Les constats de difficulté de relation entre des mères victimes de violences intrafamiliales et les services d’aide à la jeunesse ne datent pas d’hier. Plusieurs associations dont Vie Féminine ont documenté le phénomène, qualifié de massif et structurel : la parole des mamans et celle de leur(s) enfant(s) ne sont que peu, ou pas, prises en compte par les services de l’Aide à la Jeunesse, ce qui mène parfois ces services à prendre des décisions inadéquates renouvelant la violence. Dans axelle, nous avons également publié plusieurs enquêtes à ce sujet.
Grâce au travail des associations et des mères elles-mêmes, qui continuent inlassablement à alerter, la prise de conscience progresse. Il devient de plus en plus difficile de nier les dégâts parfois immenses provoqués par ce manque d’écoute, causé par l’utilisation de grilles d’analyse inadaptées. Ces grilles, le plus souvent, ne font pas la distinction, cruciale pourtant, entre conflit et violences, méconnaissent le fonctionnement des violences (post)conjugales, recourent au SAP (syndrome d’aliénation parentale) ou aux principes qui le sous-tendent (mère mensongère et vengeresse), et continuent à véhiculer l’idée qu’un père violent avec la mère reste adéquat en tant que parent.
Impact d’une émission
Suite à la diffusion de l’émission Investigations, exerçant leur mission de contrôle du travail du gouvernement, des parlementaires de la FWB ont interpellé la ministre responsable du secteur de l’Aide à la Jeunesse. Valérie Glatigny (MR) a répondu fin mars aux questions du député Michel de Lamotte (Les Engagés) et annoncé la tenue d’un audit pour examiner les trois situations de placement ou menace de placements abusifs présentées dans le reportage. Elle a également annoncé, pour la fin de l’année, la parution d’une étude sur le recours (ou non) au SAP dans les services de l’Aide à la Jeunesse. Madame Glatigny rappelait la complexité des situations et la responsabilité, dans les prises de décision concernant les mineur·es, des instances judiciaires, dont la supervision s’exerce à un autre niveau de pouvoir (au fédéral sous la tutelle du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne, Open Vld).
Dans le sillage de l’éclairage médiatique provoqué par Investigations, et en collaboration avec ses collègues écologistes de la Chambre (Claire Hugon et Séverine de Laveleye) et du gouvernement (l’(ex)secrétaire d’État à l’Égalité des genres, Sarah Schlitz, pour le fédéral, et la ministre de l’Enfance en FBW, Bénédicte Linard), le député Pierre-Yves Lux a déposé une proposition de résolution au sein de la majorité du Parlement de la FWB, c’est–à–dire des recommandations s’appuyant sur une série de considérations et de textes votés. « Il ne s’agit pas d’une proposition de loi, explique-t-il à axelle, et le gouvernement n’est pas obligé de mettre une résolution à exécution. Il faut donc voir de quelle façon la majorité va s’en emparer. À ce stade, PS et MR ont pu en prendre connaissance et un groupe de travail va sans doute se constituer. »
Prendre des bonnes résolutions
Le but de la proposition déposée ? Résoudre ces tensions – voire oppositions, dans les cas documentés par axelle, entredivers droits fondamentaux : celui de l’enfant à être soutenu·e, protégé·e ; celui des parents – en l’occurrence du père – à éduquer librement son/ses enfants ; celui des femmes à être protégées des violences. Comment ? En réaffirmant les principes de base : le besoin de protection des enfants et des mères subissant des violences intrafamiliales, et la confiance à donner à la parole des victimes, devant rester au cœur du processus. L’écoute et la prise en compte de la parole des enfants réinscriraient le principe de « bien-être supérieur de l’enfant », principe au cœur des processus de l’Aide à la Jeunesse et souvent brandi pour justifier des décisions, dans une réalité et des pratiques très concrètes.
Plein de plans
La résolution s’appuie, et permet de remettre le focus, sur les recommandations des (nombreux) textes déjà validés par les différents niveaux de pouvoir en Belgique. Elle leur est complémentaire, prolonge le député écolo, qui reconnaît que « les compétences s’exercent encore trop en silo » : droits des femmes, droits des enfants, d’un côté, et appareil judiciaire, et secteur de l’Aide à la Jeunesse, de l’autre. Cette division de compétences est à la source de difficultés à faire appliquer, transversalement et concrètement, les différents textes adoptés : Plans régionaux de lutte contre les violences faites aux femmes, Plan intra-francophone de lutte contre les violences faites aux femmes 2020-2024, Plan Droits des Femmes 2020-2024 en FWB, Plan d’actions relatif aux Droits de l’enfant 2020-2024, Plan d’action national de lutte contre les violences basées sur le genre 2021-2025…
Connaissance affinée des mécanismes des violences
Un des objectifs de la résolution pointe la nécessité de poursuivre le travail pour bannir, dans les dossiers et décisions, le recours au SAP, mais aussi tous les autres concepts qui le sous-tendent : mère « fusionnelle », « revancharde », « manipulatrice », enfants « menteurs/euses »… Autre urgence : la compréhension par les acteurs/trices du secteur des enjeux de situations de violences intrafamiliales, violences pas uniquement physiques mais aussi sexuelles, psychiques, économiques, ainsi que les biais cognitifs associés. La formation se retrouve donc au centre du changement des pratiques.
En décembre, en partenariat avec RTA (un des cinq centres de formation agréés de l’Aide à la Jeunesse), Vie Féminine donnait dans la province du Luxembourg une première formation pilote, pendant laquelle deux mères porte-parole restituent via une vidéo les demandes du groupe de mères rassemblé par Vie Féminine. L’expérience a été évaluée très positivement. Au centre de ce module de formation donné aux acteurs/trices de l’Aide à la Jeunesse, mais aussi de la Justice ainsi qu’à des avocat·es : les différences entre conflit et violences. Avec comme objectif secondaire la possibilité d’articulation entre les secteurs de l’Aide à la Jeunesse et le judiciaire, parce qu’« il y a un vrai intérêt à trouver un accord sur une ligne de conduite commune à tous », nous explique Laetitia Genin, coordinatrice du projet. Et la mise en œuvre concrète « de pratiques qui restent de l’ordre de la découverte », constate encore la coordinatrice, à l’instar de Pierre-Yves Lux. Pratiques telles que le respect de la parole des mères et des enfants, la prise en compte des différences entre conflit et violences ou encore le dialogue entre les différents secteurs de l’aide à la jeunesse et de la Justice.
Une évaluation de plus grande ampleur de cette formation pilote se déroulera durant l’été. « Elle permettra de dégager des pistes d’action et d’articulation », pense la coordinatrice, qui précise déjà un nouveau volet : l’amélioration du premier accueil des parents, éventuellement – voire systématiquement – de façon séparée, et ce dès la salle d’attente, où les mères et les enfants risquent de se trouver en présence de leur agresseur. De plus, « le diagnostic posé au premier rendez-vous avec le SAJ poursuivra les mères et les enfants tout au long des procédures, précise encore Laetitia Genin, et quel·les que soient les intervenant·es qui se succèdent. Ce qui se joue à ce moment-là est crucial, et mieux on est outillé·e, mieux on peut détecter des situations de violences. »