Les femmes reprennent le pouvoir sur la ville

Par N°210 / p. 16-18 • Juin 2018

Des communes belges et étrangères ont mis en place des initiatives pour que les femmes obtiennent une place à part entière dans leur commune. Ces idées émanent souvent de collectifs de femmes. À l’approche des élections communales d’octobre 2018, petit tour du monde non exhaustif de bonnes pratiques… pour inspirer nos futur·es élu·es ?

Liège inaugurait en 2016 sa nouvelle passerelle, maladroitement baptisée « La Belle Liégeoise » en hommage à l'héroïne féministe Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. © BelPress

Article extrait du dossier « Élections communales. Prendre le pouvoir au-delà des urnes », publié dans axelle n° 210.

À Namur, une plateforme pour les femmes

L’échevine de l’Égalité des chances Stéphanie Scailquin (cdH) a lancé en 2015 la plateforme Namur’Elles, dans la foulée de la signature en juillet 2013 de la Charte de l’Égalité des chances. L’échevine réunit une quinzaine d’associations namuroises attentives aux droits des femmes. L’objectif de la plateforme : échanger au sujet de leurs publics respectifs, de leurs attentes, de leurs besoins et prendre en compte les droits des femmes dans les politiques communales. Namur’Elles organise aussi des événements autour du 8 mars.

À Namur, l’asbl Garance, qui se bat pour un accès plus égalitaire aux espaces publics, mène depuis deux ans des « marches exploratoires » afin d’identifier les facteurs d’insécurité ou de sécurité pour les femmes dans la ville. Un travail de terrain acharné – et bénévole ! – qui a payé récemment : leurs recommandations vont être intégrées dans le projet du nouveau quartier des Casernes.

Enfin, la Ville souhaite aussi, comme annoncé par son échevine lors d’un récent colloque organisé par Synergie Wallonie, « développer une attention particulière sur la violence entre partenaires, afin de respecter la Convention d’Istanbul. »

Le temps des femmes

Le temps des femmes et des hommes se décompose de manière différente et inégale. Les « politiques temporelles » ont pour objectif de privilégier une meilleure articulation des temps de vie (personnelle, familiale, professionnelle, sociale). Ces politiques touchent des domaines très variés, comme l’accueil de la petite enfance, la mobilité ou encore les équipements publics. Elles ont vu le jour dans les années 1980 en Italie : des femmes du syndicat communiste dénonçaient la « double journée » et la difficile « conciliation » du temps domestique – toujours inégalement réparti au sein du ménage – avec les heures de travail, leur laissant peu de temps pour elles-mêmes.

Cette réflexion a ensuite essaimé en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne et en France, où la ville de Rennes fait figure de pionnière. Sa première mesure a été l’adaptation des horaires des agent·es d’entretien (en très grande majorité des femmes) qui travaillaient alors tôt le matin et/ou tard le soir. Désormais, le personnel de nettoyage est en service de 8 à 15 heures ou de 10 à 18 heures.

« Les politiques temporelles permettent des réponses collectives à des besoins individuels », a expliqué Reine Marcelis, présidente de l’asbl Synergie Wallonie qui a consacré une recherche-action sur les politiques temporelles dans des communes bruxelloises lors d’un colloque consacré à cette question. Puis d’insister sur la dimension féministe des politiques temporelles : « Il s’agit de sortir d’une conception du temps axée sur l’impératif de rentabilité, où le temps non productif [famille, soin aux autres, principalement porté par les femmes, ndlr] est considéré comme du temps mort. » Et donc d’interroger le temps de loisirs, réparti inégalement entre femmes et hommes.

L’histoire des femmes dans les rues

L’invisibilité des femmes se manifeste aussi dans les noms majoritairement masculins des rues, des écoles, des monuments, des salles communales… Le Conseil communal namurois a décidé en février 2017 de rebaptiser 15 voiries par des noms de femmes ayant marqué l’histoire de la cité mosane, dont les rues comptent aujourd’hui seulement 2 % d’appellations féminines. Le premier « rebaptême » sera en l’honneur de Julie Dessy, créatrice des premières recettes des confitures Materne. Liège inaugurait en 2016 sa nouvelle passerelle, maladroitement baptisée « La Belle Liégeoise » en hommage à l’héroïne féministe Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. Ces initiatives semblent relativement simples mais ne sont pas si faciles à amorcer. À Écaussines, des membres de Vie Féminine ont mené tout un travail d’enquête sur les femmes remarquables de leur localité et ont envoyé un dossier à la commune, qui ne leur a jamais répondu… et qui a par la suite repris l’idée pour de nouveaux lotissements. Quant à Evere, les femmes du Conseil communal se battent pour que leur maison communale ait au moins une salle au nom féminin. Un échevin leur a rétorqué qu’elle existait déjà : la salle Aria, du nom d’un personnage de bande dessinée. Une femme de papier, est-ce vraiment suffisant ? Pour certains, oui.

