Racisme dans les arts de la scène

Si le sexisme gangrène la scène, le lourd rideau du racisme systémique y pèse aussi de tout son poids. Lors de la rédaction de notre grand format « #MeToo de la scène, à la peine », paru en avril dernier (n° 263), une comédienne l’avait souligné. Témoignages singuliers pour prise de conscience collective, et ouvertures sur de nouveaux horizons.

© Chimène Vanbremeersch dans le cadre de l’exposition itinérante initiée par Écarlate La Cie et réalisée avec des étudiant·es de l’atelier de Communication visuelle et graphique de l’ENSAV La Cambre. Objectif de l’expo ? Mieux comprendre deux études (Actes 3 & 4) récemment consacrées aux inégalités dans les arts de la scène. Plus d’infos : www.ecarlatelacie.be

Au cours de notre enquête dans le milieu du théâtre, nous avions interrogé Aminata Abdoulaye Hama, tout juste 40 ans, arrivée en Belgique lorsqu’elle en avait 28 pour étudier le théâtre à l’INSAS, l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle et des Techniques de Diffusion. À la relecture des quelques extraits sélectionnés dans l’article, la comédienne a demandé à ce que son témoignage ne soit pas publié dans ce cadre-là : « J’avais pris du temps pour parler de mon vécu, explique-t-elle, et ces choses-là ne sont pas faciles à dire. N’en garder que quelques lignes, c’est un truc récurrent auquel je ne voulais plus participer. Pour moi, le sujet du racisme est fondamental. Parce que je le vis tout le temps, tout le temps, tout le temps. J’aurais réellement aimé n’avoir que deux lignes à en dire, ou qu’on n’en parle même pas, mais c’est ma vie, et elle est très importante. »

« Choc raciste »

La comédienne et créatrice de projets grandit au Niger ; elle ne connaît que de façon théorique l’existence du racisme, cette idéologie discriminante, reposant sur l’idée qu’il existerait une hiérarchie entre les groupes humains, hiérarchie basée sur des critères de couleur de peau, d’origine ou d’appartenance ethnique. La jeune Nigérienne pense que le racisme est une exception, un peu absurde, diffusée surtout par des gens ignorants. La rencontre est synonyme d’enrichissement et non de surplomb ou d’ascendant ; « c’est le monde dans lequel j’ai grandi », nous dit-elle. Mais ça, c’était avant son arrivée en Belgique.

Pour moi, le sujet du racisme est fondamental. Parce que je le vis tout le temps, tout le temps, tout le temps.

L’étudiante d’alors vit un « choc raciste ». Pour le décrire, elle convoque la théorie de la gourde vide : « Moi, j’étais considérée comme une gourde vide, sans rien à offrir, à partager de ma propre culture. Et chacun autour de moi se sentait tenu d’y verser son trop-plein – suivant le principe d’une société occidentale érigée sur la grande idée de mission civilisatrice. Une gourde pleine qui, selon par exemple Victor Hugo et Jules Ferry, se devait de déverser son « surplus » sur les peuples colonisés, dans l’idée « Tu as la chance d’être ici : on va t’apprendre… » » Cette narration à sens unique et ses conséquences, la jeune femme les prend de plein fouet, aussi bien dans sa vie privée que professionnelle.

Système

Dans le milieu des arts de la scène, si des analyses chiffrées prouvent désormais les écarts de possibilités de réussite et de reconnaissance entre femmes et hommes, les discriminations racistes restent encore relativement invisibles. Un rapport de l’anthropologue Jacinthe Mazzocchetti de l’UCLouvain, réalisé en 2023 à l’initiative d’Écarlate La Cie, l’une des pionnières des questions de genre dans le secteur, fait aussi de la place à la problématique « raciale » et décoloniale. Cette recherche en documente les modalités : dévalorisation, délégitimation des personnes racialisées et de leur production, sous-représentation, persistance des stéréotypes…

Si ce n’est pas réfléchi, pas pensé pour toi, c’est que tu ne comptes pas.

Un premier exemple pas si anecdotique ? Quand elle intègre l’INSAS, il n’est pas proposé, dans le matériel du séminaire « Maquillage », de produits adaptés à la couleur de peau d’Aminata Abdoulaye Hama, et la professeure refuse d’en fournir. Ce n’est plus le cas aujourd’hui (voir encadré en fin d’article) mais il a fallu que des élèves racialisé·es de plusieurs promotions se battent pour obtenir des produits adéquats. « Si ce n’est pas réfléchi, pas pensé pour toi, c’est que tu ne comptes pas », condense la comédienne, qui préfère, plutôt que de racisation, parler de racialisation, car ce terme permet de visibiliser le processus de production des hiérarchies raciales.

