Axelle Jah Njiké, l’Afropéenne qui célèbre sa sexualité retrouvée

Par N°247 / p. 40-42 • Juillet-août 2022

Axelle Jah Njiké n’est plus à présenter dans l’univers du podcast en France. Après Me My Sexe and I, La fille sur le canapé et Je suis noire et je n’aime pas Beyoncé. Une histoire des féminismes noirs francophones, elle nous révèle un autre talent : la littérature. Dans Journal intime d’une féministe (noire), on retrouve les sujets de prédilection d’Axelle Jah Njiké : l’intime, le féminisme, les femmes noires et la transmission. Nous l’avons rencontrée.

© Marie Rouge

Militante féministe afropéenne et païenne. C’est ainsi qu’elle se définit. “Afropéenne parce que je suis née en Afrique, j’ai été éduquée en France et j’ai une culture française. Me dire païenne, pour moi, est la façon de revendiquer la transmission charnelle à partir du sexe de nos mères, l’origine du monde. C’est aussi mon histoire familiale, c’est rappeler que ce qui m’a été transmis vient de quelque chose de cet ordre-là”, clame-t-elle.

Née au Cameroun, Axelle Jah Njiké revendique son identité afropéenne jusque dans le titre de cet ouvrage-manifeste, avec le mot “noire” entre parenthèses. Elle souligne ainsi qu’elle peut être une femme noire, féministe et avoir une intimité qui compte. Une intimité plus souvent oubliée dans les conversations et dans les témoignages. “Quand je regardais les émissions à la télé ou quand je feuilletais des livres dans une librairie, je constatais une véritable absence de la parole des femmes afropéennes et de nos vécus. Et il y avait un moment où je ne comprenais pas pourquoi on ne pouvait pas s’interroger au même titre qu’une femme blanche sur nos enfants, nos parents, nos rencontres amoureuses. C’était comme si nous n’étions là que pour parler du spectaculaire, de tous nos malheurs. L’excision, les mariages forcés et rien d’autre. Comme si on se levait le matin et qu’on ne vivait que ça”, lâche-t-elle, un brin agacée. C’est l’une des raisons pour lesquelles elle s’est décidée à prendre la plume pour raconter sa vie d’Afropéenne sous le prisme de sa sexualité.

Petite fille, mère

Journal intime d’une féministe (noire) signe d’une certaine façon non seulement la maturité de la réflexion de l’autrice sur sa sexualité de femme noire, mais aussi son regard sur la petite fille arrivée en France à l’âge de six ans que sa mère s’est résolue à laisser partir afin de briser le cycle, écrit d’avance, d’une sexualité maltraitée. Même si cela signifiait pour sa mère ne pas voir Axelle grandir. Ne pas la voir devenir femme. Non pas femme à la façon de toutes les femmes de sa famille avant elle. Mais femme libre de faire ses choix. C’est ainsi que son cheminement l’amènera à devenir “la première des femmes de sa famille à savoir lire et écrire, la première à être devenue l’épouse d’un homme qu’elle a choisi et qu’elle n’a pas partagé avec des coépouses, la première dont la vie de femme mariée n’a pas été une succession de viols déguisés en relations conjugales”, écrit-elle.

Tu vois ta fille partir à six ans, et tu vois revenir une mère avec un enfant sous le bras à son tour, qui a l’âge qu’avait ta propre enfant quand elle est partie. C’était difficile émotionnellement.

Les années ont passé, les langues se sont déliées et elle a pardonné à cette mère envers qui elle a longtemps éprouvé de la colère, croyant qu’elle l’avait abandonnée. Lorsque les deux femmes se revoient, vingt années se sont écoulées après leur séparation ; la petite fille est elle-même devenue mère. Et c’est avec beaucoup de regrets qu’elle nous fait cette confidence : “Nos retrouvailles ont été difficiles. Tu vois ta fille partir à six ans, et tu vois revenir une mère avec un enfant sous le bras à son tour, qui a l’âge qu’avait ta propre enfant quand elle est partie. C’était difficile émotionnellement. On s’est rendu compte qu’on s’est ratées, il y avait tout un pan de ma vie où elle n’avait pas existé.”

Lire, écrire, choisir, jouir

C’est plus tard qu’Axelle Jah Njiké comprendra cette décision qui fut sans doute déchirante pour sa mère et qui l’a en quelque sorte sauvée d’un destin tout tracé. Elle le reconnaît dans son livre. “Je dois à ma mère la faculté de lire, écrire, choisir. Et jouir. Et je crois que c’est le cadeau le plus précieux qu’elle m’ait fait.” Mais cela ne l’a pas épargnée de ce qu’on pourrait qualifier de “malédiction de l’initiation à la sexualité” chez les femmes de sa famille. Une “initiation” violente en toute banalité : elle subit un viol sur le canapé du salon par un homme, une connaissance de son grand frère et tuteur. “J’avais onze ans et je ne savais pas encore que le viol était la manière la plus banale de devenir femme dans ma famille. Qu’aucune femme avant moi, dans ma lignée, n’avait pu choisir son premier partenaire sexuel”, écrit celle qui est devenue, depuis ce jour figé à jamais dans sa mémoire, “la fille sur le canapé”. Expression qu’elle a donnée, 36 ans plus tard, à son deuxième podcast, traitant de la question des violences sexuelles sur mineures au sein des familles afrodescendantes, à travers son vécu et des témoignages de femmes noires.

