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En exclusivité, portion de la couverture du prochain numéro, imaginée par Jeanne Saboureault.
Savez-vous que nous n’avons jamais manqué un seul numéro depuis 1998 ? C’est à peine croyable ! Parce que nous aimons passionnément ce que nous faisons. Parce que vous, nos lectrices et lecteurs, nous faites confiance. Parce que la mission de notre magazine, faire exister les femmes dans l’actualité, est plus que jamais nécessaire. Et parce que nous commençons à avoir une voix dans le paysage médiatique, notamment grâce à l’intérêt grandissant autour de nos « façons » de pratiquer un certain journalisme féministe.
Mais notre modèle d’organisation amène certaines formes d’insécurité, et une grande charge de travail. Nous avons donc décidé, afin de nous concentrer sur notre mission et sur les nombreux projets journalistiques en cours, d’entamer une réflexion autour du magazine, de son organisation, de sa gouvernance. Et afin de nous donner le souffle suffisant pour mener à bien cette réflexion, pour continuer à penser et à rêver, nous avons décidé, en tous les cas pour 2025, de passer en trimestriel à partir du prochain numéro.
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Le trouble du spectre autistique (TSA) est un trouble permanent qui touche principalement le développement du langage, les interactions sociales et les capacités de communication socio-émotionnelle. En Belgique, on estime qu’environ 80.000 personnes seraient concernées. On ne devient pas autiste, on naît autiste, quelque part sur un spectre dont la largeur est telle qu’on pourrait dire qu’il y a autant « d’autismes que d’autistes », pour reprendre les mots de Lucille que nous avions interviewée dans le cadre d’un précédent article. Si certains symptômes du trouble peuvent être détectés dès la petite enfance, de trop nombreux cas passent sous les radars jusqu’à l’âge adulte, notamment chez les personnes autistes sans déficience intellectuelle (SDI). Les femmes sont particulièrement sous-diagnostiquées, victimes d’un biais de genre qui entrave leur prise en charge précoce. Durant leur longue errance médicale, elles évoluent dans un environnement inadapté à leurs besoins spécifiques, une situation qui entraîne de graves répercussions sur leur santé mentale et physique. Pour mesurer l’étendue du problème, nous avons récolté la parole de plusieurs femmes concernées et de spécialistes du sujet.
C’est l’histoire d’une souffrance mentale et physique qui n’a trouvé aucun écho. D’une errance médicale qui traverse l’enfance, l’adolescence et s’échoue sur des stéréotypes à la peau dure. Ce sont trois histoires qui racontent l’invisibilisation des minorités de genre sur le spectre de l’autisme, et comment on en arrive là.
Lea
Un matin de 2005. Dans une chambre du service psychiatrique, Lea attend les infirmières. Si elle a atterri ici, c’est pour reprendre du poids, reprendre des forces, reprendre vie. Quand une jeune fille de 13 ans arrête de manger, c’est forcément qu’il s’est passé quelque chose, un traumatisme, un élément déclencheur… Alors on cherche, on questionne, on examine. Mais Lea, elle, ne sait pas. Et les médecins, elles/eux, ne trouvent pas. Cette première hospitalisation, c’est le signal de départ d’un engrenage infernal qui se met en route, des hospitalisations qui s’enchaînent et des prescriptions de médicaments qui s’empilent. Et les années passent, comme ça, entre des médecins qui patinent et d’autres qui considèrent que, finalement, ce sont peut-être juste les caprices d’une enfant gâtée et manipulatrice. Pour attirer l’attention. Aucun diagnostic clair n’est posé, tout reste flou, vague, nébuleux. Lea avance comme elle peut, à tâtons, avec sa souffrance arrimée au corps et à la tête.
Alors elle fait des efforts, beaucoup, tout le temps, pour essayer d’avoir l’air « normale ».
Alors elle fait des efforts, beaucoup, tout le temps, pour essayer d’avoir l’air « normale ». Elle doit masquer l’énorme décalage qu’elle ressent entre elle et les autres, essaye de répondre à ce qu’on attend d’elle et de son comportement social. Elle est constamment en dehors de sa zone de confort, et cette adaptation sans relâche lui coûte tellement d’énergie que, fatalement à un moment, elle craque. Et c’est retour à la case hôpital, encore et encore. Pourtant, personne ne demande à Lea comment ça se passe dans sa vie, en dehors des murs de la chambre du service psychiatrique. Elle a l’impression qu’on finit par se contenter de mettre des pansements sur son mal-être à grands coups de pilules et de thérapies. C’est que Lea n’entre pas dans les cases, celles qu’on apprend à l’université lorsqu’on se prépare à devenir un·e professionnel·le de la santé mentale. Alors elle reste là, coincée dans un no man’s land médical qui ne fait qu’aggraver son état.
Loë
Comme tous les matins de la semaine, Loë1 est assise dans le bus. L’endroit où elle est le mieux finalement, un endroit tampon entre la maison et l’école. Mais plus la fin du trajet approche, plus l’anxiété monte. Viscérale. Parce qu’elle sait déjà ce qui va lui tomber dessus aujourd’hui : les moqueries, l’exclusion, le harcèlement. Tous les jours le même scénario. Un scénario qui se répétera inlassablement de 2015 à 2018, les trois premières années de ses études secondaires. Trois longues années à devoir faire face à ces autres adolescent·es qui, elle ne sait pas pourquoi, la détestent. À tel point qu’elle finit par se détester elle-même. À 13 ans, les idées noires sont omniprésentes dans sa tête.
