Avertissement
• Ce témoignage fait partie d’une grande enquête que nous avons menée sur le renversement de responsabilité qui s’opère dans des institutions de notre pays lorsque des mères dénoncent l’inceste commis par le père. L’enquête “Inceste : paroles de mères, déni de justice” et les autres témoignages sont à lire ici.
• Cet article comprend le récit de faits de violences physiques et psychologiques qui risquent de heurter.
• Nous avons fait le choix de ne pas édulcorer la parole de Melani et de retranscrire les mots qu’elle utilise en parlant des constats qu’elle a faits, afin de ne pas participer à l’euphémisation, à la minimisation, à l’occultation et au déni de ces violences.
“La Justice m’a retiré mes enfants au prétexte de manipulations et d’aliénation parentale [“syndrome d’aliénation parentale”, un concept dont l’utilisation est interdite par plusieurs textes internationaux et pourtant décrit en toutes lettres par les services d’aide à la jeunesse sur leur site, ndlr]. J’ai été jugée coupable sans qu’aucune expertise n’ait été réalisée par des professionnels. Et les enfants n’ont jamais été entendus, ni par les tribunaux, ni par les experts, ni par des psychologues ou psychiatres. Mais les tribunaux confirment le diagnostic fait par la police, les autorités judiciaires et les SAJ/SPJ, et ils estiment qu’aucune expertise n’est nécessaire, même après tout ce temps, et malgré le fait que je la demande depuis la séparation, en décembre 2017.
La dernière fois que j’ai vu mes enfants plus d’une heure d’affilée, c’était début novembre 2018. Depuis, je les ai vus 4 heures et 15 minutes. En trois ans, je suis passée 40 fois devant les tribunaux (famille, jeunesse et pénal). Et en janvier 2021, tout à coup, au tribunal protectionnel, on me sort que j’ai accusé mon ex-conjoint d’attouchements sexuels sur notre fille. Pourquoi le père arrive-t-il avec ça maintenant ? Le juge prétend que j’ai proféré ces accusations devant lui : je l’ai vu deux fois dans ma vie, je ne comprends pas. Je suis enragée.
Violences psychologiques
Avec mon ex-mari, on est restés 21 ans ensemble. Il a été trois fois physiquement violent avec moi. Mais surtout violent psychologiquement, verbalement et financièrement – c’était moi qui bossais, lui qui gérait le portefeuille. Je suis sud-africaine, anglophone, métisse et quelqu’un de petite taille, mais qui dit ce qu’elle pense – chose que la Justice a toujours retenue contre moi. En 2017, mon ex a eu une relation avec l’institutrice de mon fils, 7 ans à ce moment-là. Quand je l’ai appris, je l’ai mis dehors. Depuis des années, je voulais divorcer mais il pleurait et disait qu’il allait se tuer. Il s’est séparé trois ou quatre fois de l’institutrice pendant les premiers mois, et il revenait pleurer, devant les enfants, en faisant des promesses, “On va voyager”, etc. Et en même temps, il portait plainte sur plainte contre moi. Il s’est ensuite trouvé un appartement seul, mais il imposait systématiquement la présence de sa compagne aux enfants. Avant d’être avec elle, il critiquait tout le temps son physique. Les enfants étaient en colère et ne voulaient pas aller chez lui. Il leur disait par exemple “Vous avez une nouvelle mère”. Même si lui, belge, blanc, a épousé une métisse, il disait que les mariages mixtes devraient être interdits, et qu’il n’avait jamais voulu d’eux. Mon fils se demandait s’il avait le droit d’exister.
Je suis sud-africaine, anglophone, métisse et quelqu’un de petite taille, mais qui dit ce qu’elle pense – chose que la Justice a toujours retenue contre moi.
Mes enfants ont parlé avec un psychologue et expliqué qu’ils étaient blessés par ce que faisait leur père. Et aussi parce qu’il n’arrêtait pas de m’accuser de 1.000 choses. Je pense qu’il trouve des conseils pour me faire perdre la garde sur des forums masculinistes… Très vite après la séparation, il m’avait accusée de vouloir partir en Afrique du Sud avec les enfants. En mars 2018, le tribunal de la famille m’a ordonné de “rendre” les passeports des enfants au père, mais il avait pris tous les papiers officiels, actes de naissance, passeports, etc., quand il était parti. J’avais voulu déposer plainte pour vol, mais la police avait refusé de la prendre : il n’y a pas vol entre époux. J’avais à nouveau essayé après le passage devant le tribunal. En mai 2018, j’ai finalement réussi à déposer cette plainte.
Policiers partisans
En janvier 2018, c’est moi qui avais contacté le SAJ pour trouver de l’aide, parce que les enfants ne voulaient pas retourner chez leur père et l’accusaient d’être violent avec eux. Mais c’est moi qui suis jugée mère indigne, aliénatrice en novembre 2018 et déchue de mes droits parentaux en décembre.
