“Nelly & Nadine” : voyage sans concession dans la mémoire

Dans ce documentaire, le réalisateur suédois Magnus Gertten raconte l’émouvante histoire de deux femmes, Nelly Mousset-Vos et Nadine Huong, tombées amoureuses dans les terribles circonstances du camp de concentration de Ravensbrück.

Nadine Huong et Nelly Mousset-Vos.

“22 avril 1943. Paris. Je suis arrêtée devant la statue de Molière. Je suis ravie au monde.”

Ces mots sont ceux de Nelly Mousset-Vos, une chanteuse d’opéra belge, résistante. Dans le documentaire Nelly & Nadine, qui sort ce mercredi 5 octobre, le réalisateur Magnus Gertten suit la petite-fille de Nelly, Sylvie Bianchi, alors qu’elle ouvre pour la première fois les boîtes de souvenirs que sa grand-mère lui a laissées, dont son journal qui retrace les années où elle a survécu dans un camp de concentration.

C’est là, à Ravensbrück, le jour de Noël 1944, que Nelly Mousset-Vos rencontre Nadine Huong, fille d’un père diplomate chinois et d’une mère belge, déportée en mai de la même année. De cette rencontre naît un grand amour l’une pour l’autre qui durera jusqu’à leur mort, à des époques où les amours lesbiens ne pouvaient se vivre que cachés.

Un voyage difficile

Commence pour Sylvie Bianchi un incroyable voyage à l’aide des archives personnelles des deux femmes et des souvenirs de personnes encore vivantes qui les ont connues. Un voyage qui lui permet de mieux comprendre la vie menée par sa grand-mère avec Nadine, mais qui n’est pas facile, car il brise de nombreux tabous.

D’abord, celui de la survie dans les camps de concentration nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale, un tabou dont il est également question dans le film Simone, le voyage du siècle, du réalisateur Olivier Dahan qui sortira ce 12 octobre et qui s’attache à dépeindre la vie de Simone Veil. Connue pour avoir fait passer en France, en 1975, en tant que ministre de la Santé, la loi qui légalise l’avortement, cette femme politique est une rescapée des camps, dans lesquels elle perd toute sa famille, à l’exception de sa sœur. Le film fait ressentir, de façon étouffante, à quel point la société française n’était pas prête à entendre son histoire, ainsi que celles d’autres survivant·es à la fin de la guerre. Nelly, quant à elle, n’a jamais abordé ce sujet avec sa petite-fille.

Autre tabou que brise la démarche de Sylvie : celui du lesbianisme. Pendant longtemps, elle a cru que sa grand-mère habitait avec une “amie”. C’est d’ailleurs l’une des scènes fortes du film, lorsque Joan Schenkar, écrivaine spécialiste des femmes artistes des années 1930, décédée en 2021, confronte Sylvie en lui lançant : “Les choses ne sont pas réelles, socialement, tant qu’elles ne sont pas dites.”

Car l’histoire intime et personnelle de Nelly et Nadine rejoint celle, collective et politique, d’un grand nombre de femmes, oubliées. Natalie Clifford Barney, par exemple, que Nadine a fréquentée tout un temps et qui a tenu, à partir de 1927, un salon littéraire appelé “L’Académie des Femmes”, réponse cinglante à la posture de l’Académie française qui n’a accepté des femmes en son sein qu’à partir de 1980. Aucune plaque ne commémore cette histoire sur le bâtiment qui a abrité ce salon.

Mettre un nom sur des visages anonymes

Dans un précédent film, Every Face Has a Name (2015), le réalisateur Magnus Gertten avait utilisé les images d’archives de l’arrivée de survivant·es des camps de concentration à Malmö en Suède, le 28 avril 1945. Il s’arrête sur quelques visages anonymes dans cette foule de personnes, joyeuses ou hagardes, qui viennent d’être libérées pour partir à leur rencontre, pour leur redonner une identité et une histoire. C’est aussi le point de départ du documentaire Nelly & Nadine car, au milieu de cette foule, se trouvent des féministes, des femmes socialistes, des résistantes que le réalisateur prend le temps de présenter. Et parmi elles : Nadine, seule, le visage fermé, dont il ne sait que peu de choses. Jusqu’à sa rencontre avec Sylvie Bianchi.

Terriblement émouvant, le documentaire est notamment constitué d’images filmées par Nadine elle-même et retrouvées dans les boîtes, au milieu des souvenirs laissés par Nelly. C’est par les yeux de Nadine que nous appréhendons leur relation. C’est par sa manière de filmer Nelly, remplie de tendresse, que nous comprenons son amour pour elle. Nelly & Nadine est un magnifique documentaire sur l’amour et la mémoire, qui redonne la juste place aux femmes dans l’histoire, encore trop souvent racontée par le prisme masculin.

Nelly & Nadine, Magnus Gertten, 1h32, Belgique, Norvège, Suède, sortie : 5 octobre 2022.