Les horizons variés des femmes au foyer

Les “femmes au foyer” font l’objet de nombreux clichés : elles seraient les victimes consentantes de leur mari, de leurs enfants et du patriarcat. Elles représentent souvent un antimodèle féministe. axelle a questionné leur univers, pourtant très hétérogène.

(c) Aline Rolis

En 2015, selon les statistiques fédérales, la Belgique comptait 4,3 millions de personnes “inactives”, parmi lesquelles 2,5 millions de femmes. Dans cette catégorie, on retrouve les étudiant•es, les personnes en incapacité de travail, les (pré)pensionné•es, et les personnes au foyer… ou plus exactement les femmes au foyer, qui sont 430.216 (17,40 % de la population féminine inactive) contre 17.376 hommes (0,9 % dans leur catégorie).

Leur profil

Selon les rares études qui leur sont consacrées, les femmes au foyer seraient principalement des jeunes mères ou des femmes qui ont passé la cinquantaine. Diplômées ou non, certaines d’entre elles ont subi de plein fouet le cumul d’un travail salarié (le plus souvent en contrats à durée déterminée ou en contrats précaires), du travail ménager et de la garde des enfants ; elles disent vouloir renoncer au “modèle wonderwoman” qui aurait été la norme à la génération précédente.

Contrairement à leurs aînées, beaucoup de femmes concernées voient aujourd’hui le fait d’être au foyer comme quelque chose de temporaire.

Comme Hélène, fondatrice du blog Fabuleuses au foyer, qui racontait récemment sur les ondes de France Inter qu’elle avait choisi de rester à la maison dès la naissance de ses jumeaux. Ou Fatima, que nous avons rencontrée avec Sabah et Besma à l’Espace femmes de Vie Féminine à Jette, et qui explique : “Même si j’avais eu les moyens, je n’aurais jamais pu mettre mes enfants à la crèche… et travailler à temps plein, non, je n’aurais jamais eu de temps pour eux.”

Contrairement à leurs aînées dans la même situation, beaucoup de femmes voient aujourd’hui le fait d’être au foyer comme quelque chose de temporaire. Comme un moyen de faire aussi quelque chose pour elles, de se lancer dans des activités créatrices, de partage, voire même de recherche d’alternatives au modèle capitaliste de notre société. Odile, militante écologiste, l’affirme : “Rester à la maison peut aussi signifier que l’on veut expérimenter des formes d’engagement citoyen et politique, lutter contre cette société de consommation à tout prix, s’ouvrir à la construction d’alternatives que le marché du travail ne permet pas tel qu’il est conçu aujourd’hui.”

© Aline Rolis

Quand ce n’est pas un choix

Pour Sabah, il n’y a pas eu à choisir : les manquements dans les politiques publiques de prise en charge des enfants et des adultes en situation de handicap s’en sont chargés. “J’ai quatre enfants, dont un trisomique qui me prend beaucoup de temps, explique-t-elle. Heureusement que mon mari gagne très bien sa vie.” C’est un fait : les mères sont souvent l’unique recours pour les enfants en situation de handicap (voir axelle n° 177). “Et puis travailler pour faire quoi ?, poursuit Sabah. Je n’ai pas été à l’école, j’ai commencé mes études cette année, ici en Belgique, avec les cours de français de l’Espace femmes de Vie Féminine.”

Certaines femmes, coincées par leur situation spécifique ou victimes de toutes sortes de discriminations, n’ont pas vraiment d’autre option : le foyer est pour elles une stratégie de repli. “De toute façon, c’est difficile de trouver des endroits où je peux travailler en portant mon foulard”, souligne Fatima.

Enfin, il y a des femmes qui se retrouvent au foyer à la suite d’une fin de contrat ou d’un licenciement. Cela peut être aussi le résultat pragmatique d’un arbitrage de couple lorsqu’il faut comparer les entrées et les sorties d’un budget familial que les frais de garde des enfants peuvent plomber – dans ce cas, ce sera le plus souvent la femme qui restera à la maison, le temps que les petits aient l’âge d’entrer à l’école.

 Le poids de la mère parfaite

Le matraquage social, médiatique et familial qui pousse les femmes à tout faire pour être de “bonnes mères” contamine même celles qui souhaitent mener de front vie professionnelle et maternité, pensant par exemple pouvoir partager les tâches avec leur conjoint. “Quand j’ai accouché de mon enfant, la question a été : comment gérer cette organisation nouvelle sans sacrifier ma carrière ? raconte Marie (nom d’emprunt). J’étais d’accord avec mon compagnon pour nous répartir cette tâche, c’est plutôt mon entourage qui m’a encouragée à mettre entre parenthèses ma carrière… pour le “bien-être” du petit. De manière temporaire, bien sûr. Une copine m’a carrément conseillé de me mettre au chômage pour quelque temps, histoire de “faire ce qu’il y a à faire”. Dans un coin de ma tête je pensais : et si elles avaient raison ? Heureusement, je ne les ai pas écoutées.”

Les femmes seraient-elles biologiquement mieux programmées que les hommes pour doser le produit lessive ou pour aspirer la poussière ?

