Le droit à l’avortement fait la une de l’actualité. Le 5 avril dernier, l’anniversaire des 50 ans du « manifeste des 343 » en France a été l’occasion, en Belgique, de mettre en lumière des militantes qui se battent, aujourd’hui encore, pour que les femmes puissent avorter dans des conditions dignes, sécurisées et respectueuses de leurs droits élémentaires.
Dans notre pays, qui a pourtant autorisé l’IVG en 1990, ce sujet ne fait pas l’unanimité, puisqu’au sein de notre gouvernement, la dépénalisation de l’avortement a fait l’objet d’une négociation politique sur le dos des principales concernées. Et, dans de nombreux États sur la planète, l’IVG reste passible de la prison : notamment au Honduras, en Haïti, aux Philippines, au Congo, à Djibouti, en Égypte… et au Sénégal.
Selon l’OMS, c’est en Afrique que le risque de mourir d’un avortement clandestin est le plus élevé, de façon disproportionnée par rapport aux autres continents. Le taux de mortalité y est de 520 femmes pour 100.000 avortements clandestins ; ce taux est de 30 pour 100.000 dans les pays dits “développés”.
Une question de vie ou de mort pour les femmes
L’an dernier, axelle magazine a rencontré la militante féministe sénégalaise Ndeye Khady Gueye. Elle avait déjà raconté son histoire aux Grenades-RTBF et, récemment, s’est confiée à Chronique Féministe (n° 126). En 2015, Ndeye Khady Gueye a avorté clandestinement au Sénégal, pays parmi les plus restrictifs au monde en matière d’IVG.
“J’étais dans une situation vraiment difficile, explique Khady. Mon papa souffrait d’un cancer. Il est mort quelques jours après que j’ai appris que j’étais enceinte. Je ne pouvais vraiment pas avoir d’enfant à ce moment-là. En plus, c’est très mal vu chez nous quand tu n’es pas mariée. […] J’ai reçu de l’aide pour contacter un gynécologue en secret, mais j’étais prête à utiliser des remèdes traditionnels ou n’importe quoi d’autre. Je savais que je ne voulais pas garder ce bébé. Mon compagnon n’a pas du tout apprécié, parce que la femme doit toujours, toujours obéir à son homme. Mais moi, je ne fonctionne pas comme ça. J’ai mon mot à dire. Les ennuis ont commencé quand il a appris que j’avais osé le faire. Il m’a violemment battue, il m’a dénoncée et j’ai été obligée de partir.”
En effet, au Sénégal, l’avortement est totalement interdit par la loi et puni d’une peine de prison et d’une amende, même en cas de viol ou d’inceste. Pour les femmes, les sanctions légales pour avoir recouru à l’IVG sont assorties d’une condamnation sociale définitive. Le nombre impressionnant d’infanticides (néonaticides) et de femmes mises en prison pour ce délit (500 condamnations entre 2001 et 2013) témoigne de la terrible pression subie par les femmes.
axelle a d’ailleurs publié un reportage à ce sujet (n° 163) ; l’une de nos journalistes a rencontré, à la Maison d’Arrêt et de Correction de Thiès, la seconde ville du Sénégal, des détenues purgeant des peines de 5 à 10 ans de prison pour avortement ou infanticide (néonaticide). Notre journaliste atteste du fait que ces femmes survivent dans des conditions sanitaires d’une précarité effarante, sans aucun respect de leurs droits humains, et n’ont aucune perspective de réintégration sociale à leur sortie, leur famille coupant systématiquement les ponts avec elles. Est-ce bien là que la Belgique souhaite renvoyer Ndeye Khady Gueye ?
Demande d’asile refusée : pourquoi ?
Khady est arrivée en Belgique le 18 septembre 2015. “Le 23 septembre, je suis allée déposer ma demande d’asile à l’Office des Étrangers et je suis entrée au centre Fedasil [Agence Fédérale pour les demandeurs d’asile, ndlr] à Ixelles, où je suis restée 8 mois. Ma demande a été refusée. On m’a dit : “On ne doute pas que vous ayez avorté au Sénégal…” , parce que je suis arrivée dans un sale état, le premier jour, au centre, on m’a envoyée chez un gynécologue, “mais on doute que vous ayez des ennuis avec la Justice”. Comme si j’avais quitté ma vie, mon pays, mon travail, ma famille sans aucune raison valable.”
Faut-il rappeler qu’en Belgique, ne pas avoir de titre de séjour, cela signifie ne pas exister au regard de la loi ? Les rares activités ouvertes aux personnes sans papiers sont mal payées et dévalorisées. Sans statut légal, ces personnes risquent l’exploitation et la traite des êtres humains. Les femmes dans cette situation ne peuvent de plus pas porter plainte en cas de violences conjugales ou de litiges avec leur éventuel·le employeur/euse ou la/le propriétaire de leur logement, de peur de se voir arrêtées, emprisonnées en centre fermé puis expulsées du territoire. La pandémie de Covid-19, qui a fait perdre des emplois, des revenus, des logements, la liberté de se déplacer, de se soigner et de se protéger, rend la situation encore plus intenable.
