50-50 ? 125 réalisatrices belges réclament la parité dans le cinéma

La Fédération Wallonie-Bruxelles fête actuellement les 50 ans de l’aide à la création cinématographique, et met 50 films à l’honneur… dont six seulement ont été réalisés par des femmes. Interpellées par cette inégalité, 125 réalisatrices dénoncent la sous-représentation des femmes dans le cinéma, et appellent à la parité.

© Marie-Françoise Plissart

Pour les 50 ans d’aide à la création cinématographique, la Fédération Wallonie-Bruxelles a choisi en effet de marquer le coup, en mettant 50 films à l’honneur. C’est la campagne « 50/50 » : cinquante ans de cinéma belge, cinquante ans de découvertes. Les réalisateurs et réalisatrices des films mis en lumière par la Fédération étaient invité·es la semaine dernière à participer à une photo-souvenir (41 ont effectivement pris la pose).

L’élément déclencheur

Comment est-ce possible qu’en 2017, nous ne soyons que 6 sur 41 ?

Sophie Bruneau, cinéaste (Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Arbres) et professeure à l’INSAS, était conviée. « Sur 41 réalisateurs, il y avait… six femmes [Au total, 9 films réalisés par des femmes figurent parmi les 50 sélectionnés, ndlr]. Cette disproportion a déclenché chez nous, et notamment chez la réalisatrice Géraldine Doignon, une interrogation : comment est-ce possible qu’en 2017, nous ne soyons que 6 sur 41 ? Notre réaction n’est pas contre la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais contre cette image frappante de l’inégalité entre les femmes et les hommes. La représentation des femmes aurait dû être un critère ! C’est d’autant plus criant que la majorité d’entre nous apparaissent à l’arrière de la photo… »

50 films pour 50 ans, d’accord, mais bien loin des 50-50 entre les femmes et les hommes. Les réalisatrices décident donc de prendre une autre photo, à leur manière, pour rendre visibles les femmes qui, aujourd’hui, réalisent des films en Belgique francophone. Leur mot d’ordre : « 50/50 : où sont les femmes du Cinéma belge francophone ? Les réalisatrices se rassemblent pour dénoncer une sous-représentation et réclamer la parité ». En quelques jours, elles sont 125 à signer un court manifeste et à témoigner de leur indignation et de leur solidarité. Une partie d’entre elles se sont retrouvées samedi 10 juin au Mont des Arts, à Bruxelles.

« Il y avait une belle énergie, raconte Sophie Bruneau. Si on n’avait pas fait cette image dans l’urgence, on aurait pu être le triple. J’ai senti une vraie envie, une émulation. Il y avait cette diversité entre nous, ces différentes générations, ces différents backgrounds, et en même temps cet enjeu fédérateur sur lequel nous nous retrouvons toutes. »

Un constat, des chiffres

« Il faut aujourd’hui réfléchir à la représentation des femmes dans les écoles et dans l’aide au cinéma, analyse la cinéaste. Car nous avons des chiffres auxquels nous référer : il faut passer à l’étape suivante. »

Nous avons des chiffres auxquels nous référer : il faut passer à l’étape suivante.

En effet, l’an dernier, est parue Derrière l’écran : où sont les femmes ?, une étude exploratoire sur la place des femmes dans l’industrie cinématographique en Belgique francophone, menée par les asbl Engender et Elles Tournent pour le cabinet de la ministre des Droits des femmes. Cette étude a fourni un état des lieux chiffré pour le milieu du cinéma et a permis d’objectiver le profond déséquilibre de la place des femmes dans une industrie par ailleurs très dynamique, et largement soutenue par les finances publiques.

À la lecture de l’étude, décortiquée dans axelle en septembre 2016, se dégagent quelques tendances claires. Tout d’abord, dans les cursus d’études liées au cinéma, les filles sont majoritaires (sauf en technique de l’image) ; mais quand il s’agit d’exercer le métier, il n’en reste que 25 %. Ensuite, peu de femmes déposent des demandes d’aide à la réalisation.

« Je suis enseignante à l’INSAS, explique Sophie Bruneau. Il y a certes de plus en plus d’étudiantes, mais quand on regarde la profession, on les perd, surtout en long métrage et en fiction, pour lesquels la concurrence est rude et les enjeux financiers accrus. » On le voit bien dans l’étude, en effet : plus les besoins de financement sont importants, plus les femmes disparaissent. Pourquoi ? Réseaux dominés par les hommes, peu de modèles, ou manque de confiance en soi, métier trop dur… « Attention !, relevait Marie Vermeiren de Elles Tournent dans nos pages ; parler de manque de confiance, c’est responsabiliser les femmes. Il faut surtout que le ‘boys club’ s’ouvre ! »

Façonner les imaginaires

Nous avons la responsabilité de construire de nouveaux récits.

« Être réalisateur, c’est un poste de pouvoir, symbolique et économique », explique Sophie Bruneau. Or les femmes sont porteuses d’un imaginaire et d’une singularité. C’est important qu’on les retrouve. Dans notre métier, nous sommes à la source de l’imaginaire et des représentations – comme des héroïnes en action, par exemple : c’est un enjeu collectif, qui nous dépasse personnellement et qui concerne toute la société. Mais nous aussi, nous sommes prises dans nos propres processus d’éducation, nous avons intégré cette sous-représentation. Il faut bouleverser cela ; nous avons la responsabilité de construire de nouveaux récits. »

Pour des politiques volontaristes

« Dans un premier temps, notre photo était un cri pour dire : quelque chose ne va pas, ce n’est plus possible. Et puis un collectif va se créer, qui sera un groupe de réflexion et d’action. Nous allons nous réunir, faire connaissance. C’était tellement joyeux de se rencontrer ! Tout à coup, on s’est mises à se parler… Nous voulons que les choses bougent, et la photo le montre », raconte Sophie Bruneau.

Les réalisatrices souhaitent tout particulièrement réveiller les consciences et, avec la Fédération Wallonie-Bruxelles – qui est pour elles un partenaire privilégié –, mettre en place des mesures concrètes pour transformer la réalité. Sophie Bruneau pense notamment à des critères dans l’attribution des subventions, ainsi que le mettent en œuvre le Québec et la Suède. « Si on ne passe pas par des politiques volontaristes et des leviers stratégiques, je ne vois pas comment on peut y arriver, conclut-elle. Il faut mettre en place des critères pour plus d’égalité entre les femmes et les hommes. C’est bien sûr valable pour toute la société en général, mais parce que le cinéma draine de l’argent, les rapports de domination y sont plus aigus qu’ailleurs. »