Représentation(s)

Pour le projet de fin d’études, son professeur assigne Aminata Abdoulaye Hama au seul rôle de Noire de la pièce Les Sorcières de Salem, un personnage de sorcière-esclave qui passe sur scène, sans rien dire, en brandissant des pancartes aux inscriptions racistes. « Il n’y avait que moi qui pouvais jouer ce rôle, me disait-on. » Une situation rencontrée également par Emmanuelle Gilles-Rousseau, 31 ans, comédienne métisse belgo-nigériane. Ayant grandi à Mons, elle commence par se former au cours Florent : « On m’a fait jouer, dans Le Soulier de satin, une scène entre des personnages nommés « La négresse » et « Le Chinois »… Ça n’a choqué absolument personne ».

L’Occident est raciste, parce qu’il a créé le racisme. Les préjugés sont dans l’ADN même de la société et les gens les expriment.

Il existe cette tendance à ne « rendre visibles les femmes et les artistes racisé·es que pour leur faire incarner des stéréotypes réducteurs », constatent notamment les chercheuses Laurie Hanquinet et Carla Mascia dans une étude parue l’été dernier, ce qui restreint leurs opportunités professionnelles et la reconnaissance de leurs compétences. Certain·es rétorqueront que ces œuvres anciennes véhiculent les valeurs de leur temps. Mais elles sont reprises sans réactualisation, sans recul ou réflexion sur un éventuel choix différent d’acteurs/trices ou mise en scène déjouant ces stéréotypes, qui s’en trouvent légitimés, renforcés.

Ce qu’on nous propose, c’est très, très eurocentré.

Et « ce qu’on nous propose, c’est très, très eurocentré », ajoute Emmanuelle Gilles-Rousseau : un ensemble de textes occidentaux qui aligne majoritairement des rôles blancs et masculins. Aminata Abdoulaye Hama prolonge : « On joue peu d’autres auteurs que français, allemands ou anglais ». Pourquoi ? « À l’école, un prof m’a dit : « Il n’y a pas de littérature en Afrique sub-saharienne, il n’y a que des contes ». Mon cerveau a buggé, j’ai cru que j’avais mal entendu. J’ai lui ai cité deux ou trois noms : le livre Batouala, de René Maran, et des penseureuses de la négritude. » La comédienne fait le constat que « l’Occident est raciste, parce qu’il a créé le racisme. Les préjugés sont dans l’ADN même de la société et les gens les expriment. Et c’est d’autant plus difficile à dire, dans le milieu du théâtre, à quelqu’un qui se considère comme ouvert, humaniste, alors qu’il pratique un universel étriqué puisque l’universel, c’est lui… Il n’y a jamais débat ».

Un corps, un rôle

Pour Les Souliers de satin et son rôle de « négresse », Emmanuelle Gilles-Rousseau bataille « avec la prof pour ne pas jouer cette scène nue. Après, ce n’était pas particulièrement par rapport à moi ; elle insistait tout le temps pour qu’on se mette à poil ». Dans les arts de la scène, l’injonction à la nudité est systématisée sous prétexte de dépassement de ses limites et d’amélioration du jeu (voir notre enquête). Les corps autres que blancs sont quant à eux altérisés. Les écoles de théâtre favorisent implicitement ceux répondant à la « norme blanche », rapporte l’article de Laurie Hanquinet et Carla Mascia. Les corps racialisé·es ? « Vu que j’ai toujours été confrontée au racisme, je l’avais intégré comme si c’était normal, sans le remettre en question, raconte Emmanuelle Gilles-Rousseau, mais à partir de mes études supérieures, ça s’est beaucoup joué sur la question de fétichisme – l’intersection entre le racisme et le sexisme. Même si les hommes racisés peuvent aussi être fétichisés, précise-t-elle. Un prof m’a dit que j’avais des formes particulières, de par mes origines afro-descendantes, et qu’il fallait que j’en aie conscience pour les utiliser à bon escient. »  Lors d’un exercice en classe, à partir d’un portrait, les élèves devaient donner trois adjectifs à chacun·e de leurs camarades : « un mot qui revenait pour ma photo, c’était « aguicheuse », c’était mon « rôle-emploi » ».

Des discriminations intériorisées et croisées

« Très vite dans mon parcours, j’ai fait au cinéma une scène de sexe, poursuit Emmanuelle Gilles-Rousseau, où j’étais nue, et assez à l’aise de jouer ça, parce que j’avais compris très rapidement que c’était le rôle dans lequel j’étais mise. Je me disais juste que je dégageais ça. Je n’ai réalisé que beaucoup plus tard cette fétichisation, qui m’a suivie tout au long de ma scolarité et que j’ai certainement, moi aussi, entretenue, dans un cercle vicieux. »

Le public majoritairement blanc et éduqué considère la minceur comme l’idéal : le « neutre » féminin est blanc et mince, et tout ce qui ne l’est pas raconte « autre chose ».

