Médiation en cas de violences conjugales : “J’ai l’impression qu’on me pousse à abandonner mes droits”

Par N°233 / p. 12-18 • Novembre 2020

Actuellement, la médiation et, plus largement, les « modes alternatifs de règlement des conflits » sont favorisés par la Justice. Mais dans les cas de séparation conjugale avec violences, la médiation peut aggraver les violences subies par la victime. Témoignage.

© Diane Delafontaine pour axelle magazine

Une nouvelle loi, votée en juin 2018, permet à la/au juge d’ordonner une médiation et ordonne aux avocat·es et aux huissier·ères de favoriser les “modes alternatifs de règlement des conflits”. Un système d’assurance “protection juridique”, désormais déductible fiscalement, transforme des compagnies d’assurances en défenseuses (intéressées…) de la médiation. Des “Family Justice Centers” veulent faire de nos maisons des “havres de paix”… Plus rapide, moins chère que le système traditionnel, bref : la médiation semble avoir tout bon. Mais peut-elle réellement remplacer la Justice ? Dans les cas de séparation conjugale avec violences, la réponse est non. En effet, en établissant une “égalité” entre les parties dans une situation profondément inégale, la médiation perpétue et renforce les violences.

Un diagnostic de terrain

En 2016, la Belgique ratifiait la Convention d’Istanbul, un texte du Conseil de l’Europe qui vise à prévenir et lutter contre toutes les formes de violences à l’égard des femmes. En 2017, Vie Féminine se lançait dans un diagnostic de terrain. Est-ce que les articles de la Convention, contraignants pour la Belgique, sont bel et bien appliqués et produisent leurs effets dans la vie des femmes concernées ? Un article, en particulier, a attiré l’attention du mouvement : l’article 48 concernant les modes alternatifs de règlement des conflits (dits MARC). La Convention indique que la médiation civile notamment (qui fait partie, parmi d’autres moyens, des alternatives à un règlement d’un conflit en justice) ne peut être rendue obligatoire dans les situations de violences.

De nombreuses antennes régionales de Vie Féminine tirent alors la sonnette d’alarme : certes, la médiation n’est pas obligatoire en Belgique, mais elle est fortement conseillée aux femmes, souvent sans information sur leurs droits. Beaucoup de femmes victimes de violences s’y retrouvent donc engluées, avec des conséquences terribles. Un constat qui apparaît aussi dans le rapport alternatif porté par une coalition d’associations de terrain sur l’application de la Convention d’Istanbul ainsi que dans le rapport “Belgique” du groupe d’expert·e·s du Conseil de l’Europe chargé d’évaluer la mise en œuvre de la Convention dans les pays signataires…

À côté du dossier complet à lire dans notre numéro de novembre, nous vous proposons en accès libre de découvrir l’histoire de A., de la région de Namur, séparée de son mari qui lui faisait subir des violences psychologiques et économiques, A. a connu plusieurs formes de médiation. Elle témoigne des ravages de ce processus.

“J’ai divorcé en 2018. Mon divorce a été très rapide à cause du comportement de mon ex-mari, qui exerçait des violences psychologiques et économiques. Il a été condamné à quitter la maison sur-le-champ. Vu cette rapidité, rien n’a été prévu pour la garde de nos trois enfants et pour la pension alimentaire. Et ça a été très compliqué pour la suite… J’ai été confrontée à plusieurs formes de médiation. Pourtant, dès notre première rencontre, mon avocate, qui est pro-médiation, m’a dit qu’étant donné mon histoire, une médiation n’était pas envisageable.

D’abord, dans le premier jugement du tribunal de la famille, la juge nous a imposé de participer aux ateliers d’une association qui fait en sorte que les ex-conjoints retrouvent un “dialogue serein”. Je m’y suis inscrite ; lui, non.

Ensuite, une experte assistante sociale a été mandatée pour établir les modalités de garde. Ça ne portait pas le nom de médiation, mais ça y ressemblait. Les tensions avec mon ex-mari étaient toujours vives. Je voulais toutefois élargir sa garde en y incluant des nuitées. Mais l’experte a tout de suite décidé qu’elle irait vers une garde partagée, malgré mes inquiétudes. Le père des enfants n’avait pas pris des nouvelles d’eux depuis des mois, et il ne s’était jamais occupé seul de jeunes enfants. L’experte m’a dit au téléphone (elle n’a pas voulu l’écrire) : “J’ai bien l’impression que monsieur n’est pas capable de ça et donc on va lui imposer tout de suite, comme ça, on verra bien s’il tient.” Mais mes enfants ne sont pas des cobayes !

