“Madame NGATARE est morte. Nous disons son nom, malgré le secret professionnel, pour qu’elle ne disparaisse pas, victime anonyme de la pandémie. Victime anonyme mais victime annoncée. Par sa précarité. [… ] Nous, son médecin traitant, son avocate, nous pleurons sa disparition. Avec elle, c’est notre humanité qui a failli.”
C’est par ces mots, publiés sur Facebook par son avocate et sa médecin traitante, que nous avons appris la mort de Madame Ngatare.
Elle avait 59 ans
“Madame Ngatare cumulait toutes les difficultés que peuvent connaître les sans-papiers”, résume pour nous Elaine Magnette, avocate en droit des étrangers dont Madame Ngatare était la première cliente.
Madame Ngatare avait 59 ans. Elle était arrivée en Belgique en 2007, fuyant les violences dans son pays, le Congo, après la défaite de Jean-Pierre Bemba face à Joseph Kabila lors de l’élection présidentielle d’octobre 2006.
Madame Ngatare a longtemps logé dans une unique pièce d’un immeuble, quelque part à Bruxelles. Sans électricité, elle s’éclairait à la bougie. “Elle rêvait d’un vrai lit, pour reposer sa hanche abîmée”, confie Elaine Magnette. À cause de l’humidité de son logement, elle souffrait également de maladies respiratoires.
Elle prenait un traitement médicamenteux lourd et cher, qu’elle interrompait souvent, en raison de “galères administratives”. En effet, les procédures pour accéder à l’aide médicale urgente pour les personnes sans papiers sont souvent lentes et, parfois, n’aboutissent pas. Dans la situation actuelle de pandémie, “nous voulons une simplification et une accélération de l’accès des personnes sans papiers à la carte médicale urgente pour les soins de santé”, réclame d’ailleurs le mouvement Vie Féminine.
Elle venait d’obtenir ses papiers
Elle est venue nous montrer sa carte en dansant.
Le 13 mars dernier, à l’heure où la Belgique débutait son confinement, Madame Ngatare a obtenu ses papiers, après une lutte acharnée de 13 ans et 19 procédures. “Elle est venue nous montrer sa carte en dansant, se souvient son avocate. C’était une femme souriante, battante…” Mais le repos ne sera pas encore au rendez-vous pour Madame Ngatare.
“Vous imaginez, être au CPAS et noire, impossible de trouver un logement”, répétait-elle, traînant sa maison sur son dos, d’une connaissance à l’autre. Une proie idéale pour l’organisme vorace, le coronavirus Covid-19, de passage dans nos vies, auquel certain·es ne peuvent échapper, faute de conditions matérielles, d’un toit, d’une information suffisante, de droits.
Madame Ngatare est morte le 19, ou le 20. On ne le sait pas. Seule ? Avec une amie du salon de coiffure où elle passait ses journées à tresser ? A-t-elle une tombe ? Des fleurs ? Son corps a-t-il été rapatrié sur sa terre natale, auprès de ses proches ? Son avocate a lancé quelques appels. Sans succès jusqu’à présent.
Madame Ngatare est la première victime oubliée du coronarivus. Morte dans le silence de nos villes. Elle ne sera pas la dernière.
À sa mémoire
Alors, faisons-la revivre. Revendiquons un confinement solidaire, à sa mémoire. Relayons les revendications de la Coordination des sans-papiers de Belgique, de la Voix des Sans Papiers Bruxelles, du Comité des Femmes sans-papiers… : un moratoire dans le contrôle et les arrestations des personnes sans papiers. La libération sans conditions des personnes sans papiers qui courent des grands risques sanitaires en étant détenues dans les centres fermés. Une souplesse d’accès à la carte d’aide médicale urgente pour les personnes sans papiers qui n’ont pas d’adresse. La mise à disposition des mouvements de solidarité locaux de points physiques d’organisation pour faciliter la gestion et la distribution des colis alimentaires et sanitaires. L’organisation d’un accès sans limitation temporelle des locaux abandonnés, des bureaux, des lieux de culte, des hôtels, des salles de sport, pour répondre à l’incapacité structurelle de logement à Bruxelles pour les personnes sans abri, sans papiers, migrant·es, et en particulier les femmes, y compris avec enfants. La régularisation des personnes sans papiers pour des raisons humanitaires.
Relayons ces revendications, à la mémoire de Madame Ngatare. Que cette patiente “zéro” du coronavirus devienne un symbole. Que Madame Ngatare éclaire d’une lumière puissante les oublié·es de la crise sanitaire.