Miriam Youssef se décrit comme comédienne, metteuse en scène, autrice, d’origine arabe, et grosse. Elsa Poisot d’Écarlate La Cie lui demande en 2021 d’écrire un texte sur son parcours. Jusqu’alors, la jeune cinquantenaire attribuait à son poids les discriminations qu’elle subissait. Cantonnée pendant ses quatre années d’études aux rôles de mère ou de putain (« revers d’une même médaille : rondeur maternelle et rondeur sexualisée »), elle se souvient de l’avertissement d’un professeur : « Si tu ne changes pas d’instrument [de corps, ndlr], tu ne joueras jamais que des soubrettes », cliché de la femme de chambre disponible sexuellement. « Je ne pensais pas que c’était à cause de ma couleur de peau. Et je ne le sais toujours pas précisément, reconnaît-elle d’ailleurs, mais le public majoritairement blanc et éduqué considère la minceur comme l’idéal : le « neutre » féminin est blanc et mince, et tout ce qui ne l’est pas raconte « autre chose ». Quand j’ai écrit ce texte sur mon parcours, je me suis rendu compte de la façon dont j’ai invisibilisé à mes propres yeux les discriminations racistes. Il s’agissait d’une forme d’autoprotection : si j’étais discriminée parce que j’étais grosse, ça restait une sorte de choix. Ma couleur de peau, je ne peux rien y faire. »

La charge pédagogique

Suite au rôle reçu dans Les Sorcières de Salem, « j’ai écrit une lettre à mes professeurs pour protester, reprend Aminata Abdoulaye Hama. Ils m’ont convoquée et demandé ce que je voulais ! Personne n’a compris. Je me suis retrouvée dans un désespoir et une solitude extrêmes. J’ai failli tout abandonner, mais je risquais de ne pas obtenir mon diplôme, en plus de mettre en péril le projet collectif : il y avait un rapport de force, une forme de chantage. » L’étudiante obtient finalement un moment de prise de parole à la fin du spectacle, où elle revendique le fait d’être noire. « J’aurais aimé que quelqu’un me dise à ce moment-là : « N’accepte pas ce rôle ». J’ai appelé des camarades pour obtenir du soutien, l’un d’eux m’a dit : « Mais moi non plus, je n’ai pas envie de jouer mon personnage », comme si nos situations étaient comparables… » Conclusion : « C’est la double, triple peine. On nous demande, à nous, personnes racialisées, de faire un travail colossal de prise en charge pédagogique. Je regrette d’avoir joué ce rôle mais cet épisode m’a appris à écouter mon ressenti, à construire mon endroit de refus. »

Mes recherches s’orientent particulièrement sur la manière dont la lutte contre une discrimination peut potentiellement devenir violence pour une autre, et sur comment trouver des vrais ponts en travaillant collectivement.

Pour Aminata Abdoulaye Hama, la prise de conscience de l’existence du racisme se passe à son entrée à l’INSAS. Emmanuelle Gilles-Rousseau en prend quant à elle conscience lorsqu’elle intègre la distribution du spectacle Le Sbeul  (en argot, le mot d’origine arabe « zbeul » est utilisé pour parler de foutoir, de chaos), écrit par des étudiant·es racialisé·es de dernière année et traitant du racisme. « Ça a changé ma vie sur la question identitaire. Et un prof a dit au metteur en scène des choses comme : « Tu n’as pas idée de la violence des mots que tu mets dans la bouche de tes acteurs » ou « C’est du racisme inversé, ce que tu fais »… » Le spectacle, malgré tout très bien reçu par le public des élèves et quelques professionnel·les, trouvera le chemin des scènes d’une vingtaine de festivals. « J’ai poursuivi mes questionnements, principalement sur les questions d’intersectionnalité [un cadre d’analyse qui montre les effets du croisement de différentes discriminations, ndlr], parce qu’au sein d’un collectif, confie encore l’actrice, j’ai malheureusement été victime de sexisme et de violences psychologiques par l’un des membres et, quand j’ai dénoncé, j’en ai été exclue en étant accusée de classisme [c’est-à-dire accusée d’utiliser des préjugés liés à la classe sociale, ndlr]. C’est toutes ces questions qui m’intéressent énormément aujourd’hui. Mes recherches s’orientent particulièrement sur la manière dont la lutte contre une discrimination peut potentiellement devenir violence pour une autre, et sur comment trouver des vrais ponts en travaillant collectivement. »

Dire et faire

« Ce qui m’aide beaucoup, me soigne, c’est l’alliance, la solidarité, la micro-organisation, témoigne encore Emmanuelle Gilles-Rousseau. Par exemple, si je ne suis pas disponible pour un rôle, je le propose à une autre personne sexisée [personne concernée par le sexisme, ndlr] et racisée, ou quand j’arrive sur un projet, je tente d’y intégrer une autre personne racisée. C’est une femme brillante qui s’appelle Sophie Sénécaut, une comédienne et actrice belge, qui m’en a parlé. » Dans la même veine, Aminata Abdoulaye Hama n’intègre jamais un projet si une autre personne racisée n’y participe pas. « Je trouve également important de nommer les choses, ajoute Emmanuelle Gilles-Rousseau. Je le fais dans mon quotidien, mais je pense que c’est hyper important de le faire aussi sur un plateau de cinéma ou de théâtre, sur un lieu de travail, etc. »

J’oublie que je ne suis pas blanche, et c’est le regard de l’autre qui me le rappelle.

