Italie : l’emploi des femmes gravement fragilisé à cause de la pandémie

Par N°237 / p. WEB • Mars 2021

En décembre 2020, 98 % des personnes qui ont perdu leur emploi en Italie étaient des femmes. Un constat très inquiétant dans un pays où le taux d’occupation féminin était déjà l’un des plus faibles d’Europe. Certain·es y voient le risque d’un retour à la situation d’avant les années 1970.

CC Liam Martens

“Aujourd’hui, j’ai les mains complètement liées.” À cause de la pandémie, Fernanda a perdu son emploi et cela fait des mois qu’elle ne touche plus de revenus. Avant que le Covid-19 n’arrive en Italie, le matin, Fernanda s’occupait d’un couple de personnes âgées et, l’après-midi, travaillait comme baby-sitter.

Au moment où le virus a frappé le pays, Fernanda est partie en congé maternité. “Je devais reprendre le travail en octobre, raconte-t-elle. Mais comme les parents [des enfants que je gardais] étaient en télétravail, je n’ai pas pu y retourner.” Fernanda a aussi perdu son autre emploi : le couple de personnes âgées souhaitait une présence 24h/24, ce qui était impossible pour elle.

Un écart qui se creuse en défaveur des femmes

Partout dans le monde, les travailleuses subissent davantage les effets de la crise sanitaire que les hommes. Un rapport de l’ONU a récemment mis en lumière l’écart de pauvreté qui se creuse entre les hommes et les femmes. L’Italie ne fait pas exception. Ici, les femmes représentent 70 % des personnes qui ont perdu leur emploi en 2020. Mais au mois de décembre, le pays a atteint un niveau inquiétant puisque sur les 101.000 personnes occupées en moins (indépendantes et salariées), 98 % étaient des femmes, selon les chiffres provisoires de l’Institut italien de statistiques.

De son côté, l’entreprenariat féminin est également fragilisé. Lors du dernier trimestre 2020, le nombre de nouvelles entreprises créées par des femmes a diminué de 4,8 % alors que chez les hommes on observe une augmentation de 0,8 %, selon l’union italienne des chambres du commerce, de l’industrie, de l’artisanat et de l’agriculture. Ces dernières années, les entreprises féminines affichaient pourtant une croissance supérieure aux entreprises masculines, souligne l’union.

Ces inégalités s’expliquent, entre autres, par le fait que le secteur des services a été le plus impacté par la crise sanitaire. “Un secteur principalement composé de la force de travail féminine”, explique la sociologue Tania Toffanin, qui vient de terminer une étude sur l’impact du Covid-19 sur les travailleuses du tertiaire. Par exemple, les femmes représentent 88 % des travailleurs/euses dans les activités domestiques, récréatives et culturelles. Par ailleurs, ce secteur représente près de 77 % des 3,3 millions de travailleurs/euses non déclaré·es.

Dramatique absence de revenus

Comme pour Fernanda, Cristina a dû mettre fin à ses activités à cause de la pandémie. Cette coach sportive de 37 ans intervenait dans les écoles et les salles de fitness. Comme cela se fait souvent dans ce secteur, elle travaillait avec des contrats liés à ses projets. “Dès le mois de février 2020, je n’ai plus perçu de revenus, puisque j’étais payée pour les heures que je faisais”, explique Cristina. Elle a finalement reçu une prime mensuelle de l’État de 600 euros entre mars et juin. Mais ensuite, plus rien. Son contrat, qui venait de s’achever, ne lui a pas donné accès à des indemnités. Cristina espérait pouvoir reprendre en septembre, mais les écoles n’ont pas voulu et, dans les salles de fitness, il n’y avait pas assez de client·es. “J’ai quand même demandé qu’on me fasse un contrat au moins pour bénéficier des aides de l’État, mais ils ont refusé”, raconte Cristina.

De leur côté, les aides ménagères ou encore les baby-sitters n’ont pas eu droit à l’équivalent du chômage temporaire, confirme de son côté le syndicat CGIL. Les premiers temps, la famille qui embauchait Fernanda lui a versé ses congés payés. “Mais autour de moi, beaucoup de femmes, comme ma mère, étaient dans l’impossibilité de travailler et ne percevaient rien.”

Aujourd’hui, je ne meurs pas de faim parce que mes parents m’aident.