J’allais en grand stress à ces réunions avec l’experte, le stress de me retrouver autour d’une table avec mon ex-mari. Il n’a jamais été violent physiquement, mais il exerçait sur moi un pouvoir, une manipulation. Sur le côté, ma psychologue me conseillait de rentrer le moins possible en discussion avec lui : c’est très dangereux pour moi d’être en sa présence.

Au cours de cette période, quand mon ex-mari avait les enfants (car le jugement provisoire le lui permet), il les laissait seuls pendant des heures chez lui ou dans un lieu public. Il les a aussi déposés chez moi alors que je n’y étais pas ! Avec l’aide de mon avocate, on a mis fin à ces réunions. Je ne savais pas que je pouvais dire stop, ça n’avait pas été très clair au départ…

L’experte a remis à la juge son rapport, très négatif à mon encontre. Comme si j’avais bloqué toutes les possibilités sans aucune raison. Elle n’a pas fait mention de tous les manquements de mon ex-mari. Et là, la juge a décidé d’envoyer notre affaire devant la chambre de règlement amiable (CRA) du tribunal. Mon avocate m’a présenté ça comme quelque chose de bien, qu’on pourrait tenter. Elle m’a dit qu’on n’était pas dans le même cadre qu’avec l’experte, que c’était devant un juge et que ce juge était vraiment très bien. Et puis il aurait fallu un argument pour dire non, surtout quand la partie adverse vient de faire toute sa plaidoirie sur le fait que c’est moi qui ai fait capoter le processus avec l’experte.

« Madame, il faut faire encore un effort »

Lors de la première séance en CRA, le juge, qui avait une voix très douce et bienveillante, a longuement parlé de l’intérêt des enfants, qu’il fallait essayer de “prendre sur soi”. J’ai eu l’impression de me faire sermonner par un papa. J’ai eu aussi l’impression qu’il n’avait pas lu le dossier, parce que ça m’était adressé uniquement à moi. Si bien que mon avocate l’a arrêté et lui a demandé : “Vous vous adressez à ma cliente ? Je suppose que ça vaut pour les deux ?” “Oui, oui, bien sûr”, a-t-il répondu…

Je me suis prise à regretter d’avoir divorcé, parce que c’est trop difficile.

Au cours des séances, mon avocate et moi avons tenté d’avancer sur un protocole d’accord. Petit à petit, j’ai abandonné l’idée de recevoir une pension alimentaire. J’ai pris en charge les frais extraordinaires [voir axelle n° 232, ndlr] et, en attendant la liquidation du mariage devant notaire, j’ai continué de payer les dettes de mon ex-mari. Plus tard, j’ai aussi lâché sur la somme qu’il me doit en raison de la liquidation du mariage. Durant tout ce processus devant la CRA, mon ex-mari et son avocat ne travaillent pas véritablement à un accord. Mon ex-mari, après avoir été réticent à amener les preuves de ses revenus, organise son insolvabilité. Son avocat ne réunit pas les documents nécessaires, ou très en retard, ne concerte pas son client sur nos propositions, ou pas à temps. Nous arrivons à l’audience et ils n’ont pas signé le protocole d’accord. Mon avocate a alors demandé à arrêter le processus en CRA, mais le juge a insisté pour continuer : “Ce serait quand même dommage, avec le travail que vous avez fait, de vous arrêter là…”, et “Madame, il faut faire encore un effort…” Avant la dernière audience, mon avocate a indiqué que nous ne nous présenterions pas et que nous demandions d’être renvoyées vers le juge de la famille.

“La médiation, c’est l’usure”

Aujourd’hui, ça fait deux ans et demi que mon divorce est prononcé. Je ne peux organiser ni ma vie ni celle de mes enfants. La médiation, c’est l’usure. J’ai eu pour stratégie de céder. J’ai l’impression qu’on me pousse à abandonner mes droits.

Ça a des conséquences sur ma santé, ça m’a épuisée et stressée. C’est un coût aussi. J’en suis facilement à plusieurs milliers d’euros. Je me suis prise à regretter d’avoir divorcé, parce que c’est trop difficile. L’attitude actuelle de mon ex-mari montre encore qu’il tente d’avoir la mainmise sur moi, comme quand j’étais avec lui. J’ai souvent eu peur aussi. Notamment de déposer plainte à la police, comme me le conseille mon avocate, pour non-respect du jugement de garde provisoire quand il ne prend pas les enfants ou les met en danger. J’ai peur qu’il en vienne à des violences physiques, qu’il pète un plomb. Je me suis déjà calfeutrée chez moi, enfermée dans mon appartement avec mes enfants juste après une plainte.”