Constat contre-intuitif, Miriam Youssef remarque qu’elle a « davantage de boulot aujourd’hui, en tant que meuf de plus de cinquante ans et rebeu [verlan de « beur’, ndlr].«  On peut se poser la question de la « tokenisation », du nom de ce processus de sélection des acteurs/trices racialisé·es, femmes, non valides, etc., juste pour cocher les « bonnes » cases. Il ne faut pas amalgamer tokenisation et bénéfices réels des quotas imposant une diversité, répond Miriam Youssef. Cependant, « je lis toujours tout le scénario, même pour des petits rôles, et je ne les accepte pas si ce que je lis me dérange. Par exemple, jouer la mère d’un jeune rebeu dont la vie est une catastrophe : c’est sans moi ».  Ne pas participer à la réduction de la culture orientale à quelques rôles préétablis stigmatisants, qui peuvent d’ailleurs la mettre mal à l’aise, si on lui demande par exemple de faire le cri du youyou, elle qui ne se vit pas comme biculturelle, parce qu’elle n’a pas été élevée dans la culture égyptienne de son père. « J’oublie que je ne suis pas blanche, et c’est le regard de l’autre qui me le rappelle. » La comédienne creuse l’analyse : « Il ne s’agit pas de juste nous offrir une place dans l’altérisation, où on reste au final toujours à l’écart. Je veux, avec ma couleur brune, pouvoir aussi jouer une Belgo-Belge. » Ces réflexions sur la place des artistes racialisé·es, la mixité, le métissage, les identités plurielles et récits multiples, la comédienne en parle comme d’un terreau fertile passionnant, aussi parce que non dénué d’ambiguïté, voire de contradictions.

Sur toutes les scènes

Le rapport d’Écarlate La Cie décrit les impacts du racisme sur les individus mais élargit les conséquences à la société entière : « La question des narrations est centrale et elle porte en elle un enjeu sociétal majeur : quelle « communauté imaginée », qui fait ou ne fait pas implicitement partie de la « nation », du « nous » […], qui est autorisé·e à se raconter, quels récits sont nommés/perçus comme davantage légitimes, comme partie intégrante du patrimoine, comme « neutres », à portée « universelle », considérés comme plurivoques malgré leur univocité… »

Comme les violences sexistes et sexuelles tuent, le racisme tue aussi.

Les multiples et diverses discriminations vécues sur les planches, et leurs cortèges de conséquences et processus d’autodéfense, sont les manifestations d’un phénomène qui se joue aussi sur d’autres scènes, Aminata Abdoulaye Hama y revient. « On parle de violences systémiques, de gens malmenés, empêchés. Et au-delà de ça, le racisme est un délit majeur, et il tue. Comme les violences sexistes et sexuelles tuent, le racisme tue aussi. Il y a quelques années, il a fallu redire que les vies des personnes racialisées comptent. Le mouvement Black Lives Matter a dû rappeler au monde entier, à des humains, que leurs semblables – consœurs, confrères, voisins, collègues… –, étaient des êtres humains comme eux. C’est terrible de devoir rappeler ça. »

Cancer du sein : les traversées

Comment mener sa barque sur les eaux inquiétantes de la maladie qui bouleverse tout ce que l’on croyait sûr ? Rapport au langage, au corps, à l’identité… : quatre femmes atteintes par un cancer du sein nous racontent comment ce voyage singulier et ses ruptures en cascade les ont déplacées et appelées à se re-situer, de multiples façons.

© Charlotte Garapon pour axelle magazine

« Écoute, j’ai senti quelque chose, m’a prévenue mon compagnon. » Brigitte Wézel, 48 ans, retrace : « En plein Covid, j’ai pu avoir un examen, alors qu’ils avaient été supprimés. Ça a été pris à temps, mais c’était un cancer assez agressif. Une petite chose de 16 millimètres… » Valérie Renard découvre à 53 ans qu’elle a un cancer : « C’était les vacances, mais on m’a fait une ponction assez vite. Les médecins ont découvert deux tumeurs dans le sein droit. » L’annonce, c’est une perte de repères. L’incrédulité, le déni. Ou le sentiment d’injustice et la colère. « J’ai ressenti beaucoup de rage, dit Valérie. Pourquoi encore ça ? Parce que j’ai une vie qui est quand même déjà marquée par pas mal de souffrances. »

J’ai ressenti beaucoup de rage. Pourquoi encore ça ? Parce que j’ai une vie qui est quand même déjà marquée par pas mal de souffrances.

