Madonna Thunder Hawk, la résistance en héritage

Par N°228 / p. 22-24 • Avril 2020

Madonna Thunder Hawk se bat depuis des décennies pour la défense de l’identité et des droits des peuples autochtones aux États-Unis. À 80 ans, cette guerrière Oohenumpa Lakota continue de s’opposer aux pouvoirs politiques et économiques avides de s’approprier les terres de ses ancêtres. Un esprit de résistance qu’elle a transmis à sa fille Marcella Gilbert, et aux jeunes générations amérindiennes. Interview à Paris, à l’occasion de la sortie d’un film qui leur est consacré.

Madonna Thunder Hawk et sa fille, Marcella Gilbert. © John G. Larson

Derrière d’épaisses lunettes, son regard perçant ne s’est pas altéré avec les années. Madonna Thunder Hawk, née Gilbert, a vu le jour en 1940 dans la réserve Sioux Lakota Yankton (Dakota du Sud). Elle devient très tôt une militante autochtone. En 1977, au sein de l’American Indian Movement (AIM), elle occupe les Black Hills pour lutter contre leur annexion par le gouvernement américain : ce sont des montagnes sacrées pour les Sioux Lakota. Dans la même période, elle cofonde “l’école de survie” “We Will Remember” (“nous nous souviendrons”) qui propose, pour les enfants autochtones, une éducation alternative proche de leurs valeurs culturelles et traditionnelles. Inspirée par les mouvements féministes, Madonna lance également avec d’autres militantes de l’AIM l’organisation Women of All Red Nations, dédiée au respect des femmes autochtones. De quoi influencer sa fille Marcella Gilbert qui poursuit inlassablement son combat pour la défense de leur peuple. Comme le dit un dicton amérindien : “Si vous voulez de belles paroles, invitez les hommes. Mais si vous voulez que les choses soient faites, appelez les femmes.”

Quel a été votre premier acte de résistance ?

Madonna Thunder Hawk : “À six ans, j’ai été emmenée de force, loin de ma famille, dans un pensionnat pour enfants autochtones [de 1869 jusqu’aux années 1980, des milliers d’enfants amérindien·nes ont été retiré·es à leurs familles par les autorités américaines, ndlr]. Nous faisions face aux ravages de la colonisation. Ma famille m’a appris l’importance de ne rien prendre pour acquis. Et j’ai tout de suite remis en question l’autorité. D’autant que j’étais la seule à savoir parler anglais grâce à ma grand-mère qui me l’avait appris. Tous les enfants avaient peur. Mais moi, je savais ce qui se passait. La résistance a commencé comme ça : en me protégeant, et en protégeant mes semblables.”

Comment est né l’American Indian Movement que vous avez cofondé en 1968 ?

M.T.H. : “Avant sa création, il y avait plusieurs organisations de “Red Power” [mouvement social d’autonomisation des Amérindien·nes, ndlr] à travers tout le pays, surtout dans les villes où les Amérindiens se battaient contre les violences policières. L’AIM est devenu plus important car il incluait les Amérindiens résidant dans les réserves, et tous ceux dont le combat était lié à la défense des territoires autochtones. Nous avons été guidés par nos expériences, et par le vent de contestation qui s’est levé dès la fin des années 1960 aux États-Unis. Nos occupations dans les Black Hills, à Wounded Knee – où l’AIM affronta le FBI et la police pendant 72 jours –, et ailleurs, étaient une déclaration politique aux gouvernements qui, successivement, se sont emparés de nos territoires : “Vous ne respectez pas vos propres traités. Ces terres sont les nôtres.” Nous n’avons pas récupéré nos terres, mais ces actions nous ont rassemblés.”

Madonna Thunder Hawk (à droite) et sa fille, Marcella Gilbert. © John G. Larson

Marcella, comment avez-vous suivi le combat de votre mère ?

Marcella Gilbert : “Être la fille d’une révolutionnaire implique des responsabilités. C’est un héritage lourd. Mais j’ai appris à être responsable pour mon peuple, pour notre avenir. Aujourd’hui, pour l’ONG Simply Smiles, je m’occupe de la gestion de 35 jardins et de programmes éducatifs sur la nutrition et le rapport à la terre dans la réserve de Cheyenne River [dans le Dakota du Sud, ndlr]. L’objectif : réintroduire les aliments traditionnels durables et promouvoir l’agriculture biologique. Sur le modèle des “Survival Schools” initiées par ma mère, j’ai fondé ma propre école de survie, Waniyetu Iyawapi, une expérience d’enseignement itinérant. Quant à mes enfants, je leur ai simplement dit : “Nous sommes qui nous sommes. Engagez-vous, si vous le souhaitez.” Même si, de fait, notre famille fait partie de la révolution, reprendre le flambeau donne un sens à notre vie et nous permet de garder le cap.”