Pourtant Loë en fait des efforts, déjà rien que d’ouvrir la bouche pour parler, lever la main pour répondre, jouer à touche-touche avec les autres, ça lui demande de sortir de sa zone de confort.
En primaire déjà, c’était compliqué, mais différemment. Loë, c’était une enfant douce et sage, tellement sage que ses institutrices rêvaient « qu’ils soient tous comme ça ». Elle ne participe pas beaucoup en classe, c’est vrai, et il faudrait quand même « faire un petit effort ». Pourtant Loë en fait des efforts, déjà rien que d’ouvrir la bouche pour parler, lever la main pour répondre, jouer à touche-touche avec les autres, ça lui demande de sortir de sa zone de confort. Mais c’est une petite fille, les petites filles calmes et timides, cela n’a rien d’exceptionnel finalement. Elle se rend bien compte que, déjà, les autres ne veulent pas trop jouer avec elle.
Elle réalise alors que si elle veut que ça change, elle ne pourra compter que sur elle-même.
À la maison, c’est une autre paire de manches. Loë pique de violentes colères, jusqu’à frapper ses sœurs. Tout ce qui bouscule ses envies ou ses habitudes lui fait perdre les pédales. Ses parents diront même que sa « crise des 2 ans » durera jusqu’à ses 18 ans. Ses devoirs prennent des heures, tous les jours, dans les cris et les larmes. Alors ses parents ont pris rendez-vous chez un psychologue, pour tenter d’apaiser les choses, mais ils abandonnent après trois consultations, parce que cela n’a pas l’air de servir à grand-chose. Et puis, c’est cher.
Vers 17 ans, elle touche le fond, se dit qu’elle est un fardeau pour ses proches, n’a plus d’intérêt pour rien, ne sait plus qui elle est. Consulte à nouveau, mais ça ne mène nulle part. Elle réalise alors que si elle veut que ça change, elle ne pourra compter que sur elle-même.
Alice
Alice (prénom d’emprunt) a 39 ans, et d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle s’est toujours sentie bête. Stupide. Incapable de comprendre ce qui a pourtant l’air si facile pour les autres. Comme inadaptée à un monde dont elle n’arrive pas à déchiffrer le mode d’emploi, un peu comme s’il y avait une masse compacte, les autres et elle, seule, juste à côté. Spectatrice d’une pièce de théâtre géante dans une langue qu’elle ne connaît pas.
Ce qui commence comme un jeu devient une lutte quotidienne pour exécuter des gestes d’une banalité apparente mais qui sont pour elle une torture de chaque instant.
Très jeune elle comprend que c’est elle qui devra s’adapter, si elle veut survivre dans cet univers complètement illisible, pour que ça se passe mieux, pour qu’on la laisse tranquille. Ce qui commence comme un jeu devient une lutte quotidienne pour exécuter des gestes d’une banalité apparente mais qui sont pour elle une torture de chaque instant. Regarder les gens dans les yeux lorsqu’ils lui parlent ? Malaisant. Faire la bise ? Dégoûtant. Faire des courses dans un supermarché ? Terrifiant. Toucher une éponge à vaisselle ? Insurmontable. Le rapport à la nourriture devient aussi compliqué, très compliqué. À l’adolescence, elle trouve refuge dans l’alcool, enfin quelque chose qui l’aide à s’apaiser, à anesthésier ce corps dont elle se sent de plus en plus souvent dissociée. Et elle commence à boire, beaucoup. En rhéto, le poids trop lourd de ce mal-être devient insupportable, elle ne veut plus de cette vie et fait une tentative de suicide. Mais la vie la rattrape de justesse.
Une coccinelle dans un monde de guêpes, c’est comme ça qu’Alice se sent, partout, tout le temps.
Autour d’elle, personne ne comprend vraiment ce qu’il se passe et pendant ce temps, dans sa tête, toujours comme une impression de hurler en silence, dans le vide. Rapidement, elle quitte l’école, persuadée de n’avoir aucune compétence intellectuelle et commence à travailler. Elle rencontre alors des personnes qui abusent de sa fragilité. Subit des violences conjugales à répétition. Une coccinelle dans un monde de guêpes, c’est comme ça qu’Alice se sent, partout, tout le temps. Son entourage minimise : c’est « un peu banal les histoires d’amour qui tournent mal, c’est pas si grave » ; « Il faut juste vouloir s’en sortir ». Une dépression, ça n’a rien d’exceptionnel, surtout quand on est une femme. Mais Alice, elle sait que c’est plus profond que ça. Que c’est enraciné beaucoup plus loin. Que ça la transperce jusque dans les muscles, elle qui a des spasmes dans les membres supérieurs dès que l’anxiété est trop forte. Et elle tient comme ça pendant des années, comme au bord d’une falaise. Et puis, à 37 ans, tout lâche et elle s’effondre. Burn-out.
