« Dans la vie de tous les jours, on a autant besoin de savoir bricoler que cuisiner ! »

Par N°200 / p. 16-17 • Juin 2017

Chaque mois, La bricoleuse (qui tient à son anonymat) concocte les fiches bricolage d’axelle« Je ne suis pas devenue une ‘spécialiste en bricolage’», précise-t-elle dans la préface du recueil On bricole toutes ! qui rassemble ses fiches. « Mais j’ai pu goûter à ce sentiment de joie et de fierté qu’il y a à construire, bricoler, réparer, créer et expérimenter. Ce sentiment a rejailli de manière positive dans d’autres domaines de ma vie. » Elle nous explique sa démarche dans une interview, extraite du dossier du numéro 200.

CC El Gringo

 

À quand remonte ton intérêt pour le bricolage ? 

« J’ai habité dans plusieurs maisons où nous vivions en collectif, dont une en non-mixité femmes, avec quelques super copines et nos enfants. Ensemble, dans une démarche d’autonomisation et de réappropriation des savoir-faire, on a retapé notre lieu de vie. Mon intérêt a aussi été nourri par des exemples de bricoleuses inspirantes, des initiatives de chantiers non-mixtes, des collectifs féministes dont j’ai entendu parler dans des émissions radio comme Radiorageuses. »

Comment as-tu appris à bricoler ?

« C’est un apprentissage permanent. D’autant que je ne me suis pas spécialisée dans une tâche ou une technique, je touche à plein de trucs différents. J’ai beaucoup appris – et j’apprends toujours – en cherchant des informations autour de moi, en bricolant avec des ami·es, en me trompant et en réessayant. »

Dans les archives de La bricoleuse

Pour toi, quel est le sens de réaliser ces fiches dans un magazine féministe ?

« Pour la petite histoire, je m’étais déjà fait la réflexion, avant la proposition d’axelle, que ce serait intéressant de remplacer les fiches cuisine – qu’on relie toujours aux femmes – par des fiches brico. Dans la vie de tous les jours, on a autant besoin de savoir bricoler que cuisiner ! Ces fiches permettent de casser l’idée reçue selon laquelle le bricolage n’est que pour les hommes. Peut-être que les lectrices ne vont pas toutes s’y mettre, mais l’idée qu’elles en sont capables va prendre place dans leur imaginaire. Cette projection est déjà très émancipatrice et permet de changer le regard que l’on porte sur soi, car nos attitudes mentales sont aussi très genrées.

J’aime bien faire un parallèle avec l’autodéfense féministe : lors des entraînements, on travaille beaucoup la confiance en soi grâce à des exercices de visualisation. On se refait le film de situations (vécues ou non) et on imagine une résolution. Rien que ce travail mental nous redonne de la puissance. »

Parfois, il arrive qu’on cale quand même. C’est pas toujours si simple, le bricolage…

« Je ne parle qu’à partir de mon expérience, mais ce qui paraît vraiment insurmontable, c’est souvent à cause du manque d’habitude. En tant que femmes – ou personnes socialisées comme des femmes –, on n’a pas été habituées à développer l’esprit et la pratique du bricolage. Donc, dès qu’on essaye de bricoler, on bute sur des petites choses qui nous bloquent. On se dit qu’on n’est pas capables, on se sent impuissantes avant même d’essayer. Les hommes ne savent pas toujours non plus comment faire certaines choses mais la plupart d’entre eux, du fait de leur socialisation et parce qu’ils ont pu se projeter dans la pratique du bricolage depuis l’enfance, ont confiance en leurs capacités et osent se lancer… Je pense que se regrouper – entre femmes, entre non-expert·es – est l’une des solutions pour dépasser les blocages. Et aussi rester bienveillante envers soi-même ! »

La couverture de “On bricole toutes”, le recueil des 20 premières fiches brico d’axelle magazine

Dans des lieux comme les chantiers ou les ateliers auxquels tu as pris part, as-tu déjà essuyé des remarques sexistes ?

« Il m’est arrivé d’être confrontée à l’attitude condescendante de certains hommes sur des chantiers collectifs ou dans des ateliers vélo [relire aussi « La petite reine des femmes », axelle n° 188, ndlr]. Quand on bricole en public, on nous surveille du coin de l’œil, on est vite mises sous pression, on nous prend les outils des mains pour faire les choses à notre place si on ne va pas assez vite… C’est pourtant normal de cafouiller au début. Il faut nous laisser le temps de nous approprier les savoir-faire. Les ateliers de bricolage en non-mixité ou en mixité choisie peuvent aider à réveiller des capacités qu’on ne nous permet pas toujours de développer dans d’autres cadres, parce qu’on est coincées dans des rôles. »

• Le recueil de nos fiches brico est enfin disponible ! 

Et dans des lieux alternatifs, penses-tu que les femmes soient considérées comme égales ?

« Je dirais que ça dépend de chaque endroit, des personnes motrices, des participant·es… Mais s’il n’y a pas de réflexion de fond entamée sur les stéréotypes sexistes et la répartition des tâches, il n’y a pas de raison pour que les lieux dits « alternatifs » échappent au patriarcat comme par magie. Un jour, je me suis rendue dans un atelier de réparation : il y avait une grande table autour de laquelle des messieurs retraités réparaient des objets en majorité apportés par des femmes ! Non seulement, la réflexion sur le genre me semblait absente, mais j’ai regretté aussi l’absence d’apprentissage par la pratique. Regarder, c’est une chose, mais il faut pouvoir s’y essayer pour apprendre ! »

Comment choisis-tu les thèmes des fiches brico ?

« Je fais toujours des fiches sur des choses que j’ai déjà réalisées personnellement, ça me paraît essentiel pour pouvoir bien expliquer comment faire. Je reçois aussi des propositions de lectrices et de personnes de mon entourage. La plupart du temps, je ne connais pas la technique à la base. Donc, parfois, cela nécessite plus de temps, j’expérimente, je me renseigne auprès d’autres personnes pour arriver au bout de la tâche, et donc à la réalisation de la fiche. »

Tu veilles à diversifier les personnages que tu représentes…

« J’essaye de n’oublier personne et de dessiner un maximum de femmes différentes, mais ça reste difficile de prendre en compte le spectre infini de la diversité humaine ! Par exemple, j’aimerais intégrer plus de personnes moins valides. Sur cette question, la réflexion des Mud Girls [Relire « Femmes de boue, femmes debout ! », axelle hors-série 2015, ndlr] à propos de l’accessibilité de leur chantier est inspirante. Elles essayent de prendre en compte les capacités différentes des participant·es dans le rythme du travail, les horaires et les objectifs qu’elles se fixent. L’essentiel, c’est de ne pas se mettre la pression, de travailler dans un cadre bienveillant pour éviter de s’épuiser ou de se blesser. »