Au mois de juin, les enfants avaient fugué de chez leur père et étaient venus jusque chez moi, en pleurs. Mon avocate me dit de prévenir la police. J’appelle ; ils disent arriver pour dresser un constat. 20 minutes plus tard, autre appel : “Madame, vous refusez de remettre les enfants à leur père.” La police ne voulait plus venir. Je suis allée au poste de police où, quand j’arrive, j’entends mon ex se plaindre de moi. J’attends deux heures. Les mêmes deux policiers avec lesquels le père parlait me reçoivent, pas hyper sympas. Dans leur rapport, je suis suspecte de non-présentation d’enfants. Je ne le signe pas. Mes enfants ne sont pas des meubles, je ne peux pas les “donner”. Et est-ce que l’on se pose la question de pourquoi ils ont fugué ? À partir de ce moment-là, c’était fini pour moi.
Stéréotype de la mère manipulatrice
À cette époque, j’ai les enfants 9 jours et le père 5. Mais après cette première fugue, Monsieur a demandé la garde exclusive. Je leur avais dit : “Il faut aller chez papa. Vous vous aimez tous, il faut être avec votre père comme vous souhaitez qu’il soit avec vous.” De ça, je m’en veux. Je pense qu’eux aussi. Et quand je les ai vus l’année passée – trois heures – ils m’ont posé la question : “Pourquoi est-ce que personne ne nous a crus ?” C’est hyper dur.
Une psychologue avait conseillé à mes enfants d’écrire ce qu’ils ressentaient dans des carnets. Après cette fugue, j’ai lu leurs carnets. Ma fille écrivait par exemple, “Papa m’a giflée parce que je ne voulais pas éteindre la télé et puis il m’a promis qu’il allait m’acheter tous les Lego que je voulais.” Avant la séparation, il ne frappait pas les enfants mais disait par exemple à mon fils : “T’es qu’un con, t’es idiot, stupide.” Devant les autres, c’était le père parfait, derrière les portes, un homme exécrable. J’ai décidé d’aller à la police avec les carnets et d’expliquer mon inquiétude. La police a fait des copies, mais le rapport dit que les enfants écrivent des choses qui ne sont pas de leur âge, avec un vocabulaire trop élaboré. Ce sont les paroles des enfants par rapport à la violence physique que l’on met en doute ! Et moi, je leur aurais dit d’écrire des trucs pareils ? Ils écrivent aussi qu’ils sont allés à l’école sans petit-déjeuner 5 jours d’affilée ; le policier me dit qu’ils l’écrivent pour me faire plaisir. Pourtant, on était arrivés à un point où, même à l’école, ils ont accusé leur père de violence.
Devant les autres, c’était le père parfait, derrière les portes, un homme exécrable.
Fin juillet 2018, les enfants refusent catégoriquement de partir avec leur père, même en présence de la police. Début août, appel d’un inspecteur : “Si vous ne dites pas à vos enfants d’aller chez leur père, vous irez en prison.” Les enfants refusent à nouveau et en présence de la police, en expliquant que leur père est violent avec eux et qu’il ne les laisse pas me parler quand ils sont avec lui. Après 45 minutes, la police part sans avoir réussi à les convaincre. Le matin du 9 août, je suis convoquée pour non-présentation d’enfants. Un autre inspecteur m’ordonne de mettre les enfants devant la maison à 13h pour que le père puisse les récupérer, sinon je me fais mettre en prison tout de suite. Les enfants se débattent avec leur père, qui n’arrive pas à les mettre dans sa voiture.
Accusations racistes
Le 29 août, je me retrouve au tribunal correctionnel pour non-présentation d’enfants. Mon avocate, que je n’avais trouvée que 36 heures plus tôt, demande une remise, refusée par le tribunal. Je suis accusée de choses horribles : j’incite mes enfants “à haïr leur père”, “à mal se comporter chez lui”, etc. En sortant du tribunal, interpellée par la police, je dois aller au poste pour un interrogatoire. Je contacte mon avocate qui m’explique : “Dites-leur que vous voulez préparer cette audition avec moi ! C’est votre droit. Et qu’ils vous informent du motif de l’audition. C’est aussi votre droit.” Sur ce, la police m’annonce que je suis privée de liberté, me met des menottes. Au poste, on me déshabille et me donne une couverture en aluminium doré. On prend mes empreintes digitales et des photos. Je suis restée comme ça pendant trois heures en attendant un avocat. Mon ex-compagnon m’accusait de harcèlement. Pourtant, plusieurs mois auparavant, tous les soirs, c’est moi qui recevais des appels anonymes, parfois au milieu de la nuit : quelqu’un respirait fort au bout du fil. En 2020 seulement, j’ai eu accès à tout le dossier et j’ai vu que, dans les accusations de mon ex – ou dans celles de lui et de sa compagne –, il donne à la police les adresses de sites internet que j’aurais pu utiliser pour passer ces appels ! Il m’accuse aussi d’avoir voulu faire du vaudou. Au début, j’ai rigolé. Mais j’étais appelée sans arrêt par la police ; mon ex racontait avoir été contacté par un prêtre vaudou que j’aurais voulu engager mais que, comme je n’avais pas d’argent à lui donner, ce prêtre avait décidé de me dénoncer !
