À la mode féministe

Par N°197 / p. 14-15 • Mars 2017

Qui a dit que la mode était un truc futile ? Ici et ailleurs, des femmes s’approprient les vêtements, en font un support d’expression de leur identité et un étendard de leurs luttes politiques. À l’approche du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, axelle est allée fureter dans la garde-robe féministe mondiale, dénichant quelques tenues et accessoires de prêt-à-manifester incontournables… Extraits de notre dossier du mois.

Slutwalk à Johannesburg (Afrique du Sud). CC Darren Smith

Loin des podiums et des magazines de mode, c’est dans la rue que nous vous donnons rendez-vous ce mois-ci. Le 8 mars, des millions de femmes battront le pavé à travers le monde pour défendre leurs droits. Leurs luttes ne s’afficheront pas seulement sur leurs lèvres et leurs pancartes. Mais aussi à travers…

La mini-jupe des SlutWalks

Quelle que soit sa longueur, la mini-jupe suscite presque toujours un commentaire désobligeant pour celle qui la porte : sous le genou, ça fait prude, au-dessus, aguicheuse, encore un peu au-dessus, carrément vulgaire. Et si on dévoile quelques centimètres supplémentaires de chair, l’accusation tombe : cette mini-jupe est un « pousse-au-viol » ! Voilà pour l’argumentaire machiste typique qui culpabilise les femmes victimes d’agression sexuelle, sur le mode « elles l’ont bien cherché… »

La violence et la banalisation de ce discours ont poussé des centaines de milliers de femmes à défiler dans les rues de nombreuses villes autour du globe ces dernières années, faisant de la mini-jupe leur emblème. Baptisé « SlutWalk », littéralement « la marche des salopes », ce mouvement né au Canada dans les années 2010 rassemble des activistes qui clament leur droit de s’habiller comme bon leur semble et de circuler en toute sécurité dans l’espace public.

La chemise d’homme de Patti Smith

L’album “Horses”, de Patti Smith.

Sur la pochette de son premier album, Horses, son attitude est solennelle, le regard planté dans l’objectif, tandis qu’elle explose tranquillement les frontières du féminin et du masculin. Dans l’Amérique encore très puritaine des années 1970 et un monde du rock déjà dominé par les hommes, la poétesse Patti Smith a affirmé son indépendance aussi bien sur un plan musical que vestimentaire, en s’affichant fièrement avec des vêtements masculins, à l’instar de sa légendaire chemise blanche.

Le boubou des militantes africaines et afro-féministes

Le pagne du 8 mars 2016 au Cameroun (via Création Julie Couture)

Au Cameroun, notamment, beaucoup de femmes ont pris pour habitude d’arborer un boubou spécial à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Chaque année, un concours est organisé à l’échelle du pays pour déterminer quel sera le motif du tissu du « pagne du 8 mars ». Des afro-féministes occidentales le ressortent aujourd’hui et en profitent pour envoyer valser les diktats et normes de beauté de nos sociétés qui s’obstinent à ne considérer que les femmes à la peau blanche.

Les couronnes de fleurs des Femen

Les Femen ont beau s’être fait connaître ces dernières années davantage pour leur nudité que pour leur goût des étoffes, leurs seins nus barrés de slogans féministes ne sont pas leur seule marque de fabrique : lors de leurs actions de protestation très médiatisées, les activistes sont immuablement coiffées de couronnes de fleurs. En Ukraine, où est né ce groupe féministe, ces coiffes sont portées uniquement par les jeunes filles avant le mariage. En se réappropriant ce symbole de virginité, les Femen entendent donc elles aussi s’affranchir de ces codes sexistes.

Le sari rose des gangsters indiennes

Dures à cuire, les membres du gang des saris roses sont non seulement drapées dans des costumes traditionnels rose fuchsia, mais armées de bâtons de bergère avec lesquels elles entendent faire respecter leurs droits. Ces activistes « sévissent » depuis une décennie dans l’Uttar Pradesh, une région rurale du nord-est de l’Inde. Elles organisent de nombreuses actions citoyennes pour protester contre les violences et les injustices envers les femmes, et ont fait de la lutte contre la corruption l’essence de leur combat.

Les membres du gang des saris roses sont non seulement drapées dans des costumes traditionnels rose fuchsia, mais armées de bâtons de bergère avec lesquels elles entendent faire respecter leurs droits.

