En mars dernier, la 69e session de la Commission de la condition de la femme (dite « CSW ») était marquée par le 30e anniversaire de la Déclaration de Pékin de 1995. Une déclaration qui avait vu, pour la première fois, 189 gouvernements signer un plan d’action mondial en faveur des droits des femmes avec le soutien de l’ONU. Chaque année, des représentant·es des gouvernements (pour la Belgique, c’est la ministre flamande du Bien-être et de la Réduction de la pauvreté, de la Culture et de l’Égalité des chances, Caroline Gennez, qui a fait le déplacement), mais aussi des ONG, se rendent à cette conférence afin d’échanger, durant deux semaines, sur les questions liées aux droits des femmes. De la session ressort un texte final, ayant pour but de guider les États. Mélissa Camara, eurodéputée française et membre du parti Vert européen, faisait partie de la délégation qui représentait l’Union européenne à New York. Pour axelle, elle revient sur cette édition anniversaire.
Comment est-ce que le contexte international et européen a influencé la CSW ?
« Cette année, nous sommes dans un contexte de backlash, c’est-à-dire de retour de bâton conservateur. On a une coalition internationale d’extrême droite en lien avec des mouvements religieux, en lien avec des organisations réactionnaires, qui pousse un agenda. Le plus bel exemple, c’est ce qui se passe aux États-Unis avec Donald Trump. Quand il a été élu, il a mis en place un agenda réactionnaire. Et cet agenda, on le retrouve déjà directement ici, au Parlement européen. Les liens transnationaux sont visibles. Il est de plus en plus difficile de parler des droits sexuels et reproductifs, même en Europe. On le voit quand les organisations féministes sont sous-financées alors que des organisations anti-choix ou anti-genre sont surfinancées par des forces réactionnaires, par des pays comme la Hongrie ou la Russie.
Il est de plus en plus difficile de parler des droits sexuels et reproductifs, même en Europe.
Le discours dominant actuellement dans les forces politiques européennes, c’est que le patriarcat n’existe pas en Europe. Qu’on aurait atteint des sociétés égalitaires. Dans cette vision, le seul problème des femmes, ce seraient les migrants qui viendraient violer et tuer « nos femmes » et qui viennent de sociétés vraiment patriarcales…. Mais c’est un discours raciste et ultra dangereux, parce que si on estime qu’il n’y a pas de patriarcat en Europe, que l’égalité est atteinte, on n’a pas de politique publique à mettre en place pour arrêter les violences. Pour arrêter les mortes, les agressions sexuelles, les viols. Ce discours met en danger toutes les femmes du continent. Et ce contexte impacte directement les négociations à la CSW. »
Venons-en justement à ces négociations. Pour la 69e édition de la CSW, l’Union européenne a écrit un texte de recommandations. Concrètement, est-ce que ce texte a été suivi ? Quels sujets furent abordés, et par qui ?
« En gros, les États de l’Union européenne se sont mis d’accord pour définir des priorités. C’est assez complexe, parce que l’Union européenne est composée de 27 pays, tous représentés à l’ONU. Mais ils se sont mis d’accord ensemble pour établir des priorités. La Commission européenne a ses priorités, le Conseil aussi, qui représente les États, puis le Parlement européen a rédigé un texte de recommandations.
Le Parlement européen, notamment, a porté une résolution claire, soutenue par les progressistes [S&D, Renew, GUE/NGL, Greens /EFA, ndlr], incluant les droits sexuels et reproductifs, l’intersectionnalité, et la lutte contre la pauvreté genrée. C’est un texte qui est assez intéressant et qui n’a pas été facile à obtenir dans ce contexte de montée de l’extrême droite. Et donc, les États membres étaient censés prendre ce texte du Parlement européen en compte dans les négociations. Mais pour parler en toute franchise, le Parlement européen n’a pas été vraiment impliqué dans le suivi de cette résolution, donc dans les discussions ultérieures. Le texte et ses recommandations étaient clairs, pourtant on ne sait pas à quel point ces priorités ont été prises en compte, et quelles étaient exactement les priorités des négociateurs et négociatrices pour l’Union européenne. Il y a eu un manque de communication et de transparence de la part du Parlement européen.
