La rencontre avec le féminisme est propre à chacune des femmes que nous avons rencontrées. Toutes ne se définissaient pas féministes dès le départ, toutes n’avaient pas connaissance des grands noms de l’histoire comme Toni Morrison, Fatima El Mernissi, Simone de Beauvoir, bell hooks, Marie Popelin… Pourtant, la transmission n’a cessé de se faire, sous différentes formes, parfois même sans être pensée comme une stratégie de pérennisation, de lutte. Parfois dans la douleur, mais aussi dans la fête.
Nous n’étions pas féministes
Nadine Plateau, 81 ans, ex-enseignante, aujourd’hui retraitée, n’a pas entendu parler des groupes féministes avant sa vingtaine. D’autres révolutions et débats publics ont occupé les décennies de sa jeunesse, comme la décolonisation, la sexualité… C’est dans les années 1970 qu’elle découvre la révolution du féminisme. Elle se sent directement concernée. “J’ai découvert les femmes et la non-mixité. Je me suis sentie appartenir à un groupe. Avant mon engagement, je n’avais pas l’impression de faire partie d’une catégorie discriminée. Je n’éprouvais donc pas beaucoup de solidarité envers les femmes. Je pensais vivre dans un monde mixte mais, en fait, c’était un monde gouverné par les lois masculines. C’est le féminisme qui a développé ma sororité.” Avant cela, elle n’avait pas connu de transmission.
Lisette Lombé, 43 ans, poétesse, appartient à une génération suivante. Elle a également découvert le féminisme tardivement dans sa vie. Elle avait 33 ans lorsqu’elle a participé à un atelier de Vie Féminine. C’est la révélation : la sororité, telle une étreinte, vient réconforter Lisette, alors en pleine mutation familiale. Son parcours individuel résonne dans des histoires collectives, comme un écho qui lui revient. La prise de conscience est rapide et le besoin de rattraper toutes ses années sans féminisme se fait sentir. “J’ai divorcé, je suis devenue maman solo, j’ai eu une fille après avoir eu deux garçons, j’ai été confrontée à la précarité des temps partiels… J’ai découvert le patriarcat”, se remémore-t-elle. Comme Nadine, c’est la dimension systémique qui interpelle Lisette, frappée par des choix qui n’en étaient pas.
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Les femmes de l’entourage
Les premières phases de transmission, les graines plantées, qui posent les bases, n’ont pas nécessairement lieu dans l’espace public. L’entourage proche joue un rôle central dans la transmission féministe, de nouveau, sans pour autant connaître les mouvements. Les grands-mères, les mamans, les tantes, constituent souvent les fondations de cet héritage. Malika Hamidi, 47 ans, docteure en sociologie et spécialiste du féminisme musulman, se souvient de la lutte portée par sa maman : l’éducation. “Ma mère n’était pas foncièrement engagée. Elle était femme de ménage. Elle s’est plutôt battue pour que je puisse étudier. Elle me disait qu’une femme éduquée est une femme libre”, raconte-t-elle. Malika Hamidi est française d’origine algérienne. Dans les années 1980, la France écrasait les minorités raciales par son racisme anti-algérien plus que par l’islamophobie. C’est cette confrontation précoce avec la haine qui a poussé sa maman à s’engager à son échelle : “Étudier est le seul moyen de t’en sortir”, martelait-elle. Dès lors, Malika Hamidi était exemptée de corvées ménagères. “Ma maman s’est sacrifiée pour que j’aie la liberté et le temps d’étudier”, confie-t-elle. La lutte avait lieu dans l’espace domestique.
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