Depuis six ans, Khady survit donc dans des conditions inhumaines : précarité, violences, non-respect des droits les plus élémentaires. Malgré tout, elle trouve la force de continuer à militer pour le droit à la santé sexuelle et reproductive de toutes les femmes.
Nous réclamons sa régularisation
Le 21 avril, le dossier de régularisation de Ndeye Khady Gueye sera revu. Nous, militant·es féministes, antiracistes, citoyen·nes de tous horizons, appelons l’État belge à prendre ses responsabilités juridiques et morales, à mettre en place une politique d’asile et de migration qui tienne compte des femmes et des situations spécifiques qu’elles rencontrent, et à protéger les femmes qui défendent les droits des femmes.
À commencer par Ndeye Khady Gueye.
Signatures individuelles et collectives par ordre alphabétique d’organisations et/ou de citoyen·nes engagé·es pour les droits des femmes et/ou pour les droits des personnes sans papiers :
Claire Allard, photographe, photojournaliste, autrice
France Arets, pour l’asbl CRACPE
axelle magazine
Anne Bathily, citoyenne
Miriam Ben Jattou, présidente de l’asbl Femmes de droit – Droit des femmes
Selma Benkhelifa, avocate, Progress Lawyer Network
Valérie Cardinal, citoyenne
Centre Régional d’Intégration de Charleroi
Centre régional d’intégration du Brabant-Wallon
Centre régional d’intégration de la province de Luxembourg
Centre régional pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège
C’est pas mon genre, association d’auto-support trans et féministe
François Chamaraux, physicien, ami de Khady
Sandrine Cnapelinckx, militante pour les droits des femmes
Nerina Cocchi, citoyenne
Kamini Daems, artiste/productrice/activiste
Jeannine Dath, citoyenne
Gaëlle Demez, militante féministe
Marcelle Diop, citoyenne et amie de Khady
Riet Dhont, Amitié Sans Frontière
Anoushka Dufeil, militante féministe
Thomas Englert, secrétaire fédéral, MOC Bruxelles
Espace 28
Fédération des Centres de Planning Familial des Femmes Prévoyantes Socialistes (FCPF-FPS)
Fem&Law
FeMiNiSmE – YeAh
Femmes de droit – Droit des femmes asbl
Femmes Prévoyantes Socialistes
Formation Léon Lesoil
Cristiana Frias, étudiante en psychologie
GAMS Belgique
Robert Grosffils, citoyen
Groupe montois de Soutien aux Sans-Papiers
Line Guellati, citoyenne
Marie Hermant, citoyenne
Julie Jaroszewski, artiste
Virginie Jortay, metteure en scène et directrice d’études
Philippe Jungers, animateur, CIEP Luxembourg
Fatma Karali, collectif des Mères Veilleuses
Karamah EU – Muslim Women Lawyers for Human Rights
Irène Kaufer, militante féministe
Gioia Kayaga, artiste
Perrine Kazakov, citoyenne
Caroline Kempeneers, artiste
Deborah Kupperberg, militante féministe
Label United Stages
Ladyfest BXL (festival féministe transdisciplinaire et inclusif)
Lara Lalman, militante féministe
Véronique Laurent, journaliste
Sylvie Lausberg, présidente du Conseil des Femmes Francophones de Belgique
Nele Lavachery, psychothérapeute et formatrice, amie de Khady
Roxane Lefebvre – Cie Lichen
Le monde des possibles asbl
Le Monde selon les femmes
Les équipes populaires Verviers
Sassia Lettoun, militante féministe
Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des Femmes
Veronika Mabardi, citoyenne
Mac Kam Prod. asbl
Farah Mimmi, coordinatrice, Karamah EU
Mouvement pour l’Égalité entre les Femmes et les Hommes (MEFH) asbl
Mouvement Ouvrier Chrétien
MRAX
Daniel Murillo, gynécologue
Guylène Olivares, comédienne, Bruxelles
Violette Pallaro, auteure, comédienne, metteure en scène et réalisatrice
Sophie Pereira, militante féministe et amie de Khady
Muriel Petit, enseignante, féministe
Richard Pierre, président d’association trans et féministe
Elsa Poisot, metteuse en scène
Milady Renoir, poétesse solidaire de la lutte des Sans Papiers
Corinne Ricuort, militante féministe
Solidarité femmes et refuge pour femmes victimes de violences La Louvière asbl
Didier Somzé, enseignant retraité
Thierry Springael, sculpteur à l’Opéra royal de la Monnaie
Romane Springael Pereira, étudiante en logopédie, amie de Khady
Michel Staszewski, enseignant retraité
Paola Stévenne, citoyenne
Anne Thuot, citoyenne
Nicole Van Enis, citoyenne
Fleur Vanmulder, étudiante AS
Magali Verdier, animatrice, CIEP MOC Bruxelles
Dominique Verhaeren, citoyenne
Vie Féminine
Marie-Laure Vrancken, animatrice, Les équipes populaires Verviers
Camille Wernaers, journaliste