“Tout est retourné contre moi”
J’ai déposé une seconde plainte après la deuxième fugue : les enfants s’étaient retrouvés seuls le long d’une grand-route. J’ai été à Bruxelles, parce qu’on ne m’écoutait pas dans ma région. Le policier a reconnu le danger et informé le SAJ bruxellois qui a monté un dossier pour que les enfants ne doivent plus aller chez leur père. Ce dossier, avec des témoignages de personnes qui dénoncent les agissements du père, a été envoyé dans ma région, mais apparemment, on ne le retrouve plus. J’apprends également du SAJ de ma région que je ne peux pas avoir accès à certains documents du dossier…
Les enfants ont fugué au moins six fois, d’après les propres écrits du père – il adore écrire, à la police, aux juges… Il y reconnaît aussi, entre autres, qu’il a levé la main sur eux. Mais c’est moi le problème. Pour la Justice, je suis une mère qui refuse de “donner” ses enfants à leur père. Et quand je dis aux enfants de rester positifs, ça impliquerait que c’est négatif ce qu’ils vivent chez leur père… : il n’y a rien que je puisse faire, tout est retourné contre moi.
Attendre quoi ?
Il y a quelques mois, j’ai été appelée par le bureau d’aide aux victimes [auquel toute victime peut faire appel, ndlr], qui m’a dit qu’ils me reconnaissaient comme victime de violences post-conjugales, parce que plus d’une centaine de plaintes ont été déposées contre moi par mon ex ! Pour la plupart, je n’étais même pas au courant. Et encore récemment, alors que j’ai vu mes enfants moins de trois heures en un an. J’ai un compte Instagram, “The activist mom”, sur lequel je poste depuis des années des infos sur les violences domestiques. Après chaque post, mon ex prend une capture d’écran et porte plainte parce qu’il s’imagine que je parle de lui…
J’ai grandi dans le pays de l’apartheid mais les violences institutionnelles que j’ai vécues ici, je n’avais jamais connu ça.
Il m’a fallu perdre mes enfants, être condamnée, traverser tout ça pour que l’on se rende compte que c’est moi la victime. Et le bureau me dit : “Il va falloir du temps pour récupérer vos enfants. Il va falloir avoir de la patience.” Attendre quoi ? Que mes enfants soient adultes ? Et je dois payer 722 euros par mois de pension alimentaire à cet homme, alors que je suis au chômage, que je ne vois pas mes enfants, et que j’ai dû encaisser tout ce qui s’est passé avec les SAJ, SPJ, la Justice, la police… J’ai grandi dans le pays de l’apartheid mais les violences institutionnelles que j’ai vécues ici, je n’avais jamais connu ça.
Nouvelle stratégie pour discréditer les mères ?
En janvier 2020, le SPJ demande de continuer les mesures protectionnelles contre moi (en contradiction avec leur propre rapport où est écrit “arrêt de mesures”). En janvier 2021, le SPJ demande à nouveau une prolongation des mesures mais le juge décide de clôturer le dossier protectionnel. Je n’ai plus vu mes enfants depuis deux ans à ce moment là – je ne peux même pas leur envoyer une carte postale… Et ce juge me dit que j’ai parlé d’attouchements sexuels, qu’il m’a entendue en parler ! Selon moi, mon ex est désespéré, il a tellement menti au tribunal, et il doit trouver quelque chose d’autre. Tout est basé sur ses dires, mais il n’amène jamais rien de tangible. Aucun juge n’a jamais parlé avec mes enfants, ils n’ont jamais été entendus par personne ; Monsieur a toujours trouvé des excuses. Mais ça fait trois ans que mes enfants sont sans mère, et ça, c’est rien du tout. Il sait que j’ai cette relation proche avec mes enfants. Ils vont me parler de ce qu’ils subissent. Ils ont commencé… Je me demande s’il ne prépare pas sa défense. J’ai vraiment peur qu’il ait fait quelque chose à ma fille. Sinon, pourquoi il sort un truc pareil ? Un jour je me suis réveillée avec des bleus sur les cuisses. Je pense avoir été droguée. Je n’ai jamais compris ce qu’il s’était passé… J’ai parfois des pensées très noires.
Je n’ai plus vu mes enfants depuis deux ans à ce moment là. Je ne peux même pas leur envoyer une carte postale…
Je n’attends plus rien de la Justice belge. Je voudrais aller à la Cour européenne des droits de l’homme, mais il faut d’abord aller en appel sur le volet pension alimentaire, puis en appel à propos de la garde – où je vais récupérer une heure ici ou là. Et c’est comme si je devais acheter le droit de voir mes enfants : il faut que je paie 100 euros par heure pour les voir sous supervision. Ça continue à me coûter de l’argent, que je n’ai pas. Ce que je veux, c’est aller en cassation puis à la Cour européenne. D’autres mères veulent le faire également.