C’est l’une des premières scènes de la série Euphoria. Rue, 17 ans, cherche à se procurer de la drogue. Elle vient de sortir d’une cure de désintoxication ; elle a fait une overdose quelques semaines plus tôt. La série suit, sans concession, le quotidien de cette adolescente toxicomane dans une petite ville des États-Unis. Il faut dire que le pays vit depuis les années 1980 une grave crise, appelée “crise des opioïdes”. À cette époque, et notamment sous la pression des laboratoires pharmaceutiques, la prescription des opioïdes, ces médicaments aux propriétés analgésiques utilisés pour soulager la douleur, s’élargit aux douleurs du quotidien. Des produits très puissants comme le tramadol, la codéine, le fentanyl et surtout l’oxycodone sont prescrits par les médecins généralistes pour traiter des rages de dents, des zonas, ou des maux de dos. Des milliers d’Américain·es plongent dans la dépendance, créant une catastrophe sanitaire toujours en cours. Selon les estimations, une personne meurt d’overdose toutes les 5 minutes aux États-Unis. Les femmes américaines sont durement frappées – nous avions d’ailleurs consacré un reportage à ce sujet en mai 2019.
Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), précise que cette crise “présente la particularité de toucher plus de femmes, en particulier issues des classes moyennes. D’une façon générale, la crise des opioïdes se singularise par le fait de toucher un certain nombre de publics “inhabituels”, par exemple les mères de famille actives […] : aujourd’hui [aux États-Unis, ndlr], un enfant dépendant aux opioïdes naît toutes les 19 minutes.” Car consommer un médicament opioïde peut faire moins peur que les autres substances illégales et ce, malgré les risques encourus.
Les femmes semblent plus susceptibles de développer une dépendance aux drogues, souffrent plus sévèrement des conséquences physiologiques et psychologiques de la consommation de drogues, et éprouvent plus de difficultés à briser leur dépendance.
En Europe, les femmes représentent environ un quart de l’ensemble des personnes qui souffrent de graves problèmes de drogue et environ un cinquième de l’ensemble des patient·es entrant en traitement pour consommation de drogues, explique l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) qui regrette le manque d’études se penchant spécifiquement sur les femmes toxicomanes. La consommation et la dépendance aux drogues ont longtemps été considérées comme un problème typiquement masculin. “Récemment, même si le problème demeure toujours largement l’apanage des hommes, l’écart qui les sépare des femmes a rétréci de façon importante, souligne la professeure en psychiatrie Adrianna Mendrek. De plus, les femmes semblent plus susceptibles de développer une dépendance aux drogues, souffrent plus sévèrement des conséquences physiologiques et psychologiques de la consommation de drogues, et éprouvent plus de difficultés à briser leur dépendance.” »
“J’étais aide-soignante, avant”
“Oh tiens, il pleut.” Mathilde [prénom d’emprunt], 33 ans, est sans-abri à Bruxelles. Elle est aussi polytoxicomane (fait usage en même temps de plusieurs drogues). “Je suis tombée dans la dépendance très jeune, par amour, raconte-t-elle. J’avais 21 ans et j’étais amoureuse d’un homme dépendant. Je ne connaissais rien de la drogue, j’ai cru que je pourrais le sauver… Aujourd’hui, j’ai compris que cela n’était pas possible.” En ce qui concerne sa consommation, elle parle d’un “cocktail Molotov”. “Je prends de la coke, de l’héroïne, des médicaments, de l’alcool. Tout ce qui me passe sous la main. Dans la rue, on essaie de se lâcher, de s’amuser et cela va jusqu’à l’extrême… On vit tout à fond. Il y a aussi l’envie d’oublier notre situation. Je souffre beaucoup de la solitude. On se met dans des états où même mourir n’est plus grave.”
Je suis tombée dans la dépendance très jeune, par amour. J’avais 21 ans et j’étais amoureuse d’un homme dépendant. Je ne connaissais rien de la drogue, j’ai cru que je pourrais le sauver…
Cela fait deux ans que Mathilde essaie de se sevrer. En ce moment, elle est en rechute. “C’est la merde, commente-t-elle. Je ne connais que des gens qui consomment. Cela va être difficile pour moi de me détacher d’eux, j’ai grandi avec eux. Mais ils ne sont pas de bonne compagnie pour moi. Je vais essayer de trouver du bénévolat pour rencontrer de nouvelles personnes. J’étais aide-soignante, avant.” Elle est soutenue dans son parcours par l’asbl DUNE qui propose un service d’accompagnement psycho-médico-social et de réduction des risques pour les usager·ères de drogues. “Je peux y recevoir du matériel propre pour consommer, et de l’aide si je suis blessée ou si j’ai une infection. Je peux aussi boire un café. Ça fait du bien”, explique Mathilde.