Je dois à ma mère la faculté de lire, écrire, choisir. Et jouir. Et je crois que c’est le cadeau le plus précieux qu’elle m’ait fait.

Car on ne saurait parler d’Axelle Jah Njiké sans évoquer la naissance de ses différentes créations sonores, toutes liées par le récit féminin, féministe, pour faire entendre les femmes noires dans la diversité de leurs expériences puisqu’“il existe autant de manières d’être noire qu’il existe de femmes noires et de féminismes. Il n’y a pas un noir générique”, affirme-t-elle avec évidence. Sa première série, Me My Sexe and I, a servi à cela, à rendre visibles les récits des femmes noires et/ou afropéennes dans toutes leurs singularités. Pour qu’elles puissent s’entendre les unes et les autres. Elles peuvent aussi puiser dans son troisième podcast, Je suis noire et je n’aime pas Beyoncé, apprendre des parcours et des luttes émancipatrices féministes de leurs aînées sur le continent africain tout en n’excluant pas les nouvelles voix qui portent aujourd’hui le flambeau.

La découverte du plaisir sexuel en solitaire

Au Diable Vauvert 2022, 176 p., 15 eur.

L’idée du Journal intime d’une féministe (noire) est née il y a près de vingt ans, mais le moment de la coucher sur papier n’était pas encore venu. Axelle Jah Njiké, désormais presque cinquantenaire, a pris le temps de se construire en tant que femme. Découvrir sa sexualité. S’en réjouir. Jouir. Comme ce jour où elle plonge les doigts dans sa culotte et découvre, à 22 ans, le sentiment de plénitude que procure la masturbation. Ce soir-là, elle est allée au bout de cet acte qu’elle avait déjà tenté plusieurs fois. C’était comme si son corps de femme venait de se réveiller d’un sommeil profond. Le pouvoir extraordinaire du corps féminin s’est révélé à elle, “quelque chose s’est libéré en moi, libéré et épanoui”, écrit-elle.

Son émancipation sexuelle entamée, tout était désormais possible pour Axelle Jah Njiké. Elle a trouvé sa voie pour se libérer de l’histoire d’une sexualité héréditaire martyrisée. Si elle y est parvenue, explique-t-elle, c’est en partie grâce à la littérature qui a été son refuge, petite fille puis adulte. Opus Pistorum de Henry Miller, Contes pervers et La Bicyclette bleue de Régine Deforges, Vénus érotica d’Anaïs Nin font partie des ouvrages érotiques qui ont nourri sa vie secrète et animé ces moments où elle vivait cette “aventure torride avec elle-même”.

Aujourd’hui, Axelle Jah Njiké a pu se réapproprier son histoire, son corps qui lui avait été volé et qu’elle a apprivoisé, qu’elle aime et qu’elle célèbre. Elle a ouvert la voie à toutes ces femmes noires et/ou afrodescendantes qui ont envie de renouer avec leur intimité, de clamer haut et fort que cette intimité leur appartient et qu’elles sont les seules à décider de ce qu’elles souhaitent en faire.

Pour aller plus loin
  • À écouter / Les podcasts d’Axelle Jah Njiké

Me My Sexe and I®
La fille sur le canapé, chez Nouvelles Écoutes
Je suis noire et je n’aime pas Beyoncé. Une histoire des féminismes noirs francophones, sur France Culture

  • À voir / Hématome

Un court-métrage de la Belge Babetida Sadjo (2021). Le pitch : 25 ans après les faits, Judith ose enfin sortir du silence traumatique et porter plainte pour le viol qu’elle a subi enfant, commis par son beau-père. Mais le procès n’aura pas lieu. Assoiffée de justice, elle va confronter le pédophile qui a brisé sa vie et celle de sa sœur. Il s’agit d’une adaptation de l’histoire de la réalisatrice, qui joue également le rôle de Judith. Babetida Sadjo confie aux Grenades-RTBF : “Mon film combine quatre tares, selon moi. D’abord, il parle de pédocriminalité, et personne ne veut en parler. Sa protagoniste est une femme noire. Elle remet en question la loi. Et à la fin du scénario, elle prend sa revanche. […] Je veux montrer que la Justice s’intéresse beaucoup aux auteurs mais pas du tout aux victimes et que c’est dangereux. Je me suis demandé pourquoi l’État belge ne regardait pas de mon côté pour voir comment j’allais. On n’est pas du tout entourées psychologiquement.”
En cours de projection dans plusieurs festivals. Babetida Sadjo aimerait aussi utiliser son film pour débattre et pour sensibiliser les jeunes.