Concrètement, ce qui a beaucoup été discuté lors de cette CSW, c’est le contexte de backlash. Ce sont les ONG présentes qui l’ont amené dans les discussions, mais aussi des personnalités officielles européennes. Toutes les organisations féministes rencontrées ont parlé de ce contexte difficile, de ce climat hostile aux droits des femmes. Ce climat a été central dans les négociations sur le texte de déclaration politique, mais aussi dans les prises de parole en séance plénière.
Les grands absents du texte final : les droits sexuels et reproductifs.
Mais je voudrais avant tout souligner les grands absents du texte final : les droits sexuels et reproductifs. Aujourd’hui, ils sont l’un des enjeux majeurs dans le monde. L’une des premières choses que font les régimes réactionnaires quand ils arrivent au pouvoir, c’est de s’attaquer aux droits des femmes, et notamment via leurs utérus. Il n’y a pas non plus de mention spécifique des droits des personnes LGBT, alors qu’on sait que l’offensive contre les personnes LGBT est énorme partout. C’est un grand classique de les cibler quand on veut mettre à mal la démocratie. »
Qui sont les femmes qui ont été considérées par la CSW, si toutes ne sont pas citées dans le texte final ?
« L’idée qu’avait l’ONU lors de la création de la CSW en 1946 était de protéger absolument toutes les femmes. En 2025, ce qui a fait la force de ces rencontres, c’est qu’on avait des activistes, des ONG, des États. On avait une représentation assez globale de la diversité des femmes, notamment dans les événements organisés en marge de la conférence qui ont pour but de mettre en lumière des sujets ou des enjeux spécifiques liés aux droits des femmes. La CSW, c’est un moment où les ONG se retrouvent, essayent d’échanger, d’avoir un contact avec des décideurs politiques. Ces moments d’échange permettent de créer les conditions d’un front commun. Mais toutes les femmes ne se retrouvent pas dans le texte final. Oui, effectivement. »
Est-ce que le cadre de la CSW reste pertinent, selon vous, pour défendre les droits des femmes au niveau international ?
« Aujourd’hui dans le monde, aucun pays n’a atteint l’égalité totale. Même les pays les plus avancés. Donc tout est absolument d’actualité. Oui, il y a des limites diplomatiques, on ne peut pas pousser beaucoup plus loin certains États. À un moment, quand on est féministe, parvenir à un consensus sur les droits des femmes, cela crée toujours un texte avec des absences, des lacunes. Mais le multilatéralisme reste important. En tant que militante féministe, je pense que cela ne va pas assez loin, c’est sûr. Une déclaration politique, ce n’est pas forcément contraignant, mais c’est une boussole. Face à cette période de recul, l’Union européenne doit porter une diplomatie féministe forte.
Face à cette période de recul, l’Union européenne doit porter une diplomatie féministe forte.
Je donne un exemple très franco-français, mais quand on inscrit l’IVG dans la Constitution, ça a des répercussions dans d’autres pays. Cela donne du courage à d’autres femmes politiques féministes ailleurs : « Si la France l’a fait, on peut le faire, on peut se battre pour ça ». C’est ça aussi, l’intérêt de cette solidarité internationale : porter une vision féministe du monde et des politiques publiques à mettre en place. Ce qui se passe à Paris, ce qui se passe à Bruxelles ou ailleurs a toujours un impact quelque part. Je pense surtout que la question qu’il faut se poser, c’est : est-ce que cette CSW a un impact positif dans le monde ? Pour moi, réunir des politiques et des activistes du monde entier pendant deux semaines pour échanger sur les droits des femmes, c’est toujours bénéfique. »
N’existe-t-il pas un risque que certains États se cachent derrière leur participation à ce genre d’événements afin de s’abstenir de faire un réel changement politique en matière de droits de femmes ?
« Si, clairement. On pourrait parler de « féminisme washing » de certains États, mais oui, dans ce type d’événement, il y a toujours une forme aussi d’hypocrisie. Mais ça en vaut la peine. Parce que c’est aussi symbolique, en soi. Pour la société civile, ça veut dire quelque chose quand les thématiques féministes sont portées par leurs représentant·es politiques.