Le mauvais genre
Lea, Loë et Alice sont autistes, mais ne l’ont découvert qu’à l’âge adulte. Selon les organismes de référence, dont l’Organisme mondial de la Santé (OMS), on estime qu’environ un à deux pour cent de la population mondiale est autiste et que la proportion serait d’une femme pour quatre hommes. Si l’on resserre le faisceau sur l’autisme dit « léger » (voir encadré en fin d’article), on passe à une femme pour neuf hommes. Mais cette prévalence masculine est remise en question par plusieurs chercheurs/euses qui ont mis en lumière l’impact du biais de genre sur les diagnostics autistiques. Il n’y aurait pas moins de femmes autistes que d’hommes, elles passeraient plus souvent sous les radars. Mais pourquoi ?
Il n’y aurait pas moins de femmes autistes que d’hommes, elles passeraient plus souvent sous les radars.
Pour Cédric Detienne, psychologue clinicien spécialisé dans l’autisme, « il y a à l’origine un biais de genre qui date des années 1940, lorsque les psychiatres Leo Kanner et Hans Asperger ont défini les premiers contours de l’autisme en observant majoritairement des petits garçons. Et ils ont construit leurs outils de diagnostic [comme le test ADOS, une échelle d’observation encore très utilisée aujourd’hui, ndlr] sur base de ces premières données. » Mais voilà, l’autisme ne s’exprime pas de manière tout à fait similaire chez les filles et chez les garçons. Si les filles ont souvent de meilleures compétences de langage, elles subissent aussi très tôt des injonctions genrées qui leur assignent des comportements sociaux spécifiques : on attend d’elles qu’elles soient calmes, plutôt discrètes, qu’elles ne parlent pas trop fort. Qu’elles ne prennent pas trop de place. Qu’elles développent aussi de meilleures interactions sociales, poussées à écouter et prendre soin des autres. Les premiers signaux sont donc souvent brouillés.
Et les stéréotypes de genre ne s’arrêtent pas devant la porte des cabinets de consultation ; certaines pathologies comme la dépression, l’anxiété ou l’anorexie, reconnues comme des comorbidités de l’autisme, restent considérées comme plutôt féminines. D’après Cédric Detienne, « on ne peut pas nier qu’il y a un biais de genre dans le cadre des consultations, un rapport de pouvoir, d’autorité qui a un impact sur la manière dont les femmes sont diagnostiquées ». Le biais de genre dans les soins de santé en Belgique a d’ailleurs fait l’objet d’une étude réalisée en 2023 par Svetlana Sholokhova, chargée de recherche en santé. Spoiler : oui, les stéréotypes de genre que l’on constate dans d’autres sphères de la société se reproduisent dans notre système de soins de santé et oui, les minorités de genre sont désavantagées dans le diagnostic, le traitement et le suivi de leurs pathologies.
En dehors de la sphère médicale, les représentations ne sont pas beaucoup plus inclusives : les clichés de l’autiste non verbal ou surdoué restent masculins et prédominants ; ils occupent plus de place dans l’espace médiatique et public. Difficile donc de s’y identifier en tant que femme ou personne non-binaire… Or, ces représentations jouent souvent le rôle de déclic, de point de départ pour un cheminement vers le diagnostic.
Se camoufler et… survivre
Sans ce diagnostic, ces femmes autistes tâtonnent pour survivre dans un monde que leur cerveau ne permet pas d’appréhender et de comprendre naturellement. Elles mettent alors en place des stratégies (parfois consciemment, souvent inconsciemment), redoublent d’efforts constants d’autorégulation, de contrôle de soi et de concentration qui les épuisent. C’est ce qu’on appelle le camouflage social, un mécanisme de suradaptation dans lequel, souvent, elles excellent mais qui n’est pas sans conséquence pour leur santé physique et mentale.
C’est ce qu’on appelle le camouflage social, un mécanisme de suradaptation dans lequel, souvent, les femmes autistes excellent mais qui n’est pas sans conséquence pour leur santé physique et mentale.
Invisibilisées, elles souffrent fréquemment d’isolement, de dépression sévère ou de troubles graves de l’alimentation, ont une plus grande vulnérabilité face aux violences psychologiques et sexuelles, des difficultés pour trouver et garder un emploi, une propension aux addictions de drogues ou d’alcool, des risques de burn-out chronique, ou encore des pensées suicidaires plus fréquentes que la moyenne. La liste est longue.
En 2022, la neuroscientifique Fabienne Cazalis et son équipe publient les résultats d’une étude menée en France auprès de 225 femmes autistes et les résultats sont glaçants : 90 % d’entre elles ont déjà été victimes d’agressions sexuelles. Une étude suédoise de 2016 réalisée par les chercheurs/euses du Karolinska Institutet a mis en avant un autre constat effrayant : les femmes autistes présentent un risque de mortalité multiplié par 9 comparé aux femmes du même âge exemptes de TSA, notamment par suicide, dont le risque est multiplié par 7,5 par rapport à la population « normale ».