Pipi pour toutes !

La discrimination des femmes dans l’espace public est partout… jusqu’au petit coin. Les toilettes publiques sont révélatrices de la manière dont une commune pense – ou pas – aux femmes. Aux Pays-Bas, des collectifs de femmes ont décrété en septembre 2017 un « jour national du pipi dans les urinoirs publics ».

En réaction à la condamnation à une amende d’une femme surprise en train d’uriner de nuit sur la voie publique, des milliers de Néerlandaises se sont photographiées dans les urinoirs pour montrer avec humour qu’il leur était difficile de faire pipi dans une installation conçue par et pour des hommes. © ANP / Koen van Weel

Cette mobilisation est née après l’amende infligée à une femme surprise en train d’uriner de nuit sur la voie publique. Jusque-là, rien de sexiste : les hommes aussi – et en Belgique, c’est pareil – peuvent être condamnés pour ce fait. Mais le juge lui avait rétorqué qu’elle « n’avait qu’à utiliser des urinoirs masculins » estimant que « cela n’est peut-être pas agréable mais pourrait être possible », rapportait l’AFP à l’époque. En réaction, des milliers de Néerlandaises se sont photographiées dans les urinoirs pour montrer avec humour qu’il leur était difficile de faire pipi dans une installation conçue par et pour des hommes. Des solutions ? L’Allemagne et la Suède ont mis en place de nombreuses toilettes mixtes. À Namur, à l’issue de marches exploratoires, des femmes ont lancé l’idée que des commerces mettent à disposition gratuitement leurs toilettes, moyennant compensation par la Ville.

Sécurité dans les transports

Le soir, la Ville de Montréal propose aux femmes un service spécial « entre deux arrêts », afin de les reconduire au plus près de leur destination.

En Suède, même le déneigement est féministe

L’égalité dans le déneigement. Où d’autre qu’en Suède ? En 2015, la Ville de Stockholm a mis en place le « jämställd snöröjning », ou « déneigement favorisant l’égalité », soit un déneigement qui consiste d’abord à déblayer les trottoirs et ensuite les routes. « Les élus sont partis du constat que les femmes utilisent davantage les trottoirs et les pistes cyclables (car elles manient des poussettes), tandis que les hommes, eux, circulent sur les grandes avenues (car ils conduisent des voitures) », expliquait Le Monde. Et l’article de souligner avec pertinence que cette politique est favorable aux femmes, mais aussi à tout le monde. En effet, « quand un landau peut passer sur un trottoir, une personne âgée peut aussi sortir avec son déambulateur ». Petit « détail » qui compte : dans la majorité municipale à l’origine de cette politique, il y avait des élu·es d’un parti féministe !

En 2015, la Ville de Stockholm a mis en place le « jämställd snöröjning », ou « déneigement favorisant l’égalité », soit un déneigement qui consiste d’abord à déblayer les trottoirs et ensuite les routes. © Belga/AFP

Genre et marchés publics

Pour satisfaire les besoins de sa population, une commune peut recourir à ses ressources propres (son personnel) ou bien faire appel aux services de prestataires extérieur·es (particuliers/ères, sociétés privées, mais aussi autres entités publiques) pour notamment gérer ses voiries, se fournir en matériel, etc. Il s’agit alors de « marchés publics ». Comme ils sont financés avec l’argent des contribuables, ils font l’objet d’une réglementation stricte. Le marché doit être le plus économique possible, il doit être accessible à tout le monde, les candidat·es doivent être traité·es de la même manière et la procédure de sélection être transparente. En quoi cela peut-il jouer sur l’égalité femmes-hommes ? Exemple à Schaerbeek : la commune s’est aperçue que les uniformes des balayeurs/euses, fournis par un prestataire extérieur, étaient beaucoup trop grands pour les travailleuses. Ils en ont cherché des plus adaptés. En vain…

L’Espagne, la Norvège et la Suède ont une longueur d’avance en termes de prise en compte du genre dans les marchés publics, rapporte l’Observatoire de la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. Par exemple, l’Institut basque pour les Femmes a publié un guide expliquant comment établir des conditions en faveur de l’égalité femmes-hommes dans les contrats et subventions publiques.