Le diagnostic, c’est aussi l’entrée dans un autre monde au langage étrange® ; tumorectomie, radiothérapie, technique lambeau DIEP« Ce qui m’a tout de suite touchée dans cette traversée, c’est le choix des mots, formule Brigitte. J’ai été envahie par différents termes du protocole que je ne comprenais pas. C’est tout un abécédaire, la « planète cancer » [titre du livre qu’elle écrira en 2023, ndlr], important à connaître pour reprendre sa place dans la relation soignant-soigné. On peut vite avoir l’impression de ne pas être légitime, aussi en tant que femme, face au sachant, au soignant. » Jeune quadragénaire, Juliette Berguet est diagnostiquée dans un hôpital flamand. Elle décide d’en changer : « Il faut que toi ou ton entourage, vous puissiez comprendre les gens qui te parlent et qui vont t’emmener tout ce chemin. » Comprendre, alors que le temps s’accélère. « Une des premières choses, ça a été de dire : « Écoutez, j’ai besoin de temps, de poser des questions », se souvient Brigitte, et de pouvoir formuler des besoins dans le cadre de cette alliance thérapeutique. »

Positions stratégiques

Comme souvent pour parler maladie, le champ lexical du combat est convoqué. Chez Juliette, il exacerbe l’organisation du soutien : « J’ai mis en place une armée autour de ma fille. Je n’avais pas envie d’aller à la guerre seule. » Brigitte s’interroge quant à elle sur « tout ce que notre société nous renvoie de « fight » [combat, en français, ndlr]. Il faut vaincre la maladie, l’ennemie. J’ai vraiment eu envie de me dégager de cette lutte. » La créativité est venue à sa rescousse pour adoucir la façon de communiquer. Avec son fils, elle invente : « tu-vis » remplace « tumeur/tu-meurs », « élixirothérapie » se substitue à chimiothérapie, lésion à cancer. Elle confie que l’expression « ton » cancer ne lui parle pas.

La maladie, personne n’en parle. C’est comme si c’était une honte, le cancer – ou le sida, d’ailleurs… Personne n’a pu m’initier, me dire : « Je suis passée par là ».

Alors que le rythme du traitement évince celui du quotidien, une sorte de dialogue s’entame avec la maladie. « Qu’est-ce qu’elle peut me dire ?, se demande Brigitte. « Et si tu prenais le temps de te poser, soin de toi et de tout ce qui te traverse ? » Là, c’était vraiment une rupture, parce que les femmes prennent beaucoup soin des autres, constate-t-elle. Et sur quoi je peux agir ? C’était vraiment ma question – ça l’est encore. » Pour sa part, Juliette déplore un manque de transmission, notamment dans sa communauté, africaine. « La maladie, personne n’en parle. C’est comme si c’était une honte, le cancer – ou le sida, d’ailleurs… Personne n’a pu m’initier, me dire : « Je suis passée par là ». » Valérie estime que « c’est encore un sujet très tabou. Je vois encore beaucoup de femmes qui n’osent pas en parler ». Honte, peur, ou pudeur.

En terres incertaines

Le rapport au corps estimé défaillant, amoindri, en tous les cas vulnérable, renvoie à notre finitude. Difficile de s’y confronter. Et compliqué, voire impossible, pour certain·es proches ou connaissances. « Le cancer fait peur, il nous renvoie à notre propre mort, convient Brigitte. Pas mal de gens ont disparu de mon entourage. » Des ruptures comme des effilochements. D’autres seront plus franches, Juliette en témoigne : « Une de mes amies me dit, alors que j’étais sous perfusion pendant une chimio : « Tu sais les saloperies qu’on t’injecte dans le corps ? » Que faire de cette information à ce moment-là ? J’ai coupé les ponts. »

Le cancer fait peur, il nous renvoie à notre propre mort. Pas mal de gens ont disparu de mon entourage.

Lors d’un exercice avec un groupe de femmes qui avaient traversé le cancer où il fallait inscrire dans deux colonnes ce que la maladie avait pris/appris, Brigitte constatait la perte, pour les survivantes, « de l’insouciance et d’une certaine légèreté, pour autant que la légèreté ait été là avant, mais la seconde colonne était toujours plus longue ! » Elle poursuit : « La traversée des traitements bouleverse toutes nos couches, qu’elles soient physiques, émotionnelles, mentales, même énergétiques. C’est une totale réorganisation de notre vie. » Ces reconfigurations peuvent s’avérer positives. « Le cancer m’a permis de dire : « J’arrête tout, relate Valérie, et je change d’activité » ». Notamment à Marche-en-Famenne, elle donne désormais des ateliers d’écriture et accompagne des gens qui ont besoin de mettre leur histoire en mots.

Atteintes à la féminité

La maladie traverse le corps, à différents niveaux. Lors de la chute des cheveux, s’il y a chimiothérapie, « on te parle tout de suite de rester belle, attractive », regrette Brigitte. La perte d’un sein, ou des deux, reste une violence, aussi symbolique, parce qu’elle touche à la représentation (maternité ou objet érotique) de la féminité. Mais, médicalement, pas le temps de s’interroger. « Au moment de l’opération, on ne te donne pas le choix : on enlève, puis on reconstruit, souvent pendant la même opération. Et on ne te dit pas que ce n’est pas définitif, énonce Juliette, dont le corps a rejeté la prothèse. Il faut refaire une opération environ tous les dix ans. »

On te parle tout de suite de rester belle, attractive.

