Novembre 2022, Liège, 9h, tribunal de la jeunesse
Les traits marqués, nerveuse, Amélie (prénom d’emprunt) attend devant la salle d’audience. Est-ce pour aujourd’hui ? Presque trois ans sans aucune nouvelle de son enfant…
Fin 2019, sa plainte pour agressions sexuelles sur son fils est classée sans suite. Paniquée de devoir le remettre au père, ou que l’enfant soit placé, elle l’a emmené à l’aube d’une journée d’automne vers son pays d’origine, dans l’espoir d’y trouver une Justice davantage protectrice des enfants : les vidéos sur lesquelles son fils montre des comportements interpellants n’ont jamais été prises en compte par la Justice belge. « Je n’écoutais plus personne. J’étais au bout du rouleau. Quand il revenait de chez son père, il se cognait la tête, pleurait, disait les abus. »
Je n’écoutais plus personne. J’étais au bout du rouleau. Quand il revenait de chez son père, il se cognait la tête, pleurait, disait les abus.
Amélie est arrêtée au bout de quatre mois après l’émission d’un mandat d’arrêt international pour enlèvement. Séparée de son fils, enfermée, rapatriée, la mère en fuite est condamnée à 5 ans d’emprisonnement. Le père obtient la garde et les droits parentaux exclusifs. Amélie purge la fin de sa peine sous régime de probation (sa liberté est soumise à certaines conditions), après un passage en prison et 19 mois de détention à domicile sous bracelet électronique, sans aucune autorisation de sortie – elle se demande d’ailleurs si c’est légal.
- À lire / Dénoncer l’inceste : paroles d’Amélie, témoignage à découvrir en complément de notre enquête Dénoncer l’inceste : paroles de mères, déni de justice
Au printemps 2022, après une première demande rejetée, le tribunal de la jeunesse a accepté d’ouvrir un dossier et de saisir le Service de l’aide à la jeunesse (SAJ) pour instruire sa demande de rétablissement de l’autorité parentale conjointe et de reprise de contact progressive avec son enfant. En juillet, le SAJ a toutefois refusé de prendre le dossier et l’a invitée à réintroduire une procédure… au civil (tribunal de la famille). En août, l’avocat d’Amélie a réitéré la demande. Le petit garçon approche de ses six ans.
Cette juge se met-elle deux secondes à ma place ?
Le père et son avocat, bâtonnier (chef de l’ordre des avocat·es) de la ville de N. [l’initiale de la ville a été modifiée afin de préserver l’anonymat des protagonistes de l’affaire], passent devant Amélie. Le sien, pro deo, ne la salue qu’à peine : « Il est bizarre, parfois… » Une petite heure d’attente, tout le monde entre dans la salle d’audience. Sortie dix minutes plus tard. La partie adverse jubile : elle a obtenu le transfert du dossier dans la ville de N., parce que c’est le SAJ de N., commune où habite le père, qui suit déjà l’enfant. Amélie est déçue, une audience pour rien ! Son avocat ne décolère pas. Il dit que le tribunal de Liège se débarrasse de l’affaire. Amélie raconte qu’elle n’a pas apprécié l’ironie de la présidente – « Au point où on en est, Madame, ce ne sont pas trois mois de plus qui vont changer les choses ! » « Cette juge se met-elle deux secondes à ma place ? » Une très jeune femme sort en hurlant de la salle d’audience : « Justice de merde ! Avocate de merde ! Allez tous vous faire foutre ! » À sa suite, une femme portant sur le bras une toge noire prend à témoin les personnes présentes dans le couloir : « Vous voyez ce que je dois subir… » Le public semble compatir. Amélie baisse la tête : « Je ne juge pas cette jeune fille. Je pourrais faire la même chose. »
Un article réalisé avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.
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