À propos de DUNE, Charlotte Bonbled, chargée de projets au sein de l’asbl, complète : “Nous avons la particularité d’accueillir un public qui est extrêmement précaire. 90 % de notre public n’a pas de logement ou vit dans des squats. L’histoire de DUNE a commencé dans les années 1990, il s’agissait d’un groupe de soutien entre personnes concernées. L’objectif était de réduire le risque de contracter le sida ou d’autres maladies comme l’hépatite via des injections de drogue avec des seringues contaminées. Aujourd’hui, ce groupe a été dissous et nous sommes devenus une asbl mais nous pensons toujours, très pragmatiquement, que nous n’allons pas régler d’un coup de baguette magique le problème de la consommation de drogues. Les gens consomment, c’est un fait et nous préférons d’abord réduire les risques sanitaires liés à cette consommation. C’est une manière pour nous de les accrocher et ensuite nous pouvons développer un projet plus complet pour sortir de la dépendance si la personne le souhaite. Chez nous, la personne est mise au centre et elle est actrice de son rétablissement, la participation active des usagers et usagères est importante. Nous établissons une relation de confiance et un suivi qui permettra peut-être par la suite à la personne d’être accompagnée par une structure de soins classique.”
La non-mixité, une sécurité
Autre particularité de DUNE, la création en 2018 d’un espace en non-mixité entre femmes au sein de l’asbl. “Moi, je ne traîne qu’avec des hommes en rue. Je n’ai pas trop de contacts avec des femmes. Une femme seule ne fait pas long feu, on a besoin des hommes pour nous protéger, souligne Mathilde qui fréquente l’atelier femmes de DUNE. On fait des activités : du théâtre, des cours d’autodéfense, on a aussi été à la mer toutes ensemble. On essaie de reprendre soin de nos corps”, sourit-elle.
Les femmes font peu appel aux structures de soins pour elles-mêmes, mais plutôt quand leur enfant ou leur conjoint en a besoin. Elles ne se considèrent pas comme prioritaires.
À Bruxelles, le dernier dénombrement fait état de 21 % de femmes sans-abri, un chiffre qui serait largement sous-estimé. “Parmi ces femmes, précise Charlotte Bonbled, il y a certainement des consommatrices de drogues et on voulait mettre en place un accompagnement qui réponde à leurs besoins spécifiques. Elles vivent certaines violences et on sait aussi qu’elles ont encore plus de mal à faire appel aux structures d’aide et de soins classiques. Une infirmière de l’asbl m’expliquait que les femmes font peu appel aux structures de soins pour elles-mêmes, mais plutôt quand leur enfant ou leur conjoint en a besoin. Elles ne se considèrent pas comme prioritaires. On part du principe que la non-mixité leur donne une sécurité qu’elles n’ont pas ailleurs et leur permet de s’exprimer librement. Depuis la création de l’atelier femmes, le pourcentage de femmes accueillies par DUNE est passé de 8 à 12 %.” Grâce à l’obtention d’un subside, ce dispositif sera prochainement complété, notamment par la création de maraudes qui iront spécifiquement à la rencontre des femmes en rue ou encore la mise en place d’un accompagnement ciblé sur la santé sexuelle et reproductive.
Un cercle vicieux
Parmi les risques spécifiques de la consommation de drogues se trouvent les violences sexuelles. “Oui, j’en ai vécu. Quand les hommes consomment, ils ne se contrôlent plus. On donne aussi notre corps pour avoir de l’argent et acheter du produit, parce qu’il n’y a que ça qui compte”, réagit Mathilde. Et c’est un cercle vicieux. Car ce sont les violences psychologiques, physiques ou sexuelles (dont sont plus victimes les femmes dans notre société) qui les amènent souvent à consommer. “La population féminine sollicite plus souvent que les hommes les psychotropes dans l’objectif de gérer un trouble dépressif, de l’anxiété ou un syndrome post-traumatique. La brièveté du soulagement et l’inadéquation de la pratique conduisent à augmenter la fréquence de la consommation et la quantité de drogues, exposant ainsi les personnes au risque de développer un usage problématique”, note Eurotox, l’observatoire de la consommation des drogues en Wallonie et à Bruxelles.
La population féminine sollicite plus souvent que les hommes les psychotropes dans l’objectif de gérer un trouble dépressif, de l’anxiété ou un syndrome post-traumatique.
