Les victimes ou témoins de violences conjugales peuvent contacter le numéro gratuit et anonyme 0800 30 030, 7j/7 et 24h/24.
« J‘ai échappé à un féminicide en décembre 2024, je ne suis pas encore sortie d’affaire » , « J’ai été victime et j’ai mis énormément d’années à m’en sortir. Seule. » Affichés sur les murs du Cinex, les mots poignants de femmes concernées ont accompagné le travail de plusieurs associations féministes, rassemblées ce 4 novembre pour réfléchir collectivement à la mise en œuvre du pack nouveau départ, à l’invitation de Vie Féminine.
L’association vient justement de lancer une nouvelle campagne, intitulée « Partir pour ne pas y rester ». « Nous avons choisi de nous concentrer pendant plusieurs mois sur ce moment spécifique qu’est la séparation. Il nous semble urgent et important de créer une mobilisation collective sur les freins et les obstacles que les victimes rencontrent sur leur route quand elles veulent quitter un conjoint violent », relate Laetitia Genin, coordinatrice nationale au sein de Vie Féminine.
Il ne suffit pas de partir
Car, non, contrairement aux injonctions que les victimes peuvent recevoir, il ne « suffit » pas de partir quand on subit des violences de la part de son compagnon, notamment parce qu’au moment de la séparation, les risques de subir de nouvelles violences sont élevés.
Ces violences post-séparation prennent différentes formes.
Une étude de 2019, menée par Solidarité Femmes en Fédération Wallonie-Bruxelles, a montré que 79 % des femmes victimes de violences conjugales subissent encore des violences après la séparation, certaines pour des séparations datant de plus de cinq ans. Ces violences post-séparation prennent différentes formes : menaces, attitudes de contrôle, utilisation des enfants, cyberharcèlement, violences économiques et judiciaires, et peuvent s’intensifier jusqu’à mener au féminicide. L’étude évoque également la peur que vivent ces femmes et la charge mentale supplémentaire avec laquelle elles doivent composer à cause de ces violences.
C’est pour prendre en compte ces freins et ces dangers que la conférence interministérielle (CIM) Droits des Femmes, qui rassemble les ministres des différents niveaux de pouvoir compétents en la matière dans l’objectif de renforcer leur coopération, a annoncé avoir adopté le pack nouveau départ en avril 2024. Il s’agit d’une réponse coordonnée et rapide (un peu à la manière du DIViCo pour les risques de féminicide) pour soutenir les femmes voulant sortir d’une relation violente.
Dans le pack nouveau départ, plusieurs mesures ont été, à l’époque, prévues par la CIM : une aide financière d’urgence, une assistance juridique et psychologique, une attention spécifique en matière d’emploi et de chômage, complétées par des mesures de protection déjà disponibles (mais pas sans lacunes), telles que l’adresse non communicable ou l’alarme antirapprochement.
Faire entendre la voix des associations
« Chez Vie Féminine, nous travaillons depuis 2022 sur la reconstruction des femmes victimes de violences conjugales, avec par exemple la publication de deux études sur le sujet, à partir des réalités que les femmes nous rapportent sur le terrain », rappelle Élodie Blogie, chargée des relations extérieures de l’asbl. « Peu après, en septembre 2023, la France fait l’expérimentation d’un pack nouveau départ. De notre côté, nous avons rendu publique cette même revendication en novembre 2023, lors des mobilisations autour de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes. Quelle ne fut pas notre surprise de voir que la CIM s’en était emparée et qu’un accord politique avait été conclu, même si c’était juste avant des élections. On y retrouve nos revendications [voir ci-dessous, ndlr], même si elles ont été un peu modifiées. Néanmoins, cet accord a été conclu par certains des partis qui composent aujourd’hui la majorité dans nos gouvernements », poursuit-elle.
Le moment choisi pour remettre le pack nouveau départ sur le métier ne doit rien au hasard puisque le mois de janvier 2026 verra la relance de la CIM Droits des Femmes, présidée par Yves Coppieters (Les Engagés), ministre wallon et ministre des Droits des femmes en Fédération Wallonie-Bruxelles. L’actuel plan d’action national (PAN) de lutte contre les violences faites aux femmes touche également à sa fin (il couvrait la période 2020 – 2025), et un nouveau sera établi début 2026. Les associations souhaitent donc être audibles sur cette question pour s’assurer de l’implémentation du pack nouveau départ dans notre pays.
