Dénoncer l’inceste : paroles de Julie

Seule des six mamans de notre enquête à avoir conservé la garde principale de son enfant – parce que le père n’en veut pas –, Julie est menacée par le SPJ (service de la protection de la jeunesse) du placement de son enfant de huit ans, au motif, dans un premier temps, d’”aliénation”. Son petit garçon dénonce les agissements du père et présente de manière récurrente des signes de maltraitances sexuelles et physiques. Le SPJ maintient pourtant le droit de visite du père. “J’ai dû déposer plainte suite au signalement des médecins ; le Parquet m’accuse de déposer plainte à tout va”, raconte Julie. Son fils reste en danger : “Vous savez, si on pouvait prouver que tout ça ne s’est pas passé, ce serait un réel soulagement.”

D.R.

Avertissement

• Ce témoignage fait partie d’une grande enquête que nous avons menée sur le renversement de responsabilité qui s’opère dans des institutions de notre pays lorsque des mères dénoncent l’inceste commis par le père. L’enquête “Inceste : paroles de mères, déni de justice” et les autres témoignages sont à lire ici.
• Cet article comprend le récit de faits de pédocriminalité, inceste, violences sexuelles, qui risquent de heurter.
• Nous avons fait le choix de ne pas édulcorer la parole de Julie et de retranscrire les mots qu’elle utilise en parlant des constats qu’elle a faits, afin de ne pas participer à l’euphémisation, à la minimisation, à l’occultation et au déni de la réalité de l’inceste.
• Pour la protection de cette témoins qui a voulu partager son histoire et pour la protection de son enfant, les prénoms et certains éléments ont été modifiés, sans que cela ne nuise à la compréhension de leur situation.

Un an après la séparation, mon enfant va chez son père trois fois par semaine, sans délogement, selon les demandes du papa. Il a des difficultés à aller à la toilette et mal au ventre : on va aux urgences. Le médecin constate des selles particulières – rien à voir avec de la dysenterie ou de la constipation. Des photos sont prises, mais le médecin dit qu’il ne peut pas se prononcer. Trois mois après, on va voir un gastro-pédiatre. Mon fils a 4 ans. Le médecin lui demande s’il peut regarder ses fesses. Il prend en photo les selles. Son assistante sort avec mon enfant, et ce médecin me dit qu’il y a soupçon de maltraitances. Il avertit le SAJ (service de l’aide à la jeunesse). Le problème est qu’il y a déjà une procédure en cours contre le père pour coups sur l’enfant. Mon enfant est écarté du père pendant quelques mois. Par la suite, des visites sont organisées en espace-rencontre. Il y a à nouveau des problèmes, mais l’espace-rencontre ne veut pas attester que mon fils a changé de sous-vêtements pendant la visite chez son père, par exemple. Mon fils souffre également d’encoprésie [une forme d’incontinence fécale, ndlr]. Un médecin a fait une demande à l’espace-rencontre pour un examen : ça passe mal. Une intervenante parle d’”aliénation” de la part de la mère. L’espace-rencontre rend un rapport négatif et mensonger.

Inversion des responsabilités

Plus tard, mon fils revient à nouveau d’une visite chez son père en refusant de se laver, il dit que son père lui a fait mal. Il a des rougeurs et des selles identiques à celles des photos non recevables. Je vais aux urgences. Il ne peut pas être vu par l’urgentiste et nous sommes tenus d’attendre la police. La police prend mon témoignage et le CPVS (Centre de prise en charge des violences sexuelles) remet un rapport conséquent. Le mot “viol” est posé. Je pense alors que je ne devrai plus remettre l’enfant au père. Mais le rapport n’est pas pris en compte par la Justice. Je demande alors un suivi à SOS Enfants, qui propose une prise en charge de trois semaines en hôpital ; le père refuse, et SOS Enfants fait son rapport : l’enfant va mal, mais il n’y a pas de violences prouvées. La conclusion est qu’il faut faire un travail des deux côtés : chaque parent doit voir un psy, comme l’enfant… Le père m’accuse d’”aliénation parentale”. Mon fils passe deux auditions vidéos filmées : pas de reconnaissance, dans mon chef, du SAP [“syndrome d’aliénation parentale”, un concept dont l’utilisation est interdite par plusieurs textes internationaux et pourtant décrit en toutes lettres par les services d’aide à la jeunesse sur leur site , ndlr], mais je ne récupère pas la garde complète. Le SAJ dit qu’il faut une visite du père par semaine, de façon encadrée. Le père n’est pas d’accord, il saisit un avocat. Je reçois un référé d’un huissier et passe au tribunal, où je me fais démonter : le Parquet me dit que le problème, c’est moi. Et si je dépose encore plainte, mon fils sera placé.

Le mot “viol” est posé. Je pense alors que je ne devrai plus remettre l’enfant au père. Mais le rapport n’est pas pris en compte par la Justice.

Ensuite, mon fils retourne chez son père quelques jours par semaine. Là, il n’y a plus personne pour m’aider. On est inscrit au CLIF (Centre Liégeois d’Intervention Familiale), qui ne sera mis en place que bien plus tard. Mon fils ne veut plus parler des agressions pendant des mois ; il me dit : “Tu sais bien ce qu’il se passe.”

“Que faire quand un enfant rentre frappé ?”