La fondatrice du gang, Sampat Pal Devi, a elle-même été victime d’un mariage forcé à l’âge de neuf ans. Alors qu’elle vendait du thé au bord des routes, elles écoutait ses clientes lui raconter les maltraitances conjugales dont elles étaient victimes : c’est ainsi que lui est venue l’idée de fonder ce mouvement. Et pourquoi rose, le sari ? Parce que les partis politiques s’étaient déjà emparés de toutes les autres couleurs…

Interview de Sampat Pal Devi et reportage sur le “Gulabi Gang” dans l’émission télévisée française “Télématin”

Le turban de Simone de Beauvoir

Simone de Beauvoir. CC Moshe Milner – Government Press Office (GPO)

Ce carré de tissu est indissociable de la féministe française. Une coquetterie ? Pas seulement. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Simone de Beauvoir n’était qu’une femme parmi tant d’autres qui avaient recours à ce subterfuge pour masquer leurs cheveux lorsque, en pleine pénurie de produits d’hygiène, elles ne pouvaient pas les laver aussi fréquemment qu’elles l’auraient voulu.

 

Cet accessoire que Beauvoir porta tout au long de sa vie est devenu un symbole du mouvement féministe, moins à cause de l’auteure du Deuxième Sexe qu’à cause de cette affiche légendaire représentant une travailleuse coiffée d’un foulard rouge, le point levé, avec le slogan « We can do it ! », éditée par la propagande américaine en temps de guerre mais que le mouvement féministe s’est par la suite réappropriée. En Belgique, la Rwandaise Dk Ange, fondatrice de l’initiative « Osez le foulard », voit dans le port de ce turban, très répandu en Afrique, une marque de fierté pour les femmes afro-descendantes, qui renouent ainsi avec une part de leur identité.

Les jupes bouffantes des Cholitas

Cette savante superposition de jupons colorés était autrefois un symbole d’oppression coloniale. Les Boliviennes se sont pourtant réapproprié la mode « cholita », ce code vestimentaire que les colonisateurs/trices espagnol·es imposaient à leurs servantes indigènes afin de dissimuler leurs formes. Malgré l’inconfort – le poids des jupes pouvant atteindre dix kilos –, de nombreuses Boliviennes arborent aujourd’hui ce costume traditionnel, agrémenté d’un châle en laine et d’un petit chapeau melon : cet habit est devenu un vecteur d’affirmation de leur identité culturelle et de leur statut social. Car si les « cholitas », ou « mujeres de polleras » (« femmes en jupe »), comme on les surnomme également, étaient à l’origine des femmes pauvres vivant à la campagne, elles sont désormais majoritairement urbaines et certaines ont un fort pouvoir d’achat. Se parer de coûteux accessoires pour parfaire sa tenue de « cholita » est donc aujourd’hui une manière pour elles de signaler leur réussite sociale et financière.

Les robes du soir de Lena Dunham

Qu’elles soient en tulle rose ou en satin jaune canari, les tenues de soirée de la réalisatrice féministe américaine Lena Dunham ne passent pas inaperçues. La créatrice de la pétillante série télévisée Girls n’a pas honte de ses rondeurs et de sa cellulite ; faisant fi des canons esthétiques des stars d’Hollywood, elle ne se refuse aucune fantaisie vestimentaire. Elle est l’une des figures de proue du mouvement « fat positive » (voir axelle n° 170), qui dénonce la stigmatisation des corps « hors normes » et les diktats de la beauté.

Le T-shirt à slogan des Riot Grrrl

DR TrueandCo.

Avec leurs guitares crasseuses, leurs paroles révoltées, leurs blousons en cuir et leurs jupes léopard, les Riot Grrrl ont incarné un nouveau souffle du féminisme dans les années 1990. De leurs looks déjantés, on retient surtout leurs T-shirts où clament les slogans « Girl Power », « Riots not Diets » ou « The future is female ». Un classique de la garde-robe féministe redevenu très en vogue, à voir l’incroyable variété de T-shirts aujourd’hui en vente sur la toile.

Jupes, costards, boubous, foulards… Tous ces habits de lutte reflètent aussi bien la diversité culturelle de celles qui les arborent qu’une infinie palette d’expressions individuelles : à chacune sa tenue, à chacune son message. Mais n’en déplaise à Karl Lagerfeld – qui en 2014 avait fait défiler ses mannequins taille 34 avec des pancartes floquées de slogans féministes dans un décor évoquant une avenue parisienne –, une manifestation ne ressemblera jamais à un défilé de mode : c’est ensemble que nous marchons, pas les unes après les autres.