Coach certifiée accompagnant des adultes autistes en pré- et post-diagnostic, Marlene Nuhaan voit passer régulièrement des femmes que l’on a mises dans les mauvaises cases. Elle nous explique : « Une femme autiste non diagnostiquée en détresse et au bout du rouleau est vite diagnostiquée comme dépressive, bipolaire ou ayant un trouble de la personnalité, avec parfois une médicalisation (ou une automédication, voire une addiction) qui en rajoute aux dégâts déjà causés par le manque d’écoute et de reconnaissance. Et vu qu’on ne sait pas grand-chose des manifestations de l’autisme chez les femmes, on ne va pas chercher plus loin… »
Le manque de soignant·es suffisamment formé·es et informé·es joue un rôle prépondérant dans ces diagnostics tardifs. Clara (prénom d’emprunt), étudiante en dernière année de psychologie clinique, estime que les spécificités de l’autisme adulte sont peu abordées dans son cursus universitaire. « J’ai eu, pendant toutes mes études, un seul cours en dernière année dans lequel on a abordé cette thématique, notamment via des témoignages. Et deux séminaires qui traitaient de cette matière mais qui étaient des cours à option. Le focus est plutôt mis sur le diagnostic des enfants. » Pour se spécialiser, il faut donc s’y intéresser par soi-même et choisir de creuser le sujet via un stage, par exemple.
Un diagnostic peut coûter entre 300 et 600 euros, une barrière de taille quand on sait que l’autisme a souvent des répercussions sur l’accès à l’emploi, et donc fatalement sur les ressources économiques.
S’il existe quatre centres de référence pour l’autisme en Fédération Wallonie-Bruxelles, seuls deux proposent des diagnostics pour adultes. Et encore, puisque le CHU Brugmann n’accepte que les patient·es âgé·es de maximum 30 ans et pour le SUSA (Service Universitaire Spécialisé pour personnes Autistes), le plafond est limité à 35 ans. Quant au CRAL (Centre de Ressources Autisme de Liège), il affichait… 16 ans d’attente pour une consultation avant de, finalement, fermer son service de diagnostic pour adultes en 2022. Ces centres sont subventionnés par l’INAMI et donc plus accessibles financièrement, à condition d’arriver à obtenir un rendez-vous. Les délais sont plus courts dans le privé (quelques mois) mais les praticien·nes sont rares et les consultations moins bien remboursées. Un diagnostic peut coûter entre 300 et 600 euros, une barrière de taille quand on sait que l’autisme a souvent des répercussions sur l’accès à l’emploi, et donc fatalement sur les ressources économiques.
D’après Marlene Nuhaan, « il y a, en matière d’autisme, deux Belgique. La Flandre est plus avancée sur ces questions, avec des jeunes auteurs comme Elise Cordaro et Magali De Reu qui sont fort médiatisées, et Peter Vermeulen, l’un des plus grands chercheurs actuels en autisme qui a créé Autisme Centraal, un centre d’études et de formations résolument moderne et à jour. En Flandre les choses bougent depuis une quinzaine d’années, en suivant les avancées dans les pays anglophones et de nos voisins nordiques. Côté francophone, nous pouvons compter sur une main les personnes compétentes en matière de diagnostic d’autisme adulte. »
La formation des soignant·es apparaît, unanimement, comme un enjeu majeur.
La formation des soignant·es apparaît, unanimement, comme un enjeu majeur. Dans une sorte de tiercé gagnant, une formation de qualité, combinée à une plus grande accessibilité au diagnostic et à une déconstruction profonde des stéréotypes, garantirait une meilleure prise en charge des minorités de genre sur le spectre de l’autisme. Plus tôt, et avec plus de bienveillance.
La prise de conscience de cette invisibilisation est assez récente et rencontre encore des résistances au sein du corps médical, mais Cédric Detienne est optimiste : « Depuis les années 1990-2000, on observe un changement culturel et social de la représentation de l’autisme, notamment grâce à l’amplification des témoignages via les réseaux sociaux, mais aussi des séries TV. Les choses sont en train de changer, la prise en considération de la voix des femmes autistes est plus grande, le train est en marche et les professionnel·les de la santé n’auront pas d’autre choix que de le prendre. »
Depuis qu’elle a eu son diagnostic, Lea n’a plus séjourné en psychiatrie. Elle cherche toujours l’accompagnement et le rythme de travail adapté qui lui permettront de vivre plus sereinement. Loë a entrepris des études supérieures pour devenir éducateur spécialisé, avec pour projet d’ouvrir un centre d’accompagnement pour personnes autistes. Iel a mis en place des aménagements dans sa vie de tous les jours pour mieux anticiper les crises autistiques dues au bruit, au stress, à l’imprévu. Quant à Alice, elle a reçu un pré-diagnostic qui lui permet petit à petit de mettre des limites dans les gestes du quotidien. Elle est sortie du cercle vicieux des relations d’abus et a recommencé à travailler. Elle ne boit plus d’alcool depuis trois mois.
1. Loë est non-binaire mais était perçu comme fille jusqu’à ses 20 ans, raison pour laquelle le texte est genré au féminin.
Dans un ouvrage paru en mai 2024 aux éditions du Seuil, Christine van Geen, philosophe, autrice, professeure et journaliste, analyse le mythe tenace de « l’allumeuse ». Elle explique de quelle manière il justifie les violences faites aux femmes et permet « d’éteindre » leurs désirs.
Christine van Geen : "Marilyn, par exemple, c’est un mythe. Elle n’a jamais existé que dans l’imagination de ceux qui l’ont fabriquée." Image extraite de la bande-annonce du film "Niagara" (1953), distribué par la 20th Century Fox, domaine public, via Wikimedia Commons
Éditions du Seuil 2024.
