Pourquoi as-tu voulu devenir photographe et plus particulièrement photojournaliste ?
“À chaque fois que je voyais une injustice ou un fait important, je ressentais le besoin d’agir. J’avais aussi de l’admiration pour le travail de certains photographes, je suivais leur parcours. J’ai toujours été intéressée par les photographes de reportages et par le photojournalisme. Petit à petit, mon intérêt pour les situations problématiques dans la société m’a amenée à utiliser moi-même la photographie. Cela me permettait de connaître de plus près et de capturer certains aspects de cette réalité pour la partager avec le plus grand nombre. Et puis la photographie me fascinait, non seulement d’un point de vue journalistique, mais aussi d’un point de vue artistique ! C’est cette combinaison, le social et l’artistique, qui me plaisait.”
Je crois que le vrai visage de la société se trouve dans la vie quotidienne.
Pourquoi as-tu choisi de photographier la rue ?
“Je voulais m’approcher au plus près de ce qui ne peut pas être vu au premier coup d’œil. Car il faut faire un travail de terrain pour visibiliser des situations qui restent cachées aux yeux de tous. La “street photography” [photographie de rue, ndlr] m’a permis de montrer la beauté du réalisme, l’intensité des expériences des personnes souvent invisibilisées dans la société. Je crois que le vrai visage de la société se trouve dans la vie quotidienne, dans les situations vécues par les personnes ordinaires : des personnes qui travaillent, qui courent après un bus, qui se disputent avec un·e voisin·e…”
As-tu des modèles ? Est-ce que des femmes t’ont inspirée ?
“Bien sûr ! Par exemple, Gerda Taro, une photographe de guerre, qui a documenté la guerre civile en Espagne. J’admire beaucoup les travaux de femmes, mais aussi des hommes photographes qui travaillent dans des zones en guerre.”
En parlant de la guerre, comment as-tu organisé ton voyage en Ukraine, pour l’un de tes derniers projets ?
“Tout a été très soudain. J’ai dû prendre des décisions très rapidement. Dès le début de la guerre, j’en ai parlé avec mon partenaire, Costas. Il est journaliste. On a donc réfléchi ensemble sur la meilleure façon d’agir, sur notre possibilité d’action face à cette situation. On a calculé combien d’argent il nous fallait, car nous sommes freelance. Il a donc fallu nous auto-financer. Nous nous sommes rendus à la frontière ukrainienne, parce qu’on voulait faire un travail de terrain. L’étape d’après était de trouver un moyen pour montrer les photos que nous avions prises. Pas pour un gain financier, mais pour les partager et visibiliser ce qui se passait en Ukraine ! Finalement, nous avons réussi à vendre quelques photos à des médias et cela nous a permis de couvrir les dépenses du voyage.

C’était une expérience unique. Même si nous-mêmes n’avons jamais été en danger, nous avons vu beaucoup de monde arriver du front et des zones de guerre. L’une des scènes les plus émouvantes auxquelles j’ai assisté, c’était quand les hommes et les jeunes garçons ukrainiens, arrivés à la frontière, quittaient leurs mères et leurs compagnes. Les femmes et les enfants étaient en effet les seules personnes autorisées à traverser la frontière, tandis que les hommes devaient repartir au front. Il y avait aussi des femmes et des enfants qui arrivaient seules…”
Pourquoi était-ce important pour toi de témoigner de cette guerre ?
“Témoigner était très important pour moi, comme une extension de ce que je voyais et de ce que je ressentais à ce moment-là. C’est un virus que j’ai attrapé depuis l’enfance. Ainsi, mon travail de photographe m’a permis de développer cette passion et d’acquérir des compétences professionnelles pour collecter des faits, tout en y apportant ma vision de la réalité et des injustices vécues dans la vie quotidienne.”
Lors de tes reportages dans des manifestations, est-ce que tu t’es sentie particulièrement en danger, en tant que photographe mais aussi en tant que femme dans l’espace public ?
“Oui, je me sens en danger : en tant que femme, et en tant que photojournaliste. Le plus grand danger que j’éprouve, c’est pendant les manifestations. En Grèce – mais pas uniquement dans notre pays –, la violence durant les manifestations est énorme ! Durant les manifestations, les violences viennent toujours de la police.

Par exemple, je me suis retrouvée dans une manifestation qui était en train de dégénérer, après une catastrophe ferroviaire qui avait fait 57 mort·es à Larissa. J’étais dans la zone dédiée aux journalistes. C’est normalement une zone sécurisée, où personne ne peut nous atteindre. C’est une zone de travail et pas de manifestation ! L’air était déjà brouillé par les fumigènes quand une grenade assourdissante a éclaté près de mon oreille [c’est une grenade que les forces de l’ordre de différents pays utilisent, et qui émet un bruit assourdissant et un flash de lumière. Elle est censée être envoyée en l’air car, à proximité des personnes, elle peut causer des dégâts permanents, ndlr] À ce moment-là, je me suis sentie mal et ma tête a commencé à tourner.
Les violences policières envers les journalistes ont lieu régulièrement.
J’ai appris par la suite que d’autres journalistes reporters avaient été blessé·es par la police pendant les manifestions qui ont eu lieu ces jours-là. La police avait aussi fait usage de gaz lacrymogène peu de temps auparavant lors d’une manifestation à Thessalonique, la deuxième ville du pays. Nous avons décidé de porter plainte en tant que journalistes et nous avons aussi publié des vidéos sur le net pour dénoncer ces violences policières pendant les manifestations. Nous ne savons pas encore si cette plainte aura un réel impact sur nos conditions de travail journalistique. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit pas d’une négligence ou d’un manque de professionnalisme du côté des journalistes. Les violences policières envers les journalistes ont lieu régulièrement. Et, bien sûr, les manifestant·es sont les premier·ères touché·es ! La violence policière est récurrente, même si les manifestants et les manifestantes sont pacifiques !”

Quel est l’impact de l’actualité sociale et politique sur ton travail ?
“Une partie de mon travail est influencée par mon parcours de photographe et aussi par mes expériences personnelles. Mes opinions politiques impactent également mon travail, mais j’essaie de rester neutre et objective face à ce que je vois. En tant que journaliste, je dois m’intéresser à tout, pas seulement à ce qui m’intéresse personnellement. Par exemple, si une loi votée au Parlement concerne les travailleurs et travailleuses, cela me regarde aussi ! Cela fait partie d’un système complexe et ne concerne pas seulement mes propres intérêts.
La raison pour laquelle j’ai fait de la photographie mon métier, c’est avant tout pour un idéal politique. J’ai assisté aux injustices, aux violences et à la répression policière en tant que vecteur de la politique de l’État : ce travail s’est donc imposé à moi.”