Par ailleurs, la prohibition de certaines drogues, entamée au début du 20e siècle, n’a jamais empêché leur consommation. Elle a surtout eu comme résultat de permettre à des institutions de traquer les personnes toxicomanes et elle a mené à plus de stigmatisation. “Les lois ne sont pas assez claires, expliquait Antoine Boucher, travailleur chez Infor-Drogues. On est supposé pénaliser les gens qui “détiennent” des produits, pas ceux qui en “consomment” ! […] Quand on sanctionne les consommateurs, on les désocialise et on les déstructure encore plus, ce qui est dramatique car l’usage de drogues est parfois lié à un mal-être, à une difficulté à faire face à certains événements. Au lieu de soutenir des personnes déjà fragiles, on les enfonce.”
L’assimilation de la modération à la féminité et de la prise de risque à la masculinité contribue encore à une très forte condamnation morale des femmes consommant de l’alcool et des drogues, et plus encore, de leurs comportements à risque.
C’est le cas de Mathilde qui a fait de la prison “à cause de la drogue, précise-t-elle. Cela ne sert à rien de nous mettre en prison ! En plus, quand je suis sortie de prison, ils m’ont dit [le personnel de la prison, ndlr] : “On se revoit dans un mois !”, alors que je n’y suis plus jamais allée. Ça irait mieux si on m’aidait à trouver un logement, par contre.” Cette stigmatisation liée à la prise de drogues et à la toxicomanie est pire pour les femmes, sur lesquelles pèsent des attentes et des stéréotypes sexistes. “Dans l’esprit des gens, les femmes ne font pas ça, normalement. On sait qu’on est jugées, qu’on est considérées comme sales”, confirme Mathilde. Eurotox l’écrit également : “L’assimilation de la modération à la féminité et de la prise de risque à la masculinité contribue encore à une très forte condamnation morale des femmes consommant de l’alcool et des drogues, et plus encore, de leurs comportements à risque. Cette stigmatisation s’accompagne de violence institutionnelle de la part de certains représentants des services de police, de la justice et de la santé. La maternité est un autre facteur de culpabilisation : peur de ne pas réussir à gérer sa grossesse ou à prendre soin de ses enfants, conviction d’être jugée incompétente dans son rôle de mère, crainte de se voir retirer les enfants.” Ce qui contribue à éloigner les femmes des structures de santé et d’autres institutions et retarde leur prise en charge.
Dans tous les milieux
Jo Mouke [pseudonyme] a précisément été confrontée à une structure de soins classique quand, en 2019, elle se présente dans des urgences psychiatriques, à Paris, pour se faire hospitaliser à sa demande. “Je traversais une dépression profonde depuis plusieurs années avec des accès de mélancolie extrême, et je m’étais enfermée dans un cycle infernal d’addiction aux drogues dures. Je ne sais plus dire comment tout cela a commencé, sûrement par de la consommation festive, mais très vite, j’ai fini par utiliser la coke pour calmer mes angoisses.” Elle exerce un travail à responsabilités dans le cinéma et a des ami·es qui l’entourent. Pourtant, “il m’est arrivé de faire des overdoses la nuit, de recevoir des soins et d’aller travailler le lendemain matin comme si de rien n’était. Mes collègues, qui ne consomment pas de drogues, ne se doutaient de rien, et je ne disais rien à mes proches. Ça a duré 5 ans.”
Il m’est arrivé de faire des overdoses la nuit, de recevoir des soins et d’aller travailler le lendemain matin comme si de rien n’était. Ça a duré 5 ans.
Aux urgences psychiatriques, elle est confrontée aux stéréotypes qui entourent la toxicomanie et au classisme des soignant·es. “Les médecins pensent vraiment que la toxicomanie est uniquement liée au milieu précaire, poursuit-elle. C’est faux, cela se retrouve dans tous les milieux. Et puis, les drogues dures sont encore considérées comme masculines, les gens n’arrivent pas à imaginer que je prenais 3 g de coke avant d’aller travailler. À un moment, 100 % de mon salaire passait dans ma consommation. Cela ne rentre pas dans leur vision de la féminité. Il faut déjà arriver à convaincre ses proches et les médecins qu’on a un problème avant de pouvoir recevoir des soins. Moi, c’est parce que je les ai convaincus que j’avais des envies suicidaires que j’ai été internée.”