Pourquoi vous a-t-il semblé important d’écrire ce livre ?
« Ce livre part du sentiment d’avoir toute ma vie dû faire attention à ne pas occuper trop l’espace, à ne pas rire trop fort, à ne pas danser de façon aussi exubérante, à ne pas prendre la parole pour dire tout ce que j’ai à dire, dans la mesure où toutes ces manifestations d’existence sont souvent comprises et détournées comme quelque chose qui potentiellement déclenche des comportements dangereux pour les femmes. Aujourd’hui, j’approche des 50 ans et je réalise que j’ai moins besoin de cette prudence parce que je suis moins regardée. Toute ma vie, on m’a demandé de m’éteindre, et maintenant qu’on me sexualise moins, j’ai le droit de m’allumer davantage ? Ce n’est pas normal. Toutes les filles devraient avoir le droit de briller, de s’allumer, de brûler dès qu’elles commencent à vivre, sans que ce soit pris à mauvais escient. »
Toute ma vie, on m’a demandé de m’éteindre, et maintenant qu’on me sexualise moins, j’ai le droit de m’allumer davantage ? Ce n’est pas normal.
En quoi la figure de l’allumeuse est-elle un « mythe » ?
« Le mythe de l’allumeuse nous fait croire que certaines femmes, voire toutes les femmes, ont une capacité magique à vouloir déclencher le désir chez les hommes, sans qu’on sache si elles veulent aller jusqu’au bout ou non. C’est un mythe très ancien. Adam et Ève déjà, c’est une histoire de tentatrice, d’allumeuse. C’est aussi pour cette raison que j’ai appelé mon essai « Genèse d’un mythe », en référence à l’Ancien Testament. La Genèse, c’est ce livre dans lequel on nous raconte qu’Ève aurait tenté Adam, et l’aurait fait choir, lui et toute l’humanité. Or, si l’on regarde le texte de près, ce n’est pas cela que ça raconte. Quand on relit l’histoire, on voit que l’un et l’autre ont été tentés ; l’un et l’autre ont cédé à la tentation. Le mal, c’est de ne pas répondre de ses actes, de ne pas dire « Je l’ai fait, j’assume la responsabilité ». Adam se défausse sur Ève. Et ça va retomber sur elle, et sur toutes les femmes après elle. La genèse de cette idée est que les femmes sont coupables, qu’elles sont des tentatrices par essence. Il y a plein d’autres figures mythiques et mythologiques, des personnes de fiction, qui incarnent cette idée que les femmes déclencheraient chez les hommes des pulsions qu’ils ne pourraient pas réprimer. Toutes ces histoires, quand on regarde bien, ne parlent pas de tentatrices, mais de frustrations, de peurs, d’impuissance, d’angoisses, qui ne peuvent pas être regardées en face par les dominants. Par les hommes en l’occurrence. Et ce qu’on n’arrive pas à regarder en face, on va le projeter chez l’autre, la femme. »
Dans ce mythe, il y a toute la violence de la domination. Il s’agit de dire que celles qui sont victimes de la domination, celles qui se font violer, abuser, sont en fait coupables.
Quel lien entre l’allumeuse et les violences faites aux femmes ?
« Le mythe de l’allumeuse a un rôle dans la construction patriarcale. Il permet de dire aux femmes : « Que vous vouliez ou que vous ne vouliez pas, c’est la même chose. Vous allumez le désir. Par conséquent, il ne faut pas vous étonner quand les hommes, tout embrasés, vont, eux, jusqu’au bout ». C’est l’alibi tout trouvé aux violences sexistes et sexuelles. La culture de l’allumeuse, c’est la même chose que ce qu’on appelle la culture du viol. C’est sa racine. En disant qu’il y a des allumeuses, on dissout la notion de viol, on la rend impossible à définir et à comprendre. Dans ce mythe, il y a toute la violence de la domination. Il s’agit de dire que celles qui sont victimes de la domination, celles qui se font violer, abuser, sont en fait coupables. On dit « Si les femmes n’allumaient pas, elles ne seraient pas violées », comme on dit « Si les pauvres travaillaient, ils ne seraient pas pauvres ». On inverse le schéma. Toutes les structures de domination fonctionnent comme ça. Pour qu’elles se perpétuent, elles doivent accuser la victime d’être la coupable. »
Qu’est-ce que la notion d’allumeuse fait aux femmes ?
« Dire que les femmes allument, et elles seules, puisque « allumeuse » n’existe pas au masculin ou du moins pas dans le même sens, c’est considérer que le désir est asymétrique selon les genres. Tandis que les femmes ont pour rôle d’allumer, on ne sait jamais ce qu’elles font alors dans le sexe ; elles sont là pour susciter du désir, pas pour jouir. De l’autre côté, les hommes seraient complètement absents dans le fait de susciter le désir : ils attendent. Ils attendent que les femmes soient jolies, fassent les belles. Et une fois allumés, ils font ce qui serait attendu d’eux dans l’acte sexuel : pénétrer. Cette façon de voir rend le consentement impossible à penser.
