Elles s’appellent Christina, Jenny, Elisabeth, Esther et Betty. Ensemble, elles ont créé la « Ligue des nettoyeuses ». Cinq femmes philippines de tous âges, aux parcours et aux personnalités différentes. Elles sont mères célibataires, vivent seules avec leur famille ou en colocation. Plusieurs d’entre elles ont dû laisser leurs proches derrière elles pour venir en Belgique. Certaines ont un titre de séjour, d’autres non. Leur point commun : elles sont (ou ont été) engagées comme domestiques dans des ambassades ou chez des particulier·ères, et sont animées par une même combativité face à l’exploitation dont elles sont victimes.
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Selon l’OR.C.A (Organisation pour les Travailleurs Immigrés Clandestins, qui s’appelle désormais Fair Work Belgium), la majorité des femmes en séjour irrégulier en Belgique travaillent comme domestiques car les autres professions ne leur sont pas accessibles. Pourtant, ces femmes ont d’autres compétences et parfois un haut niveau d’instruction. Aux Philippines, Betty a un diplôme d’informaticienne et Esther est ingénieure civile.
« Nous avons le dos et les mains usées »
« Fête du travail », dit-on ; pourtant ce n’est pas le travail qu’on célèbre, mais plutôt les luttes des travailleuses et des travailleurs. Le 1er mai, à l’occasion de la Journée internationale des travailleuses et travailleurs, la « Ligue des nettoyeuses » a donc marché contre l’exploitation au travail et pour la régularisation des travailleuses domestiques. Armées de tabliers, de balais et de gants, symboles de leur métier, les nettoyeuses n’ont pas hésité à sortir dans l’espace public « pour faire entendre leur voix », ainsi qu’elles l’expliquent à axelle. L’objectif de la manifestation : revendiquer leurs droits et rendre visible une profession, domestique, trop souvent maltraitée.

En effet, les femmes de la « Ligue des nettoyeuses » racontent être exploitées. Celles qui sont sans papiers nous confient qu’elles travaillent souvent jusqu’à 22 heures avec un salaire de 5 euros de l’heure. Elles n’ont pas droit à des congés payés, au congé maternité ou même à une assurance maladie… « Nous avons le dos et les mains usées », témoignent-elles.
Un statut juridique flou
Toutes affirment être parfois soumises à du harcèlement, des menaces et à de la manipulation de la part de leurs employeurs/euses. « Il nous arrive d’être accusées à tort d’avoir volé un bijou ou un quelconque objet de valeur », explique l’une d’elles.

Elles sont soumises à un système digne de l’aristocratie : la profession de domestique, archaïque, s’est institutionnalisée au 19e siècle, où il était habituel que les familles aisées engagent du personnel pour s’occuper du ménage, de la cuisine, des enfants, etc. Selon la « Ligue des nettoyeuses », si les employées ont le malheur de protester face à une charge de travail qui déborde largement de leur contrat, elles sont licenciées ou sont victimes de chantage. De plus, le statut juridique dans les ambassades est flou. L’employeur est l’État de l’ambassade en question, mais le contrat est local. Bien sûr, il existe des lois générales que tout le monde doit respecter, mais elles ne disent rien à propos de la durée du travail, du montant ou de l’indexation du salaire…
« Montrer que nous existons »
Ce 1er mai, de la place Poelaert à la place Rouppe, dans le centre de Bruxelles, elles ont marché, accompagnées de plusieurs membres du MOC (mouvement ouvrier chrétien) avec qui elles se réunissent régulièrement pour discuter de leur condition. « Avec cette action collective, l’objectif est d’avoir un maximum d’impact et de montrer que nous existons », expliquent-elles.

Pour l’occasion, la « Ligue des nettoyeuses » a écrit un manifeste revendiquant une série de droits fondamentaux : le droit à une rémunération juste pour un travail décent, la fin des promesses électorales non tenues, la fin du harcèlement et de l’exploitation… Le groupe souligne l’urgence : la société doit savoir ce qui se passe « derrière les rideaux ». Chaque jour, des femmes de toutes les nationalités triment dans les maisons prestigieuses… et se battent pour une vie meilleure. Pour ces femmes, il ne suffit pas de vivre légalement en Belgique mais aussi de pouvoir jouir des droits et des opportunités que leur reconnaît la loi.
« L’année prochaine, nous espérons mobiliser plus de femmes philippines et être mieux organisées », expliquent Christina et Jenny après la manifestation. Elles ont conscience que le chemin à parcourir est encore long. Pourtant, malgré la difficulté de la tâche, elles restent enthousiastes et déterminées. Comme elles le clament haut et fort, « les nettoyeuses ont une voix et un cerveau » : c’est sûr, elles n’ont pas fini de se faire entendre.