Mais ce n’est que le début des violences, qu’elle retrace de manière autobiographique avec le dessinateur Julien Rodriguez dans leur bande dessinée, Déraillée. Les premières pages de la BD, étouffantes, racontent l’épreuve de ce début de contact institutionnel, disent la solitude d’une patiente face à un dispositif médical incapable de l’aider et retracent le récit du parcours de soin comme parcours de combattante. À plusieurs reprises, le personnage principal de la BD, Pénélope Renard, se rend compte que les soignant·es ne lui adressent pas la parole ou ne prennent pas la peine de lui expliquer les procédures médicales. “J’étais enfermée dans cet hôpital et une copine éditrice m’a dit : “Tu n’as quand même rien à faire, tiens un journal” (rires). C’est devenu la BD Déraillée. Cela m’a aidée de dénoncer cette violence hospitalière. J’ai fait plusieurs rechutes pendant le processus d’écriture mais cela m’a donné un projet auquel m’accrocher. Inventer un personnage qui n’est pas moi était important aussi. J’ai pu dire “elle” au lieu de “je”, il y a une mise à distance qui était nécessaire pour moi.”
Dans mon parcours, j’ai croisé beaucoup de femmes alcooliques, et c’était aussi difficile pour elles. On leur répondait que c’était un truc de pauvre, qu’elles ne pouvaient pas être malades. C’est dingue !
À propos d’espaces en non-mixité comme celui créé par DUNE, elle estime que c’est une “bonne idée parce que dans des endroits comme les Narcotiques Anonymes, il est fréquent d’être draguée par ton parrain quand tu es une femme. On rassemble des personnes qui sont toutes toxicomanes au même endroit, leur cerveau fonctionne de cette manière, et on a vite fait de remplacer une addiction par une autre… J’ai encore du mal à accepter que je suis malade et que ce sera comme ça toute ma vie. Je ne peux plus rien consommer, pas d’alcool non plus.” L’autrice espère que la BD permettra de lutter contre le tabou qui entoure la toxicomanie des femmes. “Le pire, c’est le silence. Il faut parler de ce sujet. Dans mon parcours, j’ai croisé beaucoup de femmes alcooliques, et c’était aussi difficile pour elles. On leur répondait que c’était un truc de pauvre, qu’elles ne pouvaient pas être malades. C’est dingue !”
L’alcool, une drogue comme une autre
Et pourtant. En Europe, on estime que 13 millions de femmes ont une forme d’addiction à l’alcool. Et 55.000 d’entre elles en meurent chaque année. À Tournai, le Centre régional psychiatrique Les Marronniers développe depuis 2021 un programme spécifiquement pour les femmes alcoolo-dépendantes. “Nous avons constaté qu’au sein de notre programme de soins pour patients dépendants, la population féminine ne faisait que croître. Elle représente désormais plus d’un quart de notre patientèle”, explique Justine Drossart, psychologue et alcoologue.
Nous avons constaté qu’au sein de notre programme de soins pour patients dépendants, la population féminine ne faisait que croître. Elle représente désormais plus d’un quart de notre patientèle.
Le programme “Femmes et alcool” rassemble maximum 8 femmes pour 10 séances d’atelier de groupe. En plus de Justine Drossart, deux autres intervenantes portent ce programme : une logopède et une infirmière spécialisée en soins psychocorporels. Depuis le 1er septembre 2022, un nouveau groupe de parole a vu le jour, “Vers elles”. “Il est constitué par un ensemble de femmes toutes concernées par la même préoccupation : gérer leur trouble lié à l’usage d’alcool, précise Justine Drossart. Ces séances de groupe leur permettent d’échanger autour d’un thème entre elles, mais aussi de verbaliser les envies d’alcool, les alcoolisations [les moments de consommation d’alcool, ndlr], les difficultés qu’elles ont vécues au cours de la semaine ou leurs réussites face à des envies et des expositions à l’alcool. Ainsi, elles s’encouragent, se soutiennent, s’échangent des astuces et des stratégies qui ont fonctionné. Le groupe permet d’entrer en résonance dans un contexte sécurisé et sans jugement. La dynamique dans les groupes mixtes et dans les groupes exclusivement féminins est tout à fait différente.” Ce groupe de parole se réunit le soir pour “toucher une population qui n’a pas accès aux groupes thérapeutiques en journée. Nous pensons notamment aux femmes actives, à celles qui, malgré une consommation d’alcool, continuent à avoir une vie professionnelle, à assumer leur rôle de mère et de femme dans la société”, continue-t-elle.
Un homme qui boit, c’est un bon vivant. Une femme qui boit, c’est une dépravée, c’est une femme qui n’est pas respectable. Et puis, surtout, c’est une mauvaise mère.
