cadre de valeurs partagé sans catégorisation. Nous garantissons l’égalité des droits pour tous… »
Le programme de la N-VA spécifie ensuite : « Aucune atteinte ne peut être portée à l’égalité entre les femmes et les hommes », mais le parti n’estime pourtant pas l’imposition de quotas nécessaire à une meilleure représentation des femmes, l’effort ayant, selon lui, déjà porté ses fruits. Extrait : « Nous continuons à nous concentrer sur cela, y compris au niveau fédéral. Le gouvernement a en effet un rôle d’exemple et doit être le reflet de notre société. Cela peut se faire parfaitement sans paternalisme et en adoptant une politique des ressources humaines proactive et axée sur les compétences, où « la meilleure femme/l’homme le plus compétent est à la meilleure place », sans quotas. » Plutôt conservateur, le programme montre cependant un « intérêt » pour l’intersectionnalité, assez orienté. Exemple concernant les violences faites aux femmes : l’accent est mis sur les mutilations génitales ou les mariages forcés. En d’autres mots, la violence surviendrait surtout dans d’autres cultures…
Sur le sujet de l’avortement, point de rupture durant la dernière législature, Bieke Purnelle observe que l’on retrouve un clivage éthico-culturel entre, d’une part, Groen, PVDA-PTB, Vooruit et Open Vld – de tradition progressiste sur ces thématiques – et, d’autre part, le CD&V, la N-VA et le VB. Les premiers se positionnant par exemple en faveur d’un allongement du délai de la pratique de l’avortement jusqu’à 18 semaines (contre 12 actuellement). Le CD&V propose pour sa part 14 semaines. À noter encore que la légalisation de la GPA dite altruiste, à laquelle s’opposent des associations féministes, est une mesure portée par Groen, et l’Open Vld a même déjà déposé une proposition de loi dans ce sens.
Le Vlaams Belang est crédité dans les sondages de plus de 25 % des intentions de vote. La N-VA monte à environ 23 %. Bien que son président Bart De Wever ait assuré que son parti ne gouvernerait pas avec le Belang, rien n’assure qu’il ne changera pas d’avis après le résultat des élections. Pour le respect des droits des femmes, ce ne serait vraiment pas une bonne nouvelle.