[Une première version de cet article a été publiée sur notre site au mois de juin 2021. Cette version-ci, mise à jour, est extraite de notre dossier de septembre, “Vêtements à l’école : jeunes femmes contre vieux règlements”. À lire aussi : “Quelle rentrée académique pour les étudiantes musulmanes visibles ?”]
“Laissez nos corps tranquilles.” C’est ainsi que débute un texte écrit par Louise (le prénom a été modifié), 17 ans, et adressé à ses professeur·es d’une école de la Région bruxelloise. Il s’agit pour elle de dénoncer des comportements et des remarques de leur part qui ciblent tout particulièrement les tenues vestimentaires des jeunes filles.

Louise rejoint une vague de protestation, commencée le 14 septembre 2020, rassemblant filles et garçons autour du sujet des tenues vestimentaires acceptées à l’école. Ce jour-là, en Belgique et en France, des filles étaient venues à l’école habillées de mini-jupes et de crop tops (des t-shirts courts qui laissent apparaître le ventre) pour critiquer les règles en vigueur dans les établissements scolaires, les discriminations sexistes et la culture du viol. Nombre d’entre elles ont dû rentrer chez elles pour se changer, manquant des heures de cours, ont été sanctionnées ou ont reçu des remarques dans leur journal de classe.
En ligne de mire des élèves : le règlement d’ordre intérieur des écoles (ironiquement résumé par les lettres qui forment l’acronyme “R.O.I”) qui précise les règles vestimentaires à suivre à l’intérieur de l’établissement. Chaque établissement établit son propre R.O.I.
Des remarques qui visent les filles
“Il ne manque plus que les talons hauts et tu finiras au bois”
“Je n’ai pas été victime moi-même de ces remarques, mais c’est le cas de ma petite sœur de 13 ans, explique Louise à axelle. Les filles, parfois très jeunes, reçoivent ces remarques destructrices. À l’une d’entre elles, un adulte de l’équipe pédagogique a dit : “Il ne manque plus que les talons hauts et tu finiras au bois”… Entre élèves, on ne se fait pas ce genre de commentaires, mais cela semble toléré de la part des adultes.”
Louise parle d’un choc entre générations, mais pas forcément avec ses professeur·es les plus âgé·es. “Ce sont des adultes dans la vingtaine ou la trentaine qui font ce genre de remarques aux filles. Ils ont bien assimilé les normes dominantes et ils les répètent sur nous”, analyse-t-elle.
Dans certaines écoles, les arguments vont jusqu’à expliquer qu’il s’agirait d’apprendre aux filles à “se respecter” ou même… à ne pas “provoquer” les garçons. C’est le cas d’une école wallonne qui, en mars 2021, a envoyé une lettre aux parents dans laquelle on pouvait lire ceci : “Certaines arborent des décolletés ou des blouses très courtes qui attirent le regard des jeunes élèves masculins en plein maelstrom hormonal.” La lettre continue en indiquant que si une agression se produisait aux abords de l’école, “il sera alors trop tard”. Une formulation qui fait porter la responsabilité d’une agression sur la potentielle victime et les vêtements qu’elle portait…
Instaurer le dialogue
“C’est le regard des garçons et des hommes qui dicte le comportement des femmes. Ça ne va pas, les hommes n’ont pas à avoir la mainmise sur la manière dont s’habillent les femmes”, analyse, quant à elle, Louise. Elle explique être scolarisée dans une école à pédagogie active. “Ici, on tutoie les professeurs et on peut leur dire quand on n’est pas d’accord avec eux, avec respect bien sûr. Du coup, on essaie de déconstruire leurs arguments sur les vêtements des filles par le dialogue.”
On demande que les professeurs qui tiennent des propos sexistes soient recadrés.
Dans son école, un groupe de filles et garçons volontaires a été créé et rencontre les professeur·es sur la question du règlement d’ordre intérieur. Louise en fait partie. “On demande que les professeurs qui tiennent des propos sexistes soient recadrés. On ne veut pas que les stéréotypes soient transmis à la génération d’après. On pense aussi que l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVRAS) est une piste, pas que pour les élèves mais aussi pour les professeurs qui ne sont pas formés à ces questions, ni à propos du féminisme par exemple. ”
Ce dialogue semble bénéfique : “Un éducateur a déjà dit qu’il allait essayer de modifier le R.O.I car il est écrit qu’il faut porter une “tenue convenable”. C’est très subjectif, on peut l’interpréter comme on veut”, poursuit-elle.
Louise a aussi proposé que le texte qu’elle a écrit soit publié dans le journal de l’école. “Cela a été refusé, car ils estiment qu’il est trop scandaleux. J’adore écrire, notamment des dissertations, et je suis féministe, ces questions me font vibrer. Après le 14 septembre, on a eu une discussion pendant le cours de morale, avec une professeure très bienveillante et à l’écoute. J’ai pris note des arguments et j’ai aussi utilisé les réseaux sociaux pour récolter des avis et des témoignages. C’est comme ça qu’est né ce texte. L’école m’a proposé de le réécrire, et au début, j’ai essayé. Je pense maintenant qu’il traduit un état d’esprit et qu’il est important de le garder tel qu’il est. Je ne suis plus d’accord avec certaines choses que j’ai écrites, mais le texte permet de faire passer une émotion. On ne convainc pas uniquement avec des arguments”, précise-t-elle.
Des règlements “farfelus mais surtout sexistes”

