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Féminicides : de grands enjeux qui entraînent de grandes résistances

© axelle magazine

Féminicide. Un simple mot mais à la portée puissante au regard des interminables débats qu’il crée. S’il existe des résistances, c’est bien parce qu’il existe des enjeux derrière l’utilisation de ce terme. “En quoi le meurtre ou l’assassinat d’une femme serait-il différent de celui d’un homme ?” Une question que nombre de personnes se posent encore. Pour preuve : je l’ai récemment reçue dans ma boîte mail après avoir écrit un article à ce sujet. Ce dossier d’axelle entend y répondre. Car dans une société patriarcale où les rapports de force sont partout et s’entrecroisent, tout participe à invisibiliser cette sombre réalité.

Or, nommer, c’est faire exister. Jusqu’à peu, il n’existait même pas de mot pour le dire. Dans les années 1990, en Amérique latine d’abord, des chercheuses et activistes se mettent à utiliser le mot “fémicide”, puis “féminicide”. Un mot qui se fera connaître plus largement dans les pays francophones dans les années 2010 grâce à ce que l’autrice Aurore Koechlin nomme la “quatrième vague féministe”, qui se caractérise par une attention portée à toutes les violences faites aux femmes et par l’emploi des réseaux sociaux qui, outre la relance du mouvement #MeToo en 2017, permet à des notions de circuler plus rapidement entre les pays.

Jusqu’à peu également, nous n’avions pas de chiffres. En Belgique, ce recensement a débuté en 2017 sur le blog StopFeminicide et était effectué par des bénévoles issues de différentes associations faisant partie de la Plateforme Féministe contre les Violences Faites aux Femmes. Leur travail, aujourd’hui soutenu par une coordinatrice Aline Dirkx (qui signe trois articles de ce dossier, dont un spécifiquement consacré à l’enjeu des chiffres), a permis de recenser à partir des articles de presse au moins 177 féminicides ces six dernières années dans notre pays. Le blog comptabilise aussi les enfants, victimes directes ou collatérales de ces violences masculines. Dans le monde, selon l’Office des Nations Unies contre les drogues et le crime (ONUDC), 47.000 femmes et filles ont été tuées par leur partenaire intime ou un membre de la famille en 2020, c’est-à-dire une toutes les onze minutes.

Dans le monde, 47.000 femmes et filles ont été tuées par leur partenaire intime ou un membre de la famille en 2020, c’est-à-dire une toutes les onze minutes.

Malgré ces chiffres, il a longtemps été inconcevable d’inscrire le féminicide dans la loi. Les choses  bougent avec l’adoption par le gouvernement fédéral fin octobre 2022 du projet de “loi sur la prévention et la lutte contre les féminicides, les homicides basés sur le genre et les violences qui les précèdent”. La future législation, portée par la secrétaire d’État à l’Égalité des genres Sarah Schlitz, interviewée pour ce focus, définit la notion de féminicide officiellement, permet de collecter des données statistiques, améliore les droits et la protection des victimes et prévoit de former la police et les magistrat·es.

Le projet de loi distingue dans sa définition plusieurs formes de féminicides : le féminicide intime (par exemple, d’une compagne), non intime (d’une femme dans un réseau de prostitution) ou encore indirect (à la suite d’un avortement forcé ou d’une mutilation génitale féminine). La Belgique deviendrait ainsi le premier pays d’Europe à adopter une telle loi.

Le féminicide est “le symbole d’un système de domination très ancien qui repose sur la banalité mais aussi l’impunité des violences faites aux femmes et des crimes de haine à caractère sexiste perpétrés contre elles”

Tous ces éléments concourent désormais à faire reconnaître la spécificité du féminicide. Longuement rencontrée dans ce dossier, la chercheuse française Christelle Taraud écrit dans l’introduction du livre qu’elle a dirigé, Féminicides. Une histoire mondiale : “Le féminicide est un “crime de propriétaire”, comme l’a démontré l’historienne féministe italienne Silvia Federici, mais c’est aussi une manifestation paradigmatique de pouvoir ; pouvoir des hommes sur les femmes, que celui-ci se manifeste par la violence physique et sexuelle ou bien par l’emprise psychologique.”

Selon elle, le féminicide n’est pas une anomalie de nos sociétés. “Il est le symbole d’un système de domination très ancien qui repose sur la banalité mais aussi l’impunité des violences faites aux femmes et des crimes de haine à caractère sexiste perpétrés contre elles”, explique-t-elle.

Nommer, c’est faire exister, et comprendre, c’est, au moins un peu, lutter contre les mécanismes à l’œuvre qui autorisent des hommes à tuer des femmes. Juste parce qu’elles sont des femmes. (Camille Wernaers)

Les articles de ce focus ont été mis en ligne chaque jour entre le 5 et le 10 décembre 2022.

1. Christelle Taraud : “Les féminicides reposent sur un système très ancien d’écrasement des femmes”

2. Pourquoi compter nos mortes ?

3. Femmage aux femmes victimes de féminicide en Belgique en 2022

4. Maryse, survivante d’une tentative de féminicide cette année : “Ce n’est pas ça, l’amour”

5. Le regard de StopFeminicide sur la loi cadre “#StopFéminicide”

6. Trois questions à Sarah Schlitz