Pas d’informations sur les conséquences, a fortiori à long terme, ni sur les alternatives. « Il faudrait avoir le choix », estime Valérie qui a refusé la reconstruction esthétique. « C’était un choix « facile » ; j’avais 53 ans et un passé médical, je ne voulais pas d’intervention supplémentaire. Et je suis toujours une femme, même avec un seul sein. Pour mon mari, ça a été difficile à accepter au début, mais il a respecté. » La reconstruction se fait pour elle au travers d’un tatouage : un motif reprenant des éléments qui font sens dans sa trajectoire, un bateau, une plume… – son site s’appelle Bateau Plume. C’est grâce à l’association française Sœurs d’Encre qu’elle découvre le tatouage thérapeutique et reproduit la démarche en fondant Sein’biose ; en ce début octobre, sept femmes, seins reconstruits ou non, se font tatouer à Marche-en-Famenne. Le projet, gratuit, sera reconduit en 2026.

Un sujet encore plus tabou

La sexualité dans la maladie (et ses conséquences), qui en parle ? Marieke Colpaert est diagnostiquée il y a cinq ans. On lui retire les deux seins, elle passe par une reconstruction puis doit suivre un traitement. La chimiothérapie « change énormément de choses dans ton corps. Tu reçois beaucoup d’informations, concernant la nourriture, les vitamines, les médicaments. Mais d’autres pans ne sont pas abordés. » Les résidus d’agents toxiques utilisés pour combattre le cancer peuvent-ils se transmettre ? Par la salive, l’urine, le sang ? Marieke pose des questions. Elle a un enfant d’un an. Elle apprend que la salive est sans danger, mais peut-elle par exemple toujours faire l’amour avec son mari ? Pas sans précaution (après la chimio, pendant quelques jours, il est ainsi recommandé d’utiliser un préservatif et, pour le sexe oral, une digue dentaire). Quid des changements induits par la combinaison des effets de la ménopause et de ceux de la chimio ? « Quand est-ce que la lubrification revient, par exemple ? Qui ose poser ces questions ? » Après un passage dans une émission à la télévision flamande, suite aux multiples réactions, Marieke décide, en collaboration avec la sexologue Marlies Meersman, de rompre le silence et d’écrire un livre sur le cancer et la sexualité : Op de tast. Seksualiteit na kanker (« À tâtons. La sexualité après un cancer »), pas (encore) traduit en français.

L’après

Les suites se font sentir dans toutes les sphères de la vie, alors que s’exerce une pression pour un retour « à la normale ». « Il y a cette notion que tu dois être comme avant », observe Juliette, qui décrit aussi un sentiment d’abandon, d’un point de vue médical, après la phase d’urgence. « On se concentre pour nous sauver la vie, pour trouver des nouveaux médicaments. Mais il n’y a rien dans l’accompagnement, dans l’après. » Brigitte fait aujourd’hui partie de l’association Yoga in Healthcare qui implémente des cours de yoga en maison médicale, parce que « c’est une discipline relaxante qui peut agir sur ce qu’un patient ou une patiente vit quand elle a le cancer ». Désormais enseignante de yoga, coach et yoga thérapeute, elle évoque le stress, omniprésent, non comme cause directe du cancer, mais qui, chronique, affaiblit le système immunitaire. La prise en charge à plus long terme fait lentement son chemin, au travers des projets de maisons dites « d’accompagnement », une petite vingtaine en Belgique à ce jour. Elles accueillent patient·es et proches pour ce qui concerne les aspects psychologiques, physiques et sociaux liés au cancer, pendant, mais aussi après le traitement. Juliette constate que « toutes les femmes n’ont pas accès à ces soins. Surtout celles issues de la diversité, souvent freinées par un manque d’informations ou des horaires inadaptés. C’est l’une des raisons qui m’ont conduite à créer l’asbl Baob Brussels : accompagner, informer et soutenir. »

On se concentre pour nous sauver la vie, pour trouver des nouveaux médicaments. Mais il n’y a rien dans l’accompagnement, dans l’après.

Le retour à la vie professionnelle, enfin, reste une fameuse étape. La maladie n’est pas une parenthèse que l’on peut refermer. Le corps peut ne pas suivre. Souffrant d’arthrose, un handicap invisible, Juliette évoque des effets secondaires à durée indéterminée, négligés par le monde médical et pas ou peu pris en compte dans celui du travail.

Valérie évoque encore le regard sur la différence. « Il y a aussi quelque chose de cet ordre-là, avec le cancer du sein. On a tellement besoin de tolérance, en tout cas d’acceptation de la différence. » Une pensée en rupture, une de plus, intéressante à déployer.

Des femmes sans papiers en « congés payés »

Cet été, à Mesnil-Église, dans la région de Namur, un collectif de femmes sans papiers, soutenu par des bénévoles, était en vacances. Une première pour cette dizaine de femmes qui ont l’habitude de prendre soin des autres, et pas que les autres prennent soin d’elles.