Dans cette vision, il n’y a pas de place pour le désir des femmes. Elles sont uniquement vouées à susciter le désir des hommes. Leur corps appartient à l’autre. Et de fait, quand on est une femme, on a davantage tendance à vérifier qu’on est agréable, séduisante, etc. On n’habite pas son corps comme les hommes. Je pense parfois à cette expérience de mort imminente, on dit qu’on voit son corps de l’extérieur, qu’on flotte au-dessus. Eh bien, en tant que femme, on n’a pas besoin d’être en train de mourir. Moi, je vois mon corps de l’extérieur en permanence. On est tout le temps en train de se regarder dans un miroir, c’est-à-dire de regarder son corps comme si on n’était pas dedans. Or pour jouir de la vie, il faut être dedans. Ça se vérifie dans les comportements alimentaires. On ne mange pas avec la même insouciance quand on est une femme, on fait « attention ». Ça se voit aussi dans le rapport des femmes à leur plaisir sexuel. Les femmes ont plus de mal à avoir des orgasmes que les hommes. Je ne crois pas du tout que ce soit une affaire biologique. Je pense que c’est vraiment parce que les femmes ne sont pas dans leur corps. Parce qu’il faut être séduisante, allumer un peu, provoquer du désir, et, en même temps, être provocante, c’est mal, et si on est provocante, comme on nous le répète, « il ne faut pas s’étonner » qu’il nous arrive les pires déboires. »
Dans une première partie, le livre revient sur les figures mythiques qui peuplent nos imaginaires (Ève, Lolita, Marilyn…). Dans la seconde partie, il s’appuie sur des rencontres avec « de vraies personnes ». Pourquoi cela vous a semblé important de mener ces entretiens avec des femmes ?
« Les témoignages permettent de montrer que ces vieux mythes existent bel et bien et sont encore très présents aujourd’hui. « Allumeuse », c’est un « mot-bâillon », c’est un mot qui dit « Tu as cherché à me séduire et à partir de là, tu ne peux plus rien dire, c’est normal que mon désir maintenant s’exerce sur toi, jusqu’au bout, sans que tu n’aies plus rien à dire ». « Allumeuse » étant un mot-bâillon, il est essentiel d’enlever le bâillon, d’écouter la voix de celles qu’on a construites comme des allumeuses.
Toutes les filles devraient avoir le droit de briller, de s’allumer, de brûler dès qu’elles commencent à vivre, sans que ce soit pris à mauvais escient.
Marilyn, par exemple, c’est un mythe. Elle n’a jamais existé que dans l’imagination de ceux qui l’ont fabriquée. C’est important d’écouter sa voix à elle, de montrer comment ça s’est passé pour elle. Elle le décrit admirablement, ce mécanisme de la projection. Elle explique que quand les gens voyaient Marilyn, ils voyaient en fait quelque chose qui émanait d’eux-mêmes. C’est cinématographique, comme un projecteur au sens littéral. L’écran, c’est Marilyn et sur cet écran, les imaginaires s’y projettent. Mais ces choses, qu’on pense voir là où elle est, viennent en fait du projecteur. »
Depuis 2021, SéOS, Service d’Écoute et d’Orientation Spécialisé, répond aux questions des personnes aux fantasmes sexuellement déviants. Marie-Hélène Plaëte, sa coordinatrice, et Bélinda Noé, écoutante, nous en parlent. Prendre en charge les (potentiels) agresseurs est une nécessité, selon ces professionnelles, aussi pour les victimes.
Propos recueillis par Véronique Lauren et Sabine Panet
Psychologue et criminologue, Marie-Hélène Plaëte travaille pour l’Unité de Psychopathologie Légale (UPPL), centre de référence wallon de prise en charge des délinquants sexuels qui a initié, en 2021, le service de prévention SéOS. La psychologue Belinda Noé a quant à elle longtemps travaillé avec des victimes. Rencontre.
Pourquoi avoir créé SéOS ?
Marie-Hélène Plaëte : « Des personnes ont cherché de l’aide mais n’en ont pas trouvé ; les professionnels ne sont pas suffisamment formés et expérimentés, et reçoivent difficilement ce type de patients. L’idée était d’offrir un espace de parole anonyme pour faire le point sur leur situation et, le cas échéant, leur proposer une orientation vers un thérapeute spécialisé, qu’on supervise, à l’UPPL, et dont on connaît la compétence. L’objectif est d’éviter un passage à l’acte, même s’il n’est pas exclu d’avoir en ligne des gens déjà condamnés, ou qui sont passés à l’acte. »
À qui s’adresse ce service ?
M.-H.P. : « ‘Fantasmes sexuels déviants’, c’est large et compliqué à définir. A priori, on a le droit de fantasmer sur qui on veut, ça ne fait de mal à personne. Mais ces fantasmes sont susceptibles de générer de la souffrance, pour la personne elle-même ou pour autrui. Les questions des appelants peuvent être très diversifiées : fantasmes déviants pas seulement à l’égard des enfants, consentement, sexualité inadéquate, etc. Des situations qui posent question et font souffrir. Des proches appellent aussi. Il n’y a pas beaucoup de lieux où on peut parler de tout ça… »
Comment se déroule un appel ?