Selon l’experte, la honte et la solitude sont deux caractéristiques de l’alcoolisme féminin. “La consommation d’alcool par les femmes est encore, et depuis l’Antiquité, associée à l’immoralité. On considère encore beaucoup que les femmes qui consomment de l’alcool s’exposent à l’abandon de leur vie morale, voire à une sexualité débridée. Considérées comme les garantes de la moralité de la famille, elles se doivent d’être des femmes et des mères exemplaires. De ce fait, les femmes qui souffrent d’alcoolisme sont soumises à une stigmatisation sociale plus importante que les hommes alcooliques. En ce qui concerne les soins, l’alcoolisme féminin est étudié, évalué et traité en le comparant systématiquement à l’alcoolisme masculin, considéré comme la référence. Ce dernier est alors la grille de lecture pour interpréter et évaluer l’alcoolisme féminin. Pourtant, l’alcoolisme des femmes est tout à fait différent de l’alcoolisme des hommes”, analyse Justine Drossart.
Dans son documentaire Alcool au féminin, la réalisatrice Marie-Christine Gambart a réussi à faire témoigner cinq femmes sur leur addiction à l’alcool, dont Sylvie qui dit : “Je ne suis jamais rentrée dans un bar pour assouvir ma soif d’alcool. Jamais. C’est culturel, voilà. Une femme, ça ne boit pas à 9 heures du matin son petit blanc sur le zinc en compagnie d’hommes qui font la même chose. Un homme qui boit, c’est un bon vivant. Une femme qui boit, c’est une dépravée, c’est une femme qui n’est pas respectable. Et puis, surtout, c’est une mauvaise mère.”
Des antécédents d’agressions sexuelles et de viols multiplient par 36 le risque de relation problématique ou de dépendance à l’alcool.
Un chiffre est également cité dans le documentaire : des antécédents d’agressions sexuelles et de viols multiplient par 36 le risque de relation problématique ou de dépendance à l’alcool. Il y a aussi la pression qui pèse sur les femmes pour être “parfaites” : une bonne épouse, une bonne mère, une bonne travailleuse, une bonne amie… “La maladie alcoolique chez les femmes se manifeste généralement dans un contexte de solitude, de tristesse, voire de dépression et d’anxiété, abonde Justine Drossart. L’alcoolisation permet la plupart du temps de s’échapper du quotidien et des soucis qui lui sont inhérents, de se détendre, de s’assommer pour dormir et ne plus penser.”
“Touchée par le courage des femmes”
Elle poursuit : “Je suis toujours très touchée par le courage des femmes que je rencontre. Se questionner sur sa relation à l’alcool est bien plus compliqué qu’on ne le pense et franchir cette étape est très courageux. C’est toujours aussi très touchant et très encourageant de les voir devenir actrices de leur vie en s’appuyant sur leurs ressources et leurs compétences.” Ce qui l’a marquée particulièrement, c’est le parcours de patientes qui se battent depuis longtemps contre l’alcool, alternant les périodes d’abstinence et de rechute (c’est le cas de toutes les femmes auxquelles nous avons parlé pour cette enquête, y compris celle dont nous n’avons pas pu publier le témoignage), et faisant face aux maladies qui sont les conséquences* de l’alcoolisation chronique et massive.
Se questionner sur sa relation à l’alcool est bien plus compliqué qu’on ne le pense et franchir cette étape est très courageux.
Elle conclut : “Aujourd’hui, je suis aussi touchée par des femmes qui se questionnent sur leur relation à l’alcool. Celles qui consomment plusieurs verres de vin, par exemple, en rentrant le soir du travail, pour affronter la soirée en famille, pour apaiser le stress ou encore gérer la solitude. Ce sont des usages effectivement risqués de l’alcool et il est important d’offrir une place à la prévention et de donner une place à ces questions relatives à la consommation. L’alcool et les risques de sa consommation touchent toutes les catégories sociales. Personne n’est à l’abri. Ce qui diffère peut-être, ce sont les manières de s’alcooliser, les types d’alcool consommés. Mais boire trop de bière ou trop de champagne… représente un risque vers la dépendance.”
Retour à l’asbl DUNE, à Bruxelles. Mathilde se demande : “Est-ce que vous allez mettre autant d’humour dans votre article que moi j’en ai mis dans notre interview ? Est-ce que vous croyez que mon témoignage aidera d’autres femmes, vos lectrices ? C’est le plus important.” Pour la première question, ce n’est clairement pas garanti. Pour la deuxième, on ne peut qu’espérer avec elle.
* L’alcool affecte presque tous les organes du corps, et augmente le risque de cirrhose, de saignements gastro-intestinaux, de pancréatite, de cardiomyopathie, et d’un grand nombre de cancers.