En effet, même si certaines rêvent d’un monde idéal où le retour sur le marché du travail se ferait sans soucis, beaucoup d’entre elles prouvent la difficulté de retrouver un travail convenable après leur absence du marché de l’emploi. Sans compter qu’en cas de divorce ou de séparation, ce plan idéal “fait à deux” tombe à l’eau. Les femmes payent alors le prix fort du travail qu’elles ont fourni gratuitement à leur famille durant leur union, au lieu d’avoir développé leur autonomie financière. L’instabilité économique de la situation des femmes au foyer se reflète dans les petites pensions auxquelles elles vont avoir droit, en tant que “femmes inactives”.

Un rôle naturel ?

En 2016, la répartition du travail domestique est toujours très inégale entre les femmes et les hommes. Les femmes seraient-elles vraiment biologiquement mieux programmées que les hommes pour, disons, doser le produit lessive ou pour aspirer la poussière ? Dans le cas des femmes au foyer, difficile de démêler l’œuf de la poule car de fait, ce sont elles qui, pendant la journée, gèrent les tâches ménagères et le soin des enfants.

“Bien sûr, raconte la fondatrice de Fabuleuses au foyer, le fait que je suis plus disponible pour les enfants les porte à ne pas solliciter leur papa pour être aidés dans les devoirs, être accompagnés au sport, etc.” “Si mon mari travaille de six heures du matin à six heures du soir, souligne Besma, c’est à moi de m’occuper des enfants et du ménage.”

© Aline Rolis

Évidemment, les femmes ont été habituées à prendre en charge les tâches domestiques depuis des siècles : beaucoup les ont intériorisées, les vivent comme un devoir, comme une évidence. Mais au-delà de ce niveau individuel, “la classe des hommes extorque à la classe des femmes ce travail non rémunéré”, explique Christine Delphy (citée par François de Singly dans L’Injustice Ménagère). Dans un article sur le « travail ménager », la sociologue féministe est très claire sur ce point : “Dès que deux personnes […] se mettent en couple, la quantité de travail ménager fait par la femme augmente. Pour les hommes, il est divisé en moyenne par deux. Quand une femme se met en couple, elle fait en moyenne une heure de travail en plus que quand elle était célibataire. La femme perd à peu près exactement ce que l’homme gagne, dès la mise en ménage et ceci déjà avant l’arrivée de l’enfant.”

Partage des quoi ?

Mais pourquoi la situation ne change-t-elle pas, ou si lentement ? La réponse se trouve dans le fonctionnement de l’État, du marché du travail et de la division sexuelle du travail et des rôles. L’institution du mariage, par exemple, a été et reste encore aujourd’hui une source importante de discrimination économique pour les femmes. Les hommes et les femmes y arrivent avec un “pouvoir d’achat” différent : les hommes apportent les avantages qu’ils détiennent en tant qu’hommes sur le marché du travail (contrats plus stables, à temps plein, avec une rémunération plus élevée, etc.) et les femmes, les inégalités qu’elles ont héritées de la société : des revenus plus bas, des contrats à temps partiel et/ou dans des secteurs moins rémunérateurs, etc. Ces apports différents jouent un rôle dans la négociation sur la répartition de tâches liées au ménage et aux enfants, et “déterminent la quantité de travaux pour eux-mêmes que les hommes peuvent décharger sur les femmes et la quantité de travail de leur femme qu’ils peuvent s’approprier”, rappelle Christine Delphy.

Pesanteurs et discriminations

La vision naturalisante, qui évacue la construction sociale de ces rôles sexués et des hiérarchies entre les femmes et les hommes, est tenace. Elle nourrit d’ailleurs la revendication d’un “salaire” de l’État pour les femmes au foyer. On peut comprendre cette revendication sur le principe : en effet, les femmes au foyer réalisent un véritable travail qui nécessite des compétences et dont on peut calculer la valeur au tarif horaire. Mais ce n’est pas un hasard si cette idée est prônée notamment par des institutions religieuses et par des groupes politiques conservateurs qui ont un intérêt direct à ce que les femmes restent à la maison : c’est ainsi qu’ils conçoivent leur place, leur “mission”.

La lecture conservatrice des rapports hommes-femmes opérée par les religions n’aide pas les femmes. Si certaines croyantes développent en réaction des interprétations alternatives de leurs textes sacrés (voir axelle n° 174), beaucoup subissent le poids de doctrines qui considèrent que les femmes ont un rôle sacré à effectuer au sein de leur foyer.

“J’ai subi cette imposition dès le plus jeune âge, raconte Giovanna, Italienne vivant en Belgique depuis 40 ans. Le prêtre, ma mère, mes institutrices m’ont appris que nous, les femmes, étions responsables du bien-être familial et que ce bonheur demande des sacrifices de notre part. Difficile d’être une bonne chrétienne pour une femme comme moi, alors, qui devais faire garder mes enfants pour aller travailler, vu que l’argent ne pousse pas sur les arbres !”

Pas sûr que la situation ait beaucoup changé depuis la jeunesse de Giovanna. On lit sur le site catholique aleteia : “Choix ou pas choix, finalement peu importe, ce qu’il faut c’est être une femme au foyer HEUREUSE !” Serrons donc les dents et soyons heureuses, puisqu’il le faut.

(article initialement publié dans axelle hors-série, juillet-août 2016 et mis en ligne à l’occasion de la sortie du hors-série janvier-février 2017)

À lire sur notre site

Dans axelle, nous avons publié un article sur l’allocation universelle, qui pourrait devenir « un piège » pour les femmes.