M.-H.P. : « On n’a pas de protocole. On sait ce qu’on ne fait pas : culpabilisation et rappel à la loi – sauf si une personne le demande. On fonctionne au cas par cas, partant de la demande de l’appelant, de ce qu’il attend, de sa situation, ses références, ses origines culturelles, et on va l’accompagner un bout de chemin. La toute grande majorité demande de l’aide. On travaille avec une approche humaniste, dans le respect des personnes telles qu’elles sont, ne se réduisant pas à l’acte commis. Même si ce n’est pas toujours évident. »
Bélinda Noé : « Il faut vraiment être costaud en tant que professionnel. On est toujours deux. C’est important, ce binôme, comme soutien, et garde-fou en cas de doute. »
Êtes-vous tenu·e au secret professionnel ?
M.-H.P. : « C’est fondamental qu’il y ait secret professionnel pour aller à la rencontre de ceux qui osent faire la démarche d’appeler. On a travaillé cette question avec un procureur. Le secret professionnel ne peut être levé que quand il y a danger à venir, imminent et pour un tiers identifié. Si c’est le cas, d’où on est, on va mettre tout en œuvre pour mettre ce tiers en sécurité ; aller dans le détail d’une mise en place concrète d’un rempart ; aller voir dans les ressources familiales, amicales ou professionnelles. On a obligation de porter assistance, mais pas de dénoncer. L’accompagnement à la dénonciation est d’ailleurs toujours extrêmement compliqué. Ça n’est pas exclu, mais pas un objectif en soi. Il y a aussi la victime, ce qu’elle souhaite faire, là où elle en est de son parcours… »
B.N. : « On sait que la probabilité d’abus par personne proche est très grande. Il y a des liens affectifs entre l’auteur et la victime, la famille autour. Travailler avec la victime mais ne pas pouvoir le faire avec l’auteur est une souffrance supplémentaire pour la victime. Qui n’arrête pas du jour au lendemain d’aimer son abuseur – père, frère… Il y a là quelque chose de très antagoniste en apparence mais de très présent : la demande des victimes ou des proches de voir l’auteur soigné. Ça peut paraître surprenant au départ, voire choquant. Soigner les victimes, c’est aussi soigner les auteurs : il y a une dynamique fondamentale entre l’approche des victimes et celle des auteurs, indissociables. »
Quel est l’intérêt d’un service tel que SéOS ?
M.-H.P. : « Les études scientifiques montrent que plus on va travailler les facteurs qui ont favorisé le passage à l’acte, plus on va agir sur la façon dont la personne se sent avec elle-même. Plus on va agir sur ses conditions de vie, sur son épanouissement sexuel au sens très large, plus on va diminuer les risques. Avec les appelants, on va travailler sur l’ensemble de la situation. Les études montrent que c’est ça qui fait baisser le taux de récidive : se réinsérer, retrouver une place dans la société. »
Est-ce que ce sont exclusivement des hommes qui appellent ?
M-H.P. : « À l’UPPL, on travaille avec environ 5 % de femmes : un certain nombre sont co-auteures, c’est-à-dire qu’elles commettent des actes avec leur partenaire, parfois sur sa sollicitation, mais pas seulement. On organise aussi des groupes de parole avec des adolescents condamnés. Il y a une grande méconnaissance, de la part des parents, de la sexualité de leurs enfants. Des adolescents sont surstimulés par la pornographie, alors qu’avec leurs pairs, ils en sont encore aux balbutiements – « J’embrasse sans la langue » –, mais ils vont tester avec la petite sœur, la demi-sœur, des positions sexuelles vues dans la pornographie. Les adultes ont une place à prendre dans le contrôle de la consommation de pornographie. Au niveau des ados, il manque vraiment quelque chose. »
B.N. : « Un des rôles de SéOS est de parler de consentement. On réalise que cette notion questionne. C’est important dans une société où le désir de l’homme a toujours été prioritaire. Nous pouvons aider à construire d’autres bases d’appréhension de comportements sexuels, d’autres représentations. »
Infos : www.seos.be, aussi pour des proches qui se poseraient des questions.
Plusieurs milliers de femmes (environ 5.000 en Belgique) se font poser chaque année une bandelette urinaire. Cette petite balançoire placée sous l’urètre doit les libérer de l’incontinence. Mais pour une partie d’entre elles, le soulagement attendu se transforme en cauchemar.
En finir avec l’incontinence urinaire à l’effort, plutôt handicapante quand on aime faire du sport : la promesse a séduit Françoise*, adepte de course à pied et de badminton, mais embêtée par des fuites suite à son accouchement, en 2013. Après moult séances de kiné et tentatives d’amélioration via une sonde, elle se laisse convaincre par la pose d’une bandelette urinaire.
Placé sous l’urètre, cet implant permanent est introduit par voie abdominale ou vaginale, au cours d’une opération chirurgicale assez courte. La plupart des femmes ressortent de l’hôpital le jour même. « Le gynécologue que j’ai consulté m’a assuré que le seul risque lié à la pose d’une bandelette, c’était la rétention urinaire, mais que c’était rare. » Françoise est opérée en février 2022, à Bruxelles, et reprend le travail au bout de trois semaines. Assez vite, elle est prise de violentes douleurs au bas-ventre et retourne voir le médecin qui l’a opérée. « Il m’a diagnostiqué une infection urinaire et m’a mise sous antibiotiques, ce qui n’a rien changé à mes douleurs », rapporte-t-elle.
