La réalisatrice Myrna Nabhan donne la parole aux habitant·es de Damas

On dit de Damas qu’elle est une princesse de jasmin, un grain de beauté sur la joue du monde. La réalisatrice belgo-syrienne Myrna Nabhan a, elle aussi, un grain de beauté sur chaque joue. Dans son documentaire Damas. Là où l’espoir est le dernier à mourir, elle tend l’oreille vers les habitants et surtout les habitantes de la capitale syrienne, héroïnes et héros invisibles de la guerre. axelle a rencontré la cinéaste peu avant la sortie du film, le 26 septembre.

La réalisatrice et ses témoins lors du tournage de son documentaire. D.R.

Le documentaire de Myrna Nabhan, Damas. Là où l’espoir est le dernier à mourir (ou Damascus), raconte les histoires individuelles de celles et ceux qui participent à la grande. Sans chercher à faire un film politique, la réalisatrice belgo-syrienne montre, à travers des récits de vie, le quotidien des habitant·es de Damas, condamné·es à espérer, mais pas sans ressources. Les femmes sont au cœur de ce film qui donne à voir une réalité habituellement passée sous silence dans le bruit et la fureur du conflit qui ravage la Syrie.

“Damas, là où l’espoir est le dernier à mourir” est votre premier documentaire. Pourquoi l’idée vous est venue de réaliser ce film ?

« Je suis née à Bruxelles, mais j’ai grandi à Damas. J’ai toujours vécu entre les deux villes. Quand la guerre a commencé en Syrie, j’ai eu envie d’aller sur place pour voir ce qui se passait. Grâce à mon passeport syrien, j’étais libre de m’y rendre facilement. Au fur et mesure de mes voyages, j’ai vu comment les gens se transformaient et essayaient de composer avec cette situation. J’ai été frappée par la volonté des Syrien·nes d’avancer, de ne pas se faire écraser par la fatalité.

J’ai d’abord mis à l’écrit ces témoignages, mais j’ai réalisé que les mots n’étaient pas suffisants. J’ai commencé à ramener des images de mes différents voyages entre 2011 et 2015, pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. La Syrie, ce n’est pas seulement la guerre et ses chiffres : il y a des personnes à l’intérieur du pays qui essayent de continuer à vivre. »

Dans votre documentaire, on retrouve à plusieurs reprises un groupe de femmes au salon de coiffure. Lors d’une séquence, une roquette touche le centre-ville. Elles rient entre elles en disant : “Il pleut des roquettes dans ce quartier, mais on va quand même chez le coiffeur !”

« C’est assez fou ! Le premier réflexe qu’elles ont, c’est d’aller vérifier sur Facebook où sont tombées les roquettes ; elles débattent entre elles pour savoir l’endroit visé par un tir en fonction de la détonation. Elles sont devenues expertes militaires. Elles gardent un côté très fier et fort, mais on devine aussi qu’elles sont inquiètes. Elles se demandent comment elles vont mourir et, en même temps, elles arrivent à rire de la situation. C’est surréaliste. »

En plus du danger de mort quotidien, les Damascènes doivent s’adapter à des conditions de vie très dures…

« La vie est devenue très difficile. Dans le film, des jeunes parlent du coût de la vie, qui a énormément augmenté à cause de la guerre. Les gens n’ont plus les moyens de se nourrir. Ça peut être une raison pour un départ, ça peut pousser à prendre différentes décisions. Les sanctions internationales sont imposées au pays et c’est la population civile qui paye le prix.
Cela crée de nombreux problèmes dans la société, comme par exemple la création de camps de déplacé·es à l’intérieur des frontières. Des écoles et des gymnases ont été transformés en refuges. Les personnes déplacées trouvent parfois un logement dans des familles ou dans des jardins publics, mais il y a beaucoup d’insécurité et d’agressions. Les personnes déplacées subissent également des jugements négatifs… Il y a de profondes fractures au sein de la société, infligées par la guerre. Chaque coin du pays a vécu le conflit de manière différente. »

On voit dans le film une femme seule avec ses deux enfants, réfugiée dans un camp de déplacé·es à Damas. Elle pleure et demande : “Si seulement on pouvait penser à nous, les mères…” Quelle est la situation des femmes seules aujourd’hui ?

« La vie est très difficile pour les femmes, qui se retrouvent souvent seules : soit parce que leur mari est mort, en exil ou parti au combat. Il n’y a souvent aucune preuve que le mari est décédé. Juridiquement et administrativement, elles font face à des obstacles pour pouvoir gérer le domicile, les biens communs, ou si elles souhaitent se remarier. Ces femmes sont pieds et poings liés. Elles sont aussi désormais obligées de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Certaines n’ont pas de qualifications, n’ont jamais travaillé. D’autres ne veulent pas être tributaires de l’aide humanitaire. Dans le film, on voit une jeune fille qui vit dans un camp et qui s’est formée en esthétique…

Les femmes disent dans le film qu’elles doivent “prendre de nouvelles responsabilités, maintenant qu’il n’y a plus de mari”. Elles sont forcées d’adopter ces nouveaux rôles : c’est l’une des conséquences de la guerre. »

Cette jeune fille qui vit dans un camp de déplacé·es et qui a choisi sa formation professionnelle raconte que, paradoxalement, elle est plus heureuse qu’avant : elle a désormais appris qu’une femme qui travaille ne dépend plus de personne… Ces nouvelles responsabilités ont-elles permis des changements sociétaux importants ?

« Une psychologue qui travaille avec des femmes explique dans le film qu’en Syrie, c’est la femme qui a le plus souffert dans cette guerre : les premières cibles de cette guerre, ce sont elles.  Mais elle explique aussi que ce sont les femmes qui ont le plus résisté et, surtout, que ce sont elles qui ont préservé la vie…

Les femmes essayent de trouver de nouvelles manières de vivre et de faire vivre leur famille.

Elles se retrouvent cheffes de famille, elles ont des responsabilités. Bien sûr certaines femmes les exerçaient déjà, mais la guerre a favorisé ce changement dans des milieux plus conservateurs. C’est devenu une nécessité. De plus en plus de jeunes filles font des études, travaillent. Le mariage n’est plus une priorité. Avec la guerre, les divorces ont aussi explosé.
Bien sûr, la société reste patriarcale, et les violences envers les femmes sont quotidiennes. Mais on a vraiment une société en pleine mutation, les mœurs changent. La guerre est un facteur de plus dans ces changements et, évidemment, la question des droits des femmes a été mise au devant de la scène. La plupart de mes longs entretiens étaient d’ailleurs avec des femmes : elles ont beaucoup de choses à dire et on ne les entend pas assez. »

En savoir plus
  • Sorti le 26 septembre, Damas. Là où l’espoir est le dernier à mourir, réalisé par Myrna Nebhan, est produit par les Films de la Récré. Infos sur les séances ici.
  • Interview avec Myrna Nabhan, entre Alep et Bruxelles :