Chris Panier, féministe du quotidien (1937-2022)

Le 15 avril, nous étions quelques-unes à dire adieu à Chris Panier, une de ces militantes du quotidien qui ont tant contribué à changer le monde. Et qu’il ne faut surtout pas oublier, malgré leur discrétion.

Chris Panier en 1974. Archives personnelles.

Certaines publient des livres, ou courent d’un colloque à un plateau télé pour défendre la cause des femmes, dans un environnement parfois hostile. D’autres, malgré les insultes et les moqueries, font évoluer les lois. Et puis il y a toutes celles qui, dans l’ombre de leur travail et leur engagement de tous les jours, sèment ces petites graines qui entretiendront nos espoirs pour demain.

Chris Panier était de celles-là. Prof de morale laïque dans le secondaire à La Louvière, elle n’hésitait pas à aborder avec ses élèves des sujets délicats, pas toujours au programme. Aborder l’avortement dès les années 1960 n’allait pas de soi. Elle parlait d’égalité, de justice, de droits humains. En 1974, lorsque le militant anarchiste catalan Puig Antich fut le dernier condamné à mort exécuté par le régime de Franco, elle a fait représenter en dessin par ses élèves la méthode barbare du “garrot”. Certains parents n’ont pas apprécié, mais Chris a toujours été soutenue par son inspection.

S’impliquer sans se montrer

Lorsque la deuxième vague féministe a déferlé en Belgique, Chris s’y est engouffrée avec enthousiasme. D’interminables réunions chez l’une ou l’autre, entre fous rires et projets plus ou moins loufoques (et pourtant parfois réalisés), aux réunions plus sérieuses à la Maison des Femmes, en passant par les manifs massives ou confidentielles, elle était partout. Que ce soit pour des collages sauvages, le sabotage d’une élection de Miss Belgique, la construction d’une école dans le Nicaragua sandiniste, ou pour tenir le bar lors d’un événement féministe, on pouvait toujours compter sur elle. Sans que jamais elle ne se mette en avant.

Avec trois amies, elle avait fondé une association-communauté lesbienne, située rue de l’Inquisition (ça ne s’invente pas !) qui accueillait militantes comme jeunes en perdition et recevait régulièrement la visite de la police. En 1981, elle a participé à la première émission radio grand public sur les lesbiennes dans le “Magazine F” de Laurette Charlier, ce qui n’était pas sans risques pour une enseignante.

Après sa retraite, elle s’est impliquée dans d’autres domaines. Jusqu’à très récemment encore, elle était bénévole chez Oxfam, mais la grande cause de la dernière partie de sa vie était la défense des animaux. Elle avait vécu une histoire presque fusionnelle avec Julie, son chien aveugle, elle était la marraine d’un âne dans les Ardennes et offrait gîte et couverts à un couple de pigeons sur sa véranda. Et elle soutenait un nombre incroyable d’associations. Elle faisait aussi de magnifiques photos de la nature, qu’elle n’a jamais voulu exposer, malgré l’insistance de photographes professionnel·les. S’impliquer sans se montrer : c’était son choix de vie.

De la main gauche

Chris était aussi mon amie, ma première compagne de vie et de luttes. À la maison de repos où elle a passé ses derniers mois, à la suite d’une mauvaise chute, elle aimait me présenter comme son “amie depuis cent ans”. Nous ne dépasserons jamais les quarante-huit ans, mais c’est déjà pas si mal.

Pour accompagner la cérémonie d’adieu, Chris avait choisi, il y a bien longtemps déjà, la chanson de Danielle Messia, De la main gauche : “Je t’écris de la main gauche / Celle qui n’a jamais parlé…”

Il se fait que ce jour-là, alors que je lui disais nos derniers mots, ma main droite était hors d’usage. La vie a de ces ironies. Ou de ces douceurs…