Entre douleurs aiguës et errance médicale
Obligée de s’arrêter de travailler, elle subit toutes sortes d’examens, passe de services en médecins, se voit prescrire des anti-inflammatoires inefficaces et finit par se dire que tout cela est dû à sa bandelette, ce qu’aucun·e médecin ne lui avait suggéré. « Avec mon mari, on avait commencé à chercher des informations sur Internet. Et entre-temps, d’autres douleurs sont apparues dans ma zone pelvienne, dans mes cuisses, dans le bas de mon dos. Je ressentais comme des cisaillements, ou des chocs électriques. »
Je me suis dit : ma vie est terminée.
Françoise ne peut plus faire grand-chose, tant la douleur est permanente : ni accompagner son fils à l’école ni faire à manger, encore moins avoir des relations sexuelles. « Je me suis dit : ma vie est terminée. Je me sentais morte à l’intérieur. »
Mais Françoise n’est pas seule, et elle découvre au détour d’un groupe Facebook français qu’elle a même de nombreuses sœurs de malheur. « Je ne pouvais plus m’asseoir ni manger avec mes enfants, rapporte Anne-Laure Castelli, présidente de l’association française Balance ta bandelette (héritière du groupe Facebook). Marcher était compliqué. J’étais épuisée. » Beaucoup des femmes qu’Anne-Laure et les autres bénévoles de l’association ont rencontrées, lues ou écoutées, se retrouvent « dans des états suicidaires ».
À cela s’ajoute trop souvent une errance médicale qui peut durer des mois, voire des années avec un mépris du corps médical que les femmes déplorent. « Vous n’avez qu’à changer de position quand vous faites l’amour », s’entend dire Françoise. « Vous n’allez pas m’apprendre mon métier, c’est le stress et la dépression qui provoquent vos douleurs », dit un autre médecin à Anne-Laure Castelli. Comme d’autres femmes, elle se fait opérer du dos, sans que cela ne change rien.
Opération réversible, mais à quel prix ?
« La pose de bandelette urinaire ne doit pas être automatique, mais être envisagée seulement si la kiné pelvienne ne fonctionne pas, intervient Sara Engels, gynécologue à la Clinique de pelvi-périnéologie du CHU Brugmann depuis 2017. Un examen complet et pluridisciplinaire est effectué avant une éventuelle opération. Les risques et effets secondaires sont bien sûr mentionnés. »
Selon sa collègue urologue Johanna Noels, « ce travail en équipe est une condition importante pour bien accueillir les femmes ». Toutes deux ajoutent qu’il est très important que la pose de la bandelette soit faite par des personnes qui sont habituées : « C’est un facteur qui prévient pas mal de complications. On n’a jamais procédé à un retrait à cause des douleurs, mais le retrait est une opération délicate car les bandelettes adhèrent aux tissus. »
« Il faut tasser les fibres des muqueuses une à une, c’est très long, cela peut prendre jusqu’à cinq heures. Retirer les bandelettes, c’est une chirurgie qui n’intéresse pas tout le monde », résume la Québécoise Cynthia Gagné, qui s’est fait retirer sa bandelette en 2019 aux États-Unis par un spécialiste du domaine, le docteur Véronikis, qu’elle a trouvé après des années de douleurs et de galères. Cynthia Gagné a été tellement soulagée qu’elle a décidé de changer de vie professionnelle pour conseiller et accompagner les femmes souhaitant se faire retirer leur bandelette.
En plus des Québécoises, une soixantaine de Françaises et deux Belges ont choisi cette option. Dont Françoise. « Sur place [à Saint-Louis, dans le Missouri (USA), ndlr], on est accueillies dans une grande maison par des femmes qui ont déjà été opérées, on est plusieurs à passer au bloc au cours du séjour. C’est incroyable ce lien qui se crée avec des femmes qu’on ne connaît pas du tout », rapporte Françoise qui n’a pas pu reprendre le sport mais qui peut désormais se tenir assise et marcher. En 2017, une autre femme belge, Katrien, avait dû aller à Londres se faire retirer sa bandelette après neuf années de douleurs constantes.
Les douleurs ne sont pas dans leur tête mais dans leur vagin
Problème de ces solutions lointaines : leur coût, qui peut atteindre 20.000 euros. Au terme d’un long travail de plaidoyer, Cynthia Gagné a pu se faire rembourser par le gouvernement québécois, de même que 155 compatriotes qui avaient comme elle fait le choix d’aller se faire soigner de l’autre côté de la frontière. Elles ont touché l’équivalent de 22.500 euros chacune. « En France, on est 60 à être parties, rapporte Anne-Laure Castelli, à nos frais. À chaque fois, on envoie nos documents à la sécurité sociale, mais on a des refus. Ils nous disent : les retraits se font très bien en France, et ce n’est pasla peine d’aller aux États-Unis. »
Même chose en Belgique. Tout cela désole Cynthia Gagné qui pense que les femmes « méritent ce qu’il y a de mieux » et qui rêve de voir plus de médecins formé·es. « Il faut que ce soit clair pour tout le monde que les douleurs des femmes qui ont des problèmes avec leur bandelette, elles ne sont pas dans leur tête mais dans leur vagin ! »