Paroles d’hommes qui soutiennent le féminisme

Peut-on être un homme féministe ? Ceux que nous avons rencontrés pour cet article estiment que la question n’a pas lieu d’être, tant leur engagement anti-patriarcal, qui prend différentes formes, est une évidence. Pour autant, ces prises de position salutaires reposent sur un fragile équilibre.

© Candela Sierra pour axelle magazine

« Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juge et partie. » Si cette phrase a été popularisée par l’autrice féministe Simone de Beauvoir, qui la cite au début de son ouvrage Le Deuxième Sexe, on la doit à un homme du 17e siècle : le philosophe français François Poullain de La Barre, considéré comme l’un des premiers défenseurs du féminisme. 

« De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés », François Poullain de La Barre (1673)

En 1673, il publie de manière anonyme De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés, dans lequel il dénonce les inégalités entre les femmes et les hommes qui n’ont rien de naturelles. Il y critique aussi les multiples privilèges de la masculinité : « Toutes les lois semblent n’avoir été faites que pour maintenir les hommes dans la possession où ils sont. »

« Des hommes proféministes à toutes les époques »

Cette prise de position, radicale pour l’époque, s’écartait donc déjà du discours dominant, mais n’étonne pas le politologue canadien Francis Dupuis-Déri, qui étudie l’antiféminisme avec la sociologue Mélissa Blais (voir axelle n° 225-226) et qui a publié Les hommes et le féminisme. Faux amis, poseurs ou alliés ?

« Il y a eu des hommes proféministes à toutes les époques, sur tous les continents, et pas seulement au sein des classes éduquées de la société. En ce moment en Afghanistan, des hommes sont en prison parce qu’ils luttent pour l’éducation des femmes et des filles », explique-t-il à axelle. « À partir du 15e siècle, des hommes vont même essayer de prouver la supériorité des femmes. Le professeur Marc Angenot les appelle « Les Champions des femmes » dans un de ses livres. Ce qui change avec François Poullain de La Barre, c’est qu’il utilise des arguments sociologiques, et non pas religieux ou moraux comme c’était souvent le cas à cette période, en lien avec la Vierge Marie par exemple. »

Selon Francis Dupuis-Déri, des hommes alliés ont accompagné et soutenu le mouvement féministe. « Dès le 19e siècle, certains hommes, principalement des bourgeois libéraux, financent les associations de femmes, les journaux qui s’intéressent à ces questions, les meetings politiques, etc. Ce sont souvent des pères ou des frères de féministes. Ils ont plus d’argent que les femmes… Dans le même temps, les féministes sont bien conscientes des risques, et qu’il ne faut pas que les hommes atteignent des places de décision, car ils peuvent alors plaider pour des prises de position plus modérées, ou se mettre à distribuer les bons points, à décider quels sont les bons combats et les bonnes féministes, voire expliquer que les féministes qui critiquent les hommes font fausse route. »

Face aux hommes proféministes, les féministes ont d’ailleurs adopté différentes attitudes. « Certaines estiment par exemple que les hommes sont plus facilement écoutés par d’autres hommes, qu’il existe des endroits où les hommes se retrouvent en non-mixité et qu’il est important que des hommes proféministes y soient également, souligne Francis Dupuis-Déri. D’autres pensent que les hommes parlent à la place des principales concernées et que chaque tribune accordée à un homme à ce sujet est une tribune retirée à une femme. »

Et aujourd’hui ?

Des siècles après les textes de François Poullain de La Barre, certains hommes prennent toujours des positions anti-patriarcales. C’est le cas de l’auteur français Thomas Piet, qui utilise les réseaux sociaux pour dénoncer les discours sexistes encore bien ancrés. « Je suis en questionnement permanent par rapport à ma place, parce que j’utilise mon privilège masculin : je suis plus écouté et moins attaqué que les femmes féministes qui, en plus, disent les choses mieux que moi, explique-t-il. C’est une injustice. J’en parle beaucoup avec mes amies féministes pour essayer d’être le plus juste possible. Par exemple, je ne gagne pas d’argent avec ces contenus. Si je devais un jour faire des conférences ou des formations, je demanderais d’abord si des femmes ont eu l’occasion d’être invitées avant moi. »

Comment est-il possible de ne pas remettre en question notre manière d’être des hommes ?

Ses prises de position résultent d’un long chemin : « Je n’ai pas vécu un seul déclic. J’ai beaucoup écouté mon amoureuse, ce qu’elle a vécu comme violences, ce qu’elle ressent en présence d’hommes. Cela m’a révolté. Je me suis plongé dans des podcasts féministes, j’ai lu beaucoup de livres. Je ne comprends pas comment on peut rester de marbre face à toutes ces informations disponibles. Comment est-il possible de ne pas remettre en question notre manière d’être des hommes ? », s’interroge-t-il.