Des mois plus tard, on a enfin rendez-vous au CLIF, tous les trois. Après 5 minutes, le papa s’en va. Il ne vient pas aux deux rendez-vous suivants. Je reçois un courrier : “Le père n’est pas venu, on ne peut rien faire.” Et le SPJ [qui peut mettre en place, sur mandat de la Justice, une aide contrainte, ndlr] ne fait rien non plus. La garde est toujours partagée, sans délogement.

Quoi qu’on essaie, le disque tourne en boucle sur le conflit parental.

Dernièrement, il y a eu une évaluation du SAJ. Le petit était encore revenu avec des hématomes. Et quatre professionnels – un thérapeute, un médecin traitant, une psychologue experte des violences faites aux enfants et Verlaine Urbain, d’Innocence en danger – ont examiné mon dossier et écrit un rapport alertant du danger couru par mon enfant. Pourtant, au SAJ, je me suis fait remballer. Ils m’ont aussi dit que le CVFE (Collectif contre les violences et l’exclusion) que je consultais quand j’étais encore en couple avec Monsieur, n’avait aucune crédibilité. Les rapports remis n’ont donc à nouveau pas été pris en compte. On me dit : “Vous voulez faire payer à Monsieur ce que vous avez subi” – dans mon cas, pas de violences corporelles mais psychologiques. Je leur demande que faire quand un enfant rentre frappé. Les intervenantes du SAJ m’ont répondu : “En parler avec le papa…” Ces intervenantes, la juge, sous-entendent que si mon fils était agressé sexuellement, il serait dans un autre état que ça. Je leur ai dit que si mon fils finissait en psychiatrie, ce serait de leur faute. Quoi qu’on essaie, le disque tourne en boucle sur le conflit parental. Vous savez, si on pouvait prouver que ça ne s’est pas passé, ce serait un réel soulagement.

Mère Vengeance

En juin 2021, au passage devant le tribunal, l’avocate de l’enfant a dit les faits en face à la juge : elle a parlé de choses introduites dans l’anus, de la peur, de l’angoisse de mon fils, dont la parole est portée aussi par des médecins, pas uniquement par moi. Et pourtant, la conclusion du tribunal est que Madame s’acharne sur Monsieur. Mais le tribunal recommande tout de même une hospitalisation en observation et le dossier repasse entre les mains du SPJ. Toujours pas une ligne à propos des maltraitances.

Et pourtant, la conclusion du tribunal est que Madame s’acharne sur Monsieur.

Au départ, il est décidé de laisser mon fils dans son milieu habituel (et de réaliser l’observation en ambulatoire). Une semaine après, changement soudain : le bilan se fera en internat. Je me dis que c’est un moyen de mettre mon enfant en sécurité pour trois semaines, et lui était ok. Avant son entrée, j’ai une réunion avec SOS Enfants et le SPJ : il n’y aura aucune recherche de maltraitance pendant cette hospitalisation, mais un examen du “conflit parental”. Les intervenants me disent qu’ils ne sont pas là pour enquêter. Je sors de là dépitée, et n’ose pas dire à mon fils que cette hospitalisation ne va servir à rien. J’apprends aussi que son séjour sera de minimum trois semaines – je n’ai aucune date de sortie – et que je pourrai le voir tous les 4 jours, après les 10 premiers jours sans aucun contact, ni courrier, ni téléphone. Je ne le verrai pas pendant 12 jours. Il est resté là 43 jours ! Plusieurs fois, quand je vais le voir, il s’effondre, dit que personne ne l’écoute, et qu’on lui parle de “soucis entre papa et maman”. J’avertis le SPJ que c’est trop dur pour lui. On lui annonce qu’il ne pourra pas être à la maison pour la Saint-Nicolas : c’est lui qui me l’apprend. Je n’ai reçu aucun courrier pour me tenir au courant. Je ne comprends pas ce qu’ils attendent encore de cet enfant. Il n’a pas mis le nez dehors plus de trois fois en plus d’un mois et le suivi scolaire s’est fait difficilement. Mon intime conviction est qu’ils cherchent une place en foyer.

Plusieurs fois, quand je vais le voir, il s’effondre, dit que personne ne l’écoute, et qu’on lui parle de “soucis entre papa et maman”.

Fin novembre, je contacte par mail la médiation de l’hôpital en leur annonçant que ce n’est pas légal de garder mon enfant une fois le bilan terminé : il sort une semaine plus tôt que prévu. SOS Enfants mettra un point d’honneur à ce que ce soit le père qui le récupère à la sortie. L’enfant vomira chez son papa et m’expliquera qu’il a été malade parce qu’il a eu peur de se retrouver dans la maison de son père. Au SPJ, à la dernière réunion avec SOS Enfants, ils iront jusqu’à rendre un rapport disant que JE suis maltraitante et, faute de pouvoir prouver l’aliénation parentale, ils utilisent le terme de “syndrome de Münchhausen par procuration” [rendre son enfant malade pour attirer la compassion, syndrome très rare, ndlr]. À présent, mon enfant va un week-end sur deux chez son papa. On me le laisse à condition que je ne consulte plus de médecin pour maltraitance et que je ne dépose plus plainte. On m’impose ainsi qu’à mon enfant un suivi psychologique. Je dois également faire une médiation avec le père. Afin d’être sûr que je ne tente plus de dénoncer des faits de maltraitance, le SPJ laisse en place ces mesures et maintient mon enfant sur liste d’attente en vue d’une place en foyer. Mon enfant est tétanisé, son père lui dit qu’il est un menteur.”