L’absence totale de revenus est une conséquence dramatique de la crise. “Aujourd’hui, je ne meurs pas de faim, mais c’est parce que j’ai la chance d’avoir mes parents qui m’aident”, reconnaît Michela, 30 ans, et monteuse vidéo. Cela faisait un an que cette jeune Milanaise travaillait pour une société de production sous un statut d’indépendante. En mars 2020, l’entreprise lui a annoncé qu’elle ne pouvait pas la payer entièrement. Michela a donc reçu 300 euros, puis 400 euros. “J’ai accepté, car je pensais que les activités allaient repartir, raconte-t-elle. Mais du jour au lendemain, ma cheffe m’a dit qu’elle ne pouvait plus me rémunérer.” Michela, ne pouvant plus payer son loyer, a vécu un peu chez son copain, puis s’est installée dans sa propre famille. “Malgré tout, je suis dans une position privilégiée, car heureusement j’avais un peu d’argent de côté, et surtout, j’ai mes proches.”

Une protection sociale largement insuffisante

Pour celles qui ne peuvent pas se tourner vers leur famille, la situation peut s’avérer particulièrement intenable. Le mari de Fernanda est ouvrier. Un seul revenu ne suffit pas à subvenir aux besoins du couple et de ses deux enfants de 6 mois et 14 ans. “On a des factures en retard et des loyers qu’on n’a pas pu payer”, raconte Fernanda.

Avoir eu un contrat, ça ne me sert à rien, ça ne me protège pas.

La jeune femme pense pouvoir bientôt toucher un petit chômage, “mais ce ne sera pas plus de 300 euros les deux premiers mois et ensuite, peut-être, 100 euros.” Car des deux emplois que Fernanda cumulait, seule l’activité de baby-sitting était déclarée. “Mais finalement, avoir eu un contrat, ça ne me sert à rien, ça ne me protège pas”, constate-t-elle.

Une problématique soulevée par la sociologue Tania Toffanin. “Toutes les protections sociales sont proportionnelles au salaire perçu”, rappelle-t-elle. Dans ce contexte, les femmes sont une nouvelle fois défavorisées. En effet, elles représentent 73,2 % des personnes en temps partiel, même si 60 % d’entre elles souhaiteraient travailler davantage.

Femmes migrantes, risque maximum

La baisse ou la perte de revenus constitue un risque tout particulier pour les femmes migrantes. En effet, l’une des conditions pour obtenir ou renouveler un permis de séjour est de percevoir un salaire annuel au moins égal à 5.983,64 euros (chiffre de 2021). Un seuil souvent difficile à atteindre pour les immigrées qui travaillent généralement comme aides ménagères ou aides à domicile (48 % des travailleurs/euses sont des migrant·es dont 84 % des femmes), pour des salaires extrêmement bas. “Si, en temps normal, le seuil est déjà trop haut, avec la pandémie, c’est encore plus difficile. Certaines femmes n’ont pas pu travailler pendant des mois”, constate Orkide Izci, membre de l’assemblée des femmes au sein de la Coordination des Migrant·es à Bologne.

Une longue histoire d’exploitation des femmes

La précarisation des femmes a toujours existé ; elle n’épargne d’ailleurs pas la Belgique où les travailleuses sont majoritaires dans les emplois à temps partiel. Selon Tania Toffanin, en Italie, cette précarisation est particulièrement stratifiée et solide. “Le fascisme et l’Église ont tout fait pour maintenir les femmes à la maison, et la République ensuite n’a pas vraiment permis une révolution.”

Les États vont laisser la charge sur les épaules des femmes.

Ainsi, avant le Covid, l’Italie enregistrait déjà le taux d’emploi des femmes le plus bas d’Europe avec la Grèce (53.8 % en Italie, contre 66,5 % en Belgique). Avec la pandémie, la sociologue craint d’assister à un retour à la situation d’avant les années 1970. “Les femmes risquent d’être contraintes de rester à la maison, à faire le travail domestique non rémunéré, car, sans leur salaire, ce ne sera plus possible de payer la baby-sitter ou la crèche, par exemple.” Les chiffres liés à “l’inactivité” (ne pas travailler de façon déclarée et ne pas chercher de travail déclaré) tendent à confirmer ses inquiétudes. Sur le mois de décembre, l’Italie a enregistré 40.000 femmes dites “inactives” supplémentaires, contre 20.000 de plus chez les hommes.

De plus, “la pandémie risque d’être une nouvelle excuse dont les États vont se servir pour s’extraire de leurs responsabilités en matière d’offre de services sociaux. Ils vont ainsi laisser la charge sur les épaules des femmes”, s’inquiète Tania Toffanin. Les femmes n’auront donc plus beaucoup d’alternatives : “C’est soit elles restent à la maison, soit elles se mettent en temps partiel, ou alors elles s’épuisent encore plus qu’elles ne le font déjà aujourd’hui.”