Un cheminement et un questionnement que partage Pierre-Guillaume Prigent, docteur en sociologie. Pour sa thèse, il a travaillé sur les stratégies des pères violents lors des séparations. Il a également mené une étude, avec la chercheuse Gwénola Sueur, sur l’utilisation de l’aliénation parentale contre les femmes. « J’ai été marqué par l’association Mères en Lutte cofondée à Lyon par le sociologue Léo Thiers-Vidal, qui lui-même s’est beaucoup intéressé à la domination masculine et à la conscience que les hommes en ont. Cette association venait en aide aux mères qui accusaient les pères de leurs enfants d’inceste et qui subissaient un violent retour de bâton. Traiter ces questions est devenu une nécessité pour moi. »

Les recherches de Pierre-Guillaume Prigent l’amènent à rencontrer des victimes de violences. « Je suis chercheur universitaire, donc ma place est bien définie. La première chose que j’ai apprise à faire, c’est me distancier du réflexe qui consiste à mettre en doute la parole des femmes. Il faut sortir des stratégies d’occultation et de minimisation des violences masculines, telles que définies par la professeure de psychologie sociale Patrizia Romito. Rappeler que des femmes ont travaillé avant nous sur ces sujets, c’est aussi important pour moi« , précise-t-il.

Plus les années passent, plus mes privilèges et mon pouvoir symbolique en tant qu’homme augmentent

 

Il se dit cependant inquiet face « à l’instrumentalisation d’un discours féministe de façade par des agresseurs. Et je m’interroge car plus les années passent, plus mes privilèges et mon pouvoir symbolique en tant qu’homme augmentent dans la société. Je constate à quel point il serait facile d’en abuser. Il faut garder cette attention constante et cette éthique lorsqu’on est un homme proféministe. »

« Faire société ensemble »

Est-ce que la place des hommes se trouve au sein du milieu féministe ? « Oui, répond sans détour Francis Dupuis-Déri. Au moins pour s’informer. Si seul·es les Babylonien·nes se rendaient aux expositions sur l’Empire babylonien, il n’y aurait pas grand monde ! Sans le féminisme, les hommes ne se comprendraient qu’à moitié. »

Nous étions misandres, fatiguées de nous battre et plutôt désespérées

Rachel Hoekendijk n’en pense pas moins. Avec Odile Devaux et Leila Fery (interviewée dans notre podcast L’Heure des éclaireuses, à écouter sur notre site et sur les plateformes), elle a cofondé La Bonne Poire, une initiative anti-patriarcale créée en 2021 à Bruxelles qui s’adresse aux hommes. « En tant que féministes, nous avions l’impression d’être lancées dans un train à grande vitesse et que les hommes, eux, restaient sur le quai. Nous étions misandres, fatiguées de nous battre et plutôt désespérées. Cela nous a posé question : quelle société étions-nous en train de construire ? Allions-nous encore réussir à faire société ensemble ? », explique-t-elle.

Différents types d’activités sont organisées, dont des moments de rencontres et de discussions mensuels. « Nous faisons le pari que le féminisme peut transformer les dominants, comme il nous a transformées. Nos activités se font en mixité, parce que nous croyons que quand il s’agit d’approcher ce que les systèmes de domination font aux hommes, il est précieux de pouvoir prendre en compte une multiplicité de perspectives. On souhaite convier les hommes à avoir ces conversations inconfortables, qu’ils apprennent aussi à s’interpeller les uns les autres », poursuit-elle.

La masculinité, un concept problématique en soi ?

Jusqu’à arriver à une masculinité positive ? « La masculinité, comme la féminité, est une construction sociale qui exprime une hiérarchie entre les femmes et les hommes, et entre les hommes entre eux. Je n’ai pas beaucoup de choses positives à dire sur la masculinité. Je ne pense pas qu’il existe de masculinité saine, toute revendication d’une masculinité est problématique, selon moi », précise Pierre-Guillaume Prigent.

Toute revendication d’une masculinité est problématique selon moi

« Depuis des milliers d’années, on dénonce la crise de la masculinité, qui va entraîner la fin du monde. On a peur que la définition de la masculinité se transforme, cela montre qu’elle est liée à un pouvoir qu’on veut conserve », observe Thomas Piet. « L’expression « masculinité toxique » voudrait dire qu’il existe d’autres types de masculinités, précise Francis Dupuis-Déri. Je ne le pense pas et je crois qu’il ne faut plus utiliser ce concept, car en cherchant ce qui constitue la masculinité, on continue à séparer les hommes des femmes. Comme François Poullain de La Barre, je pense que nous avons les mêmes capacités. »

En Belgique, il n’existe pas de chiffres sur la proportion d’hommes prêts à partager ces réflexions. Une enquête de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes a néanmoins montré que 62 % des hommes belges étaient favorables au mouvement #MeToo ou se sentaient responsabilisés par ce mouvement.