Des roses blanches pour Eunice, une femme prostituée victime de féminicide

Ce n’est pas la vie qu’elles avaient rêvée, Eunice et ses copines, quand elles ont quitté le Nigéria, leur famille, leurs ami·es et un avenir sans issue pour se lancer dans le long voyage à travers le désert, puis la Méditerranée, vers ce qu’elles croyaient être l’« eldorado » européen. Pour Eunice, le rêve s’est achevé à 23 ans, une nuit de juin, devant une « carrée » de Saint-Josse, sous les coups de couteau d’un agresseur ; l’homme n’a pas été retrouvé. axelle a assisté, dans la foule, à l’hommage solidaire qui était rendu à la jeune femme ce jeudi 13 juin.

CC T.Kiya

Ce 13 juin, les proches d’Eunice lui rendaient un bref hommage, soutenues par l’UTSOPI (Union des Travailleu®ses du Sexe organisé(e)s pour l’Indépendance), l’association Espace P, qui travaille avec les prostituées, et le comité de quartier “Dupont plus Verte” (dont la présence est à souligner, les relations entre prostituées et riverain·es n’étant pas toujours des plus faciles). Des dizaines d’autres personnes étaient aussi venues marquer leur solidarité. Pas de pancartes, juste une banderole proclamant « We need care, not violence » ; pas de revendications, juste des chants religieux et traditionnels nigérians ; pas de discours, juste des roses blanches déposées devant la photo d’Eunice. Beaucoup de caméras, d’appareils photo, de journalistes, comme si l’on découvrait tout à coup une réalité qu’on voudrait tant pouvoir ignorer.

Ce matin, ce n’était pas le moment de se plonger dans le débat de fond sur la prostitution. Quelle que soit la position que l’on défend, on peut être d’accord sur quelques points : c’est un milieu où les violences peuvent venir de partout – de la part des clients évidemment, et des proxénètes, mais aussi des riverains ou de la Police ; où se croisent sexe, race et classe en une sorte de « précarité intersectionnelle » ; où l’on retrouve, sous forme concentrée, de grandes problématiques comme la migration – beaucoup de ces femmes sont sans papiers –, la misère et, bien sûr, tout le continuum des violences faites aux femmes. Il y a un mois à peine, c’est Laura, roumaine, qui était tuée par un « client mécontent » à Etterbeek…

Mais cette fois, la réaction a été immédiate : après le meurtre d’Eunice, ses collègues du quartier ont organisé une « grève des vitrines ». Il faut dire que l’inquiétude est grande, d’abord face à l’insécurité : au cœur de la marche, plusieurs femmes prostituées témoignaient de leur peur, surtout la nuit, l’une d’elles ne se sentant protégée que par son chien… Par ailleurs, d’une façon générale – et, pour certain·es, encore davantage lorsque cela concerne des femmes prostituées –, la Police ne joue pas son rôle et ne protège pas suffisamment les femmes victimes de violences. Tout cela dans le contexte des projets de la commune de Saint-Josse, qui a décidé la fermeture de toutes les vitrines dès 2019, sans proposer de réelles solutions.

Ces violences s’inscrivent aussi dans le cadre plus large des violences faites aux femmes, que ce soit dans la rue, au travail ou dans le cercle le plus intime. Depuis le début de l’année, le blog Stop Féminicide a déjà recensé 19 femmes victimes de féminicide en Belgique. Elles s’appelaient Eunice, Julie, Oumou, Rita. Elles avaient entre 21 et 62 ans. Elles vivaient à Schaerbeek, Herstal ou Veurne. Elles étaient étudiante, prostituée, employée, femme au foyer ; elles ont été tuées, parce qu’elles étaient des femmes.