D.R.

En 2007, les Nations Unies ont adopté la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. À quel point ce traité est-il utile pour réclamer le respect de vos droits ?

M.G. : “Il faut savoir que notre famille a œuvré pour ce traité. À 17 ans, j’ai été envoyée, avec ma mère, comme déléguée de l’International Indian Treaty Council [une organisation internationale qui œuvre pour les droits et la reconnaissance des peuples autochtones, ndlr] lors de la première Conférence internationale sur la discrimination à l’égard des populations indigènes dans les Amériques. C’était à Genève, en 1977. Cette réunion était la première pierre posée pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones au niveau international.”

M.T.H. : “Le pouvoir colonial contrôle le monde aujourd’hui et ignore ce traité. Mais l’important, c’est ce qu’il signifie pour les peuples autochtones : que nous existons toujours, et que nous faisons partie de la communauté mondiale.”

Contre la construction initiée en 2016 de l’oléoduc pétrolier Dakota Access Pipeline, vous étiez en première ligne. Vous dénonciez l’impact dévastateur de ce projet sur l’environnement et vos terres sacrées. Aujourd’hui, où en est ce projet ?

M.T.H. : “L’oléoduc a été construit… Après des manifestations très médiatisées, Barack Obama avait renoncé à ce pipeline fin 2016. Mais Donald Trump, dès le début de son mandat, a signé un décret relançant sa construction. Trois tribus amérindiennes sont actuellement en procès. Car pour construire le Dakota Access, ni les réglementations environnementales ni la loi fédérale n’ont été respectées. Actuellement, nous nous battons contre un nouveau projet pétrolier. Des industries extractivistes, soutenues par l’administration Trump, prévoient de construire l’oléoduc Keystone XL à quelques kilomètres de la frontière ouest de notre réserve. C’est une lutte sans fin…”

Lorsque les colons sont arrivés en Amérique, ils ont décidé à qui ils voulaient s’adresser : les femmes sont alors devenues invisibles.

Au Brésil, en Équateur, au Mexique… Ces derniers mois, des mouvements de femmes autochtones prennent la tête de la contestation contre les politiques racistes et liberticides de leur pays. Envisagez-vous des alliances ?

M.T.H. : “Nous sommes bien sûr solidaires de ces mouvements car, après tout, nous sommes tous dans le même bateau. Historiquement, d’ailleurs, les femmes ont toujours eu un pouvoir de décision. Dans beaucoup de sociétés amérindiennes, l’harmonie règne entre les hommes et les femmes. Nous sommes sur le même pied d’égalité. Lorsque les colons sont arrivés en Amérique, ils ont décidé à qui ils voulaient s’adresser : les femmes sont alors devenues invisibles. Mais aujourd’hui, les projecteurs sont tournés vers elles.”

M.G. : “La question des alliés est cruciale. La mobilisation de Standing Rock est un excellent exemple : des gens du monde entier nous ont rejoints pour résister à nos côtés. C’est pour cette raison que nous soutenons aussi le combat de la jeune Suédoise Greta Thunberg, venue en octobre 2019 dans notre réserve. Car finalement peu importe notre langue ou notre couleur de peau, nous vivons tous sur la même planète. Et elle est en train de mourir…”

D.R.

Vous considérez-vous comme un modèle pour la jeune génération amérindienne ?

M.T. H. : “Oui, mais lorsque vous vous battez, vous n’y pensez pas. Vous agissez, c’est tout. Je suis aujourd’hui membre du Conseil des Grands-mères, une organisation d’activistes travaillant sur les problèmes rencontrés localement dans la réserve de Cheyenne River. Je fais ce que les plus âgés faisaient lorsque j’étais une jeune militante : j’assure les arrières de la jeunesse. Préserver notre culture et transmettre notre histoire reste une lutte constante. À Standing Rock, les réseaux sociaux ont explosé, c’est ce que suivent les jeunes. En tant qu’ancienne, et comme beaucoup de femmes avec qui je travaille, j’apporte tout mon soutien à ce que les jeunes sont en train de faire. C’est à leur tour maintenant, il faut les laisser jouer leur rôle.”

Aller plus loin

Le documentaire Warrior Women (2019), d’Elizabeth A. Castle, retrace les combats de Madonna Thunder Hawk et de sa fille Marcella Gilbert. Le projet du même nom collecte en ligne les témoignages filmés de luttes passées et présentes menées par des femmes autochtones.

Site: www.warriorwomen.org