© Sabine Panet, pour axelle magazine

« Demain, je descendrai voir la Lesse, je me baignerai peut-être », prévoit Ching en grappillant les mûres sauvages des ronciers. La mi-juillet est passée, quelques baies ont noirci précocement sur les pans les plus ensoleillés de Mesnil-Église. On se tache, on se régale, les promeneuses s’éparpillent dans les herbes hautes des talus. La balade ralentit, la visite du village attendra. « Aux Philippines, l’endroit où j’ai grandi ressemble à ce village, avec une rivière en contrebas. Ici, on respire de l’air pur, non pollué. On marche, on se détend, tout simplement. C’est pour notre santé, pour notre esprit, pour se vider la tête. Vous voyez ce que je veux dire ? Bon, je vais encore cueillir quelques fruits, là-bas. »

« On a créé une utopie »

1936 : le Parti ouvrier belge, au pouvoir dans un gouvernement de coalition, pousse le vote de la loi sur les congés payés. L’utopie ouvrière a essaimé dans toute l’Europe. Presque 90 ans plus tard, le jeune collectif « Femmes tout terrain », dont la plupart des membres se sont connues dans les rangs de la Ligue des travailleuses domestiques de la CSC Bruxelles, s’est aussi mis à rêver. « Parce qu’elles sont sans papiers, explique Magali Verdier, du MOC Bruxelles, et travaillent dans le marché informel, les membres du collectif n’ont pas d’employeur qui paye les cotisations patronales pour elles, pas de statut leur ouvrant le droit aux congés payés. Donc, quand on a parlé ensemble d’équité entre toutes les travailleuses et travailleurs, elles se sont dit qu’elles aussi devaient avoir un pécule de vacances ! D’autant plus qu’elles travaillent toutes dans le secteur du soin aux autres, alors que l’État et la société ne prennent pas soin d’elles, bien au contraire. On a donc, quelque part, créé une utopie. »

Quand on a parlé ensemble d’équité entre toutes les travailleuses et travailleurs, elles se sont dit qu’elles aussi devaient avoir un pécule de vacances !

Ce matin, l’une des vacancières souffrait d’un intense mal de dents. Il a fallu trouver un médecin compréhensif, acceptant de traiter et de prescrire un médicament à une personne sans titre de séjour. Un ami du village a renseigné la personne adéquate, une bénévole a pris le volant. La malade n’ira pas aux mûres. L’utopie s’est mise en pause, la réalité a repris la main, adoucie par la solidarité.

© Sabine Panet, pour axelle magazine

« Qui prend soin de celles qui prennent soin ? »

À 65 ans, Maman Régine, Congolaise, se sent en forme. Mais ça irait mieux sans rhumatismes. Elle entame sa dixième année hors légalité. « Je fais les ménages, je garde les vieilles personnes. Je ne peux pas faire de travail officiel. Je travaille donc dans l’illégalité et je suis vraiment très mal payée. Il y a des fois, j’ai accepté de travailler pour 2 euros de l’heure, parce qu’il faut bien travailler. Tu ne peux pas dire non quand tu es déjà dans ce système, quand tu te trouves dans le besoin. » Venue pour suivre un master, elle n’a pas obtenu l’autorisation de demeurer en Belgique. Depuis, elle enchaîne le travail informel, l’exploitation et les solutions de logement précaire, au bon – et mauvais – vouloir de ses employeurs/euses. Elle habite actuellement dans une occupation collective. « La vie là-dedans n’est pas tellement facile. »

Je fais les ménages, je garde les vieilles personnes. Je ne peux pas faire de travail officiel. Je travaille donc dans l’illégalité et je suis vraiment très mal payée.

Régine est membre de la Ligue des travailleuses domestiques et fait partie des fondatrices des « Femmes tout terrain ». « Au sein de la Ligue, on ne répondait pas suffisamment à notre question : « Qui prend soin de celles qui prennent soin ? » Nous nous sommes donc un peu détachées pour essayer de trouver des solutions. » Magali Verdier se souvient : « Ce sont des luttes depuis 15, 20 ans, et il n’y a rien qui bouge. Donc les femmes ont dit : « À un moment, il faut du concret. » »

Comme nous travaillons toutes beaucoup, parfois 24h sur 24, explique Régine, nous ne prenons jamais aucun repos. Moi, par exemple, avant cette semaine, je n’avais jamais pris de vacances.