Le mouvement de protestation est désormais international. Outre en France et en Belgique, des garçons et des professeurs masculins au Canada et en Espagne sont notamment venus en cours en portant des jupes contre les discriminations sexistes. Tout récemment dans notre pays, début juin, Elza (prénom d’emprunt), 12 ans, avait été renvoyée chez elle pour se changer après que sa tenue a été jugée “incorrecte”, ce qui a relancé le débat autour des règlements d’ordre intérieur (axelle a également rencontré Elza et sa maman Lola à la manifestation du 22 juin 2021, voir ci-dessus).
Cela avait incité la Secrétaire d’État à l’Égalité des Genres, Sarah Schlitz (Ecolo), à réagir, dans les colonnes de La Dernière Heure : “De la transparence d’un collant à l’épaule découverte, les règlements d’ordre intérieur des écoles secondaires sont souvent farfelus mais surtout sexistes”, a-elle déploré. “Les règlements qui font une différence entre la tenue des garçons et des filles renforcent la binarité et la pression à une période où les élèves sont en recherche, découvrent leurs corps et changent énormément. La question de la tenue vestimentaire doit être traitée avec empathie et délicatesse”, indiquait-elle.
Le cabinet de la ministre de l’Éducation Caroline Désir (PS) a également publié une mise au point suite à cette affaire : “Les règlements d’ordre intérieur relèvent des prérogatives du pouvoir organisateur mais ils doivent évidemment respecter des principes de droit, notamment en matière de non-discrimination. La ministre Désir défend le modèle d’une école inclusive et égalitaire, qui n’est pas compatible avec une règle qui conduirait à écarter une jeune fille dont la tenue est jugée provocante alors que des garçons pourraient, par exemple, venir en short à l’école.”
Manif et pétition
Une manifestation a lieu ce 22 juin, devant le cabinet de la ministre Caroline Désir, organisée par le comité des élèves francophones (CEF). axelle y était (voir le reportage photo illustrant cet article).

Une pétition contre les règlements d’ordre intérieur discriminants a également été lancée. Les élèves demandent “des écoles et des règlements d’ordre intérieur libres de toutes formes de discriminations. Il faut fixer des critères clairs et objectifs sur ce qui est autorisé ou non. Il faut aussi pouvoir justifier et expliquer d’éventuelles interdictions. Des écoles démocratiques, où chaque voix (y compris celles des élèves) compte et où chacun·e peut avoir son mot à dire sur le fonctionnement et les règles de vivre-ensemble (comme le prévoit le Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement). Les élèves doivent être associé·es à la rédaction des règles en matière vestimentaire et c’est avec l’ensemble du personnel éducatif que doit être défini collectivement ce qui est permis ou non comme tenue à l’école. Des écoles citoyennes, où tous les actrices et acteurs de l’école (direction, profs, éducateurs et éducatrices, personnel technique et d’entretien) et les élèves sont formé·es contre le sexisme et toutes formes de discriminations.” Autant dire que le mouvement pour plus d’égalité à l’école ne fait que commencer.