S’inspirer de ce qui se fait ailleurs
Face à ces deux échéances, l’objectif de la journée de travail était de permettre à d’autres associations féministes de passer à la loupe les propositions faites par Vie Féminine pour pouvoir les porter ensemble. Et pour s’inspirer d’un exemple concret, le mouvement a convié Catherine Goujart-Delambre, directrice de l’association française Mon Âme Sœur, et Géraldine Bocle, assistante sociale au sein de l’association. Elles sont venues expliquer les modalités, et les limites, du pack nouveau départ testé depuis deux ans en France.
« Notre département, le Val d’Oise, au nord de Paris, a été choisi pour implémenter le pack nouveau départ de manière expérimentale. C’est la CAF, la caisse nationale des allocations familiales, qui a été désignée comme interlocuteur unique, ce qui a mené à des questionnements, puisque la CAF, c’est l’État, et qu’il y avait peu de connaissances du terrain », souligne Catherine Goujart-Delambre.
Dans le système français, lorsque des institutions « tiers détecteurs » constatent des violences chez une victime, elles envoient une fiche à la CAF qui contacte la personne concernée dans les trois à cinq jours pour convenir d’un rendez-vous. Elle la renvoie alors vers des « référents sectoriels », c’est-à-dire des associations ou d’autres institutions qui pourront la prendre en charge.
Autre spécificité en France : l’aide universelle d’urgence, le soutien financier, a été séparée des mesures du pack nouveau départ et s’obtient uniquement si la victime a porté plainte. « Ce qu’elles ne sont pas toutes prêtes à faire et alors qu’elles ne sont pas toutes entendues correctement par la police et la Justice », précise Géraldine Bocle.
Pour les femmes migrantes également concernées, le système n’est pas conçu de manière optimale. « Nous essayons de montrer aux autorités qu’on se trouve en dehors du cadre du regroupement familial quand il y a de la violence. Pour 30 % des victimes que nous suivons, c’est l’absence de titre de séjour qui constitue le frein principal au départ », explique Catherine Goujart-Delambre.
En France, quel bilan deux ans plus tard ?
Pour l’aide au logement ou la garde des enfants cependant, cela reste très compliqué.
« Certaines choses fonctionnent, comme l’accompagnement psychologique et juridique, indique-t-elle. Cela nous aide de connaître les différents partenaires avec lesquels nous pouvons collaborer, cela nous renforce et nous apprend à travailler en réseau. Pour l’aide au logement ou la garde des enfants cependant, cela reste très compliqué. Les victimes de violences intrafamiliales se retrouvent souvent dans des hôtels miteux et sales, sans cuisine. Si elles ont une audience au tribunal ou un entretien avec un·e psychologue, qu’elles n’ont pas d’ami·es, ni de famille pour garder les enfants, comment font-elles ? Nous voulons aller plus loin sur ces questions qui sont peu prises en compte pour l’instant dans le cadre de ce dispositif. Nous pensons à organiser du babysitting solidaire. J’entends aussi aujourd’hui, dans la proposition belge, la notion de droit au repos, le fait qu’elles sortent des violences lessivées et qu’il faut leur donner un peu de temps au niveau de la recherche d’emploi ou bien à leur travail quand elles en ont un. Cela m’intéresse et m’inspire parce que nous n’avons pas mis ça en place, nous nous efforçons de les remettre à l’emploi. »
Dans le contexte politique actuel…
Après plusieurs ateliers consacrés à affiner les propositions, la mesure d’aide financière d’urgence, non liée au dépôt d’une plainte, apparaît comme l’une des mesures-phares du pack nouveau départ belge. Dans le contexte politique actuel, des questions demeurent : quid de la protection des femmes migrantes ? Face à des survivantes de violences conjugales, quel rôle pour la médecine du travail, alors que l’accès au statut de malade longue durée risque de se complexifier ?
En conclusion de la journée, le ministre Yves Coppieters a tenu à affirmer que la lutte contre les violences faites aux femmes était sa « priorité absolue ». « Je soutiens la mise en œuvre de ce dispositif, et je pense qu’il faut le faire figurer au sein du plan d’action national de lutte contre les violences faites aux femmes. Je porterai également cette revendication dans la CIM [Droits des femmes, ndlr] lorsque j’en prendrai la présidence, notamment via la création d’un fonds d’indemnisation financé par les auteurs. Je prévois aussi d’autres mesures, par exemple le lancement d’une étude sur le lien entre violences faites aux femmes, santé mentale et incapacité de travail », a-t-il déclaré.
Pour les associations de terrain, le travail autour du pack nouveau départ ne fait que commencer. Vie Féminine a lancé une pétition sur le sujet. Objectif : recueillir au moins 2.600 signatures, un nombre symbolique en femmage aux 260 victimes de féminicide recensées par la plateforme Stop Féminicide depuis sa création en 2017.