« Comme nous travaillons toutes beaucoup, parfois 24h sur 24, explique Régine, nous ne prenons jamais aucun repos. Moi, par exemple, avant cette semaine, je n’avais jamais pris de vacances. Pour prendre des vacances, il faut de l’argent. Mais avec ce que tu gagnes, tu penses aux frères et sœurs qui sont restés dans le pays. Moi, je n’ai pas eu d’enfant, je soutiens la scolarité de mes nièces. Alors, avec ce peu d’argent gagné, comment est-ce que tu paierais des vacances ? »

© Sabine Panet, pour axelle magazine

« Ministère du Care »

La visite du village et de ses écoconstructions, en présence de l’une des pionnières de ce laboratoire de terre-paille, l’architecte Isabelle Prignot, a réuni les femmes autour de souvenirs et de sagesses partagées : au Mexique, au Congo, aux Philippines ou à Mesnil-Église, les ancien·nes savaient où et comment construire des habitats durables, économiques, bien isolés, à l’abri du vent et du ruissellement, intégrés à leur écosystème. Pas comme les colonisateurs ou les spéculateurs modernes, concluent les marcheuses. Autour de l’apéro, elles racontent leur après-midi à celles qui sont restées à la maison, dans l’ancienne école du village. Et puis c’est l’heure de la réunion politique, à laquelle participent aussi les bénévoles présent·es – et leurs enfants.

© Sabine Panet, pour axelle magazine

Maman Régine rappelle la vision du collectif, la fiction dans laquelle se déploient ses actions. Les femmes, ensemble, ont constitué un « Ministère du Care » où toutes sont ministres. Elles arborent d’ailleurs – pas cette semaine, c’est les vacances – une cravate de fonction, accessoire masculin dérisoire, détourné et réapproprié par celles qui habituellement les repassent dans l’ombre. Astrid Akay, comédienne et metteuse en scène, accompagne la Ligue des travailleuses domestiques depuis quatre ans. Elle enchaîne : « J’emprunte à Angèle, membre de la Ligue et malheureusement absente cette semaine, ces mots qui résument si bien notre collaboration : « Les idées qui s’échappaient se sont révélées dans le théâtre. » […] On s’est dit qu’on allait pouvoir hacker [pirater, ndlr] le réel par la fiction. Parce que le réel est imposé aux membres de la Ligue, aux « Femmes tout terrain », aux 50.000 sans-papiers1, il est imposé par la politique belge, insupportable et dégradant. […] Alors la fiction, c’est un formidable outil pour court-circuiter ces difficultés, dans un monde qui invisibilise. »

Ensemble, les femmes ont d’abord fait grève, le 16 juin 2022, pour montrer que leur travail était indispensable et demander une régularisation pour tous·tes les sans-papiers. Ce jour-là, dans l’enceinte du Parlement bruxellois, rappelle Astrid Akay, « on a mis en scène des membres de la Ligue qui se sont adressées aux parlementaires en tant que parlementaires elles-mêmes. Et quelques mois plus tard, Mesdames les parlementaires ont été véritablement invitées à la Commission des Affaires économiques et de l’Emploi ! »

L’année suivante, elles ont condamné le ministère de l’Emploi lors d’un tribunal fictif organisé devant le Palais de Justice. « Chemin faisant, on s’est rendu compte que c’était possible et juridiquement défendable. Notre action s’est donc soldée par un vrai dépôt de plainte contre le ministère de l’Emploi, à l’échelle européenne. Affaire en cours. » Et, lors de la troisième grève, en juin 2024, année électorale, la Ligue a formé un gouvernement avec en son cœur le « Ministère du Care », qui a déclaré prioritaires ces premiers congés payés pour les travailleuses domestiques sans papiers. Dans chacun des départements (logement, santé, politique, finances, etc.) du ministère, constitué de femmes sans papiers et de soutiens bénévoles, explique Magali Verdier, les hommes sont aussi bienvenus. « Ils peuvent par exemple faire la cuisine, les courses, garder les enfants… »

© Sabine Panet, pour axelle magazine

Pas si facile de prendre des vacances

Entre deux mûres, Ching racontait comment elle s’était organisée pour participer à la semaine de congé que le groupe a financée grâce à l’organisation par des militant·es de repas solidaires et au soutien de la Fondation Marius Jacob. « J’ai demandé à mes clients si je pouvais prendre quelques jours de congé. Parce que tous les matins, je travaille comme employée de maison et les après-midi, je travaille dans un hôtel. » « Une fois le frein financier levé, observe Magali Verdier, le plus difficile pour les femmes était de se dire : « On prend une semaine pour nous. » Beaucoup se sont plutôt dit : « Je vais quand même travailler pour envoyer de l’argent à ma famille. » Et la négociation avec les patrons n’a pas toujours été facile. Le jour du départ, certaines n’étaient pas bien, une a été retenue par son travail. »

Régine est heureuse, ici. « Je ne pensais pas que ce serait possible, un bel endroit comme ça. Il y a tout, le paysage, une chambre pour chacune, de l’eau chaude. Il y a des cours de yoga, j’ai même eu un massage hier. Tu imagines ? Et la nourriture cuisinée par les hommes est vraiment très bien préparée. »

1. Un chiffre de la CSC Bruxelles, basé sur l’étude de la VUB et de l’Institut bruxellois pour la recherche scientifique (2023) estimant à 112.000 le nombre de personnes sans documents de séjour en Belgique.