Bart De Pauw, harceleur en série

Alors que nous entrons dans une quinzaine de campagnes de sensibilisation contre les violences envers les femmes, il nous a paru intéressant de revenir sur un procès qui a fait grand bruit en Flandre le mois dernier. Quatre ans après les accusations de harcèlement sexuel portées par plusieurs femmes contre le producteur-réalisateur  Bart De Pauw, celui-ci devait enfin s’expliquer devant la Justice. Un procès qui a mis en lumière très concrètement les stratégies de manipulation de l’agresseur et les conséquences pour les victimes.

Instagram Héro·ïnes 95 (heroines95)

Avertissement : mise à jour en fin d’article.

Dans axelle, nous avons évoqué à plusieurs reprises “l’affaire Bart De Pauw”. En 2017, dans la foulée du mouvement #MeToo, la chaîne publique flamande VRT crée une cellule d’écoute destinée à accueillir d’éventuels témoignages de harcèlement et d’agressions sexuelles. L’effet est immédiat : quatre femmes viennent se confier sur le comportement “hors limites” (traduction du terme néerlandais “grensoverschrijdend”) de l’un des hommes vedettes du paysage médiatique flamand, Bart De Pauw : sms érotiques non désirés, scènes cinématographiques de baiser à rejouer sans vraie raison, ou même visites intempestives à la porte de ses victimes… Des comportements qui durent depuis des années.

Sans attendre le verdict de la Justice, la VRT a estimé les accusations assez graves et concordantes pour rompre tous les contrats la liant à Bart De Pauw et sa société de production. Ce qui lui a valu en retour une plainte pour rupture abusive, De Pauw réclamant 12 millions à la chaîne flamande.

Un “scénario fixe”

Au bout de quatre années, ce sont neuf femmes qui se sont constituées partie civile contre De Pauw. D’autres ont témoigné des mêmes faits, sans souhaiter pour autant se joindre à la plainte.

Le procès a permis, au-delà des cas individuels, de retrouver “un scénario fixe rejoué par rapport à des femmes interchangeables”, selon les termes de l’avocate de la partie civile, Christine Mussche : des femmes jeunes, en début de carrière, en situation de dépendance par rapport à un homme que beaucoup admiraient par ailleurs. Mêmes sms de plus en plus insistants – jusqu’à 900 en trois semaines pour une stagiaire ! – mêmes déclarations d’amour, mêmes serments d’éprouver des sentiments aussi passionnés pour la première fois, mêmes livres et chansons recommandées… Ce qui a amené l’avocate à parler d’un “harceleur en série”.

Le procès a aussi permis d’écouter les victimes, d’entendre ce qu’elles ont éprouvé, de leur côté, face à ce déferlement de messages : de la peur, de la confusion, qui ont amené certaines à chercher une aide psychologique. Citons Maaike Cafmeyer, qui se vit offrir en 2003 le rôle de la femme de De Pauw dans une série satirique. Très vite les sms ont commencé à arriver, devenant quotidiens. Alors qu’en apparence, sa carrière semblait prendre son envol, une amie raconte l’avoir vue “transformée en un petit oiseau apeuré”. Dans son témoignage, l’actrice dit avoir eu le sentiment d’être “lentement étranglée par un serpent. Comme si l’air s’échappait de son corps”.

Excuses tardives

Quant à l’accusé lui-même, il a commencé par jouer l’offensive, annonçant à son arrivée au tribunal qu’on allait “mettre les points sur les i”. Après deux jours de débats, on ne sait pas trop de quels “i” il s’agissait, peut-être ceux de “ouin ouin”, puisqu’il paraît que dans sa dernière intervention, selon certains médias, il avait “du mal à retenir ses larmes”. Affirmant qu’il n’avait voulu blesser personne, qu’il ne se rendait pas compte du pouvoir qu’il exerçait sur ces jeunes femmes, il présentait des “excuses” trop tardives pour que ses victimes puissent les accepter. D’autant qu’entre-temps, ses avocats s’étaient relayés pour “démolir” les témoignages des femmes, les accusant d’exagérer, de mentir de se contredire dans leurs déclarations, et même de “complot” parce qu’elles avaient trouvé du réconfort à se soutenir mutuellement. Reconnaissant du bout des lèvres que leur client avait peut-être commis des “fautes” – 900 sms en trois semaines, c’est quand même légèrement excessif… –, ils plaidaient qu’en tout cas, on ne pouvait pas parler de “délit”.

Le procureur a demandé une peine d’un an de prison avec sursis, en précisant que l’accusé pouvait éviter une condamnation s’il reconnaissait la gravité des faits, ce dont il s’était abstenu jusque-là. Ce qui a peut-être motivé les “excuses” tardives de De Pauw, quelque peu coincé entre la possibilité d’échapper au verdict en assumant sa responsabilité, et le risque d’affaiblir les motivations de sa plainte contre la VRT. Tout de même, avec 12 millions en jeu…

Il a tenté une dernière manœuvre en suggérant qu’il souffrait peut-être d’une “sorte d’autisme” qui l’empêchait de lire correctement certains messages. Mais ne pas accepter un “non”, ce n’est pas de l’“autisme”, c’est un abus de pouvoir. Le verdict est prévu pour le 25 novembre, qui est justement la Journée mondiale pour l’élimination des violences faites aux femmes.

Mise à jour (25 novembre 2021) : Nous avons appris aujourd’hui la condamnation de Bart de Pauw à 6 mois de prison avec sursis. Le but des plaignantes n’était pas de l’envoyer en prison, mais de faire reconnaître par la Justice que le harcèlement qu’il a fait subir à une série de femmes, parmi lesquelles neuf ont porté plaine, est inacceptable. (I.K.)