Parfois, la lutte est très dure. Parfois, on est découragé·e. Mais il faut continuer d’avancer pour nos droits.
Il y a une phrase que j’ai retenue de cette CSW. Elle vient de Gertrude Mongella, qu’on appelle « Mama Beijing », parce qu’elle était vraiment là au moment de Pékin en 1995. Elle explique que parfois, le chemin paraît long, on est fatigué·e, on veut s’arrêter, mais il faut continuer. Il le faut. Ça résonne en moi. Parfois, la lutte est très dure. Parfois, on est découragé·e. Mais il faut continuer d’avancer pour nos droits. Keep walking. »
La Belgique à la CSW " For all Women and Girls : Rights, Equality, Empowerment". Telle était la thématique de la session de la Commission de la condition de la femme (CSW) 2025. La CSW se réunit chaque année durant le mois de mars à New York, au siège des Nations Unies. Durant deux semaines, des enjeux et thèmes liés aux droits des femmes et des filles seront discutés entre États et ONG. Selon Roméo Matsas, dans des propos rapportés dans les comptes rendus du Conseil Wallon de l’Égalité entre les Hommes et les Femmes (CWEHF), la CSW est le lieu le plus important pour porter des débats au niveau international. Cette année, 110 pays étaient représentés. Caroline Gennez (Vooruit), la ministre du Bien-être et de la Réduction de la pauvreté, de la Culture et de l'Égalité des chances, représentait le gouvernement fédéral belge. Dans ces mêmes rapports, la responsable des droits humains au ministère des Affaires étrangères belge Helena Bergé explique que l’avantage de la Belgique est qu’elle peut facilement faire groupe avec d’autres petits États qui ont souvent le même avis, lui permettant ainsi d’assumer un rôle fondamental dans la lutte contre les inégalités de genre. C’est d’ailleurs la tactique qu’a appliquée Caroline Gennez, qui a pris la parole en accord avec la ministre estonienne Signe Riisalo. Face à la montée des idéologies antiféministes nourries par les mouvements populistes, la ministre flamande estimait que la société civile devait jouer un rôle central dans la lutte contre les inégalités. Selon elle, impliquer les citoyen·nes permettrait que les politiques d’égalité des genres gagnent en intégrité, en efficacité et en résilience. La Belgique et l’Estonie ont également dit miser sur le numérique afin de disposer de données chiffrées en temps réel quant aux inégalités de genre. Que ressort-il des observations confiées au CWEHF par les divers·es observateurs/trices présent·es ? Si plus de 12.000 personnes s’étaient inscrites afin d’accéder aux événements, nombre d’entre elles n’ont pas pu y assister à cause des coûts, visas et diverses mesures de sécurité. Les participant·es étaient en écrasante majorité (90 %) des femmes et avaient a priori plus de 35 ans. C’est également ce que confirme Claire Martinus, qui a suivi une session de la CSW pour la 3e fois. Enseignante-chercheuse en études de genre à l’UMons et à l’université de Lille, elle estime avoir eu de la chance d’être acceptée sur le sol états-unien. D’après elle, de nombreux/euses chercheurs/euses ont été refoulé·es ou retardé·es et sont arrivé·es après la session. Une technique dissuasive qu’Alice Beck, chargée de recherche sur l’égalité des genres au CNCD-11.11.11, qualifie d’intentionnelle. Cette session anniversaire était aussi particulièrement marquée par la présence de "trolls", venus bien préparés afin de perturber et déstabiliser les interventions et événements de la CSW, reflets d’une polarisation et d’une politique anti-genre de plus en plus affirmée aux États-Unis. Quant à la déclaration politique, Helena Bergé déplore qu’elle soit plus courte au fil des années. Une évolution sans doute liée à des négociations toujours plus difficiles entre les pays. Certains États comme la Hongrie promeuvent une politique anti-genre de plus en plus affirmée. Et pour preuve, dans la déclaration de la CSW 2025, deux mots ont été retirés du rapport : "genre" (qui devient uniquement sexe) et "intersectionnalité". En un mot : backlash.


