Quelques pistes pour résister aux exclusions du chômage

Presque 46 % des personnes concernées par l’exclusion du chômage sont des femmes. La réforme des conditions d’accès à l’assurance chômage, menée par le gouvernement Arizona, constitue un enjeu féministe majeur. Le tableau n’est pas encourageant mais il existe, pour certain·es, quelques pistes pour tenter d’éviter l’exclusion.

© Lara Pérez Dueñas pour axelle magazine

Au 1er janvier 2026, une première salve de 18.731 personnes arriveront en fin de droit aux allocations de chômage, selon les modalités de la loi publiée le 29 juillet dernier au Moniteur belge, journal des textes légaux. Le chiffre exact de femmes concernées par cette vague ne pourra être communiqué qu’une fois la loi entrée en vigueur mais, sur l’estimation de 184.433 personnes concernées par la réforme et progressivement exclues (231.000 chômeurs/euses vont recevoir une lettre de fin de droit, mais l’Onem estime que 46.000 retrouveront un emploi avant la date de leur exclusion), 84.522 sont des femmes.

La population féminine est surreprésentée parmi les allocataires les plus fragilisé·es

En introduction d’une réunion politique organisée par Vie Féminine à ce sujet début octobre, Soizic Dubot, coordinatrice socio-économique de l’asbl d’éducation permanente féministe, rappelle que cette réforme n’est pas la première ; de nombreuses femmes ont déjà été exclues par le passé, au fil des décisions des précédents gouvernements. De plus, la population féminine est surreprésentée parmi les allocataires les plus fragilisé·es.

En cause ? Les carrières hachées des femmes, d’abord. Un statut de cohabitant·e – donnant droit, en chômage, à l’allocation la plus faible – majoritairement féminin : 52 % des femmes en chômage ont ce statut, selon les derniers chiffres 2025. De nombreuses femmes, aussi, parmi les personnes plus âgées visées par l’exclusion : 34 % des femmes au chômage ont 50 ans ou plus. Et ces personnes ont de faibles perspectives de réinsertion professionnelle, et d’autant moins si elles sont peu diplômées et cumulent les discriminations, notamment si elles sont racisées… Soizic Dubot fait le constat général d’« un appauvrissement organisé des travailleuses et travailleurs sans emploi, mais aussi de toute une série de personnes qui sont dans des emplois irréguliers, des emplois courts, de galère, des petits temps partiels, sous statut ALE, etc. »

Première possibilité

Chiffrer les impacts de la réforme sur le surendettement, les exclusions de logement, l’augmentation du sans-abrisme n’est pas encore faisable, admet Sébastien Gratoir, président de la Commission Droits économiques, sociaux et culturels de la Ligue des droits humains (LDH), invité par Vie Féminine, mais il affirme que « de nombreuses organisations estiment ces impacts colossaux ». Le Collectif Solidarité Contre l’Exclusion (CSCE) et la LDH relaient un dépôt de recours devant la Cour du travail, coordonné par les trois principaux syndicats en front commun (FGTB, CSC et CGSLB) et auquel Vie Féminine s’associe.

La Cour du travail devra donner sa réponse avant trois mois

Ce « recours en suspension », illustré par des cas individuels permettant de prouver un préjudice grave difficilement réparable, concerne des personnes en situation de médiation de dettes, ou propriétaires toujours en remboursement du prêt contracté pour acheter leur logement, ne pouvant s’appuyer sur aucune solidarité familiale (sur les revenus, ou revenus de remplacement d’autres membres de la famille, ne vivant pas nécessairement sous le même toit). L’exclusion de ces personnes les mettrait dans l’impossibilité d’honorer leurs crédits et elles risqueraient de perdre leur bien.

Ce recours, déposé en urgence, s’appuie donc sur les concepts juridiques de « préjudice grave » et « dommage irréparable » : la perte financière serait si importante qu’elle causerait un dommage irrattrapable. Ce recours a été déposé ce 29 octobre. La Cour du travail devra donner sa réponse avant trois mois, soit avant fin janvier.

Deuxième, et surtout troisième possibilité

À partir de leur notification d’exclusion, les personnes qui l’estimeraient pertinent ont trois mois pour déposer, devant la Cour du travail, un recours individuel contre leur exclusion. La FGTB dit accompagner toute personne affiliée le souhaitant. Cependant, ce recours risque de ne pas être d’une grande utilité, estime Sébastien Gratoir : la Cour du travail renverra très vraisemblablement les dossiers vers la Cour constitutionnelle. Pourquoi ?

Le passage de la réforme s’est effectué en urgence (l’opposition a quand même déposé environ 150 amendements). Le Conseil d’État, chargé de vérifier la légalité des textes avant leur adoption, n’a disposé que d’une semaine pour scruter tous les aspects de la réforme. Il a spécifié qu’il n’avait pas disposé de suffisamment de temps pour le faire. Sur cette base, une partie, des parties, ou toute la réforme pourraient faire l’objet de demandes en annulation devant la Cour constitutionnelle.

Divers organismes ont décidé de se lancer dans cette procédure. Le CSCE et la LDH se sont associées, à nouveau, pour déposer la leur : une action collective, certes sans résultat individuel à court terme – la réponse n’est pas attendue avant un an, voire deux –, mais une action commune, une façon concrète de protester contre la réforme et ses ravages en cascade.

Étroite voie de secours supplémentaire

Autre piste plus immédiate : le fait de s’inscrire et suivre une formation qualifiante évite de perdre le droit aux allocations de chômage, « mais pas n’importe quelle formation, précise Soizic Dubot. Au début des négociations de la réforme, il s’agissait d’exemptions pour les formations dans tous les métiers en pénurie, puis uniquement dans le secteur de la santé. Mais au final, elles ne pourront être obtenues que si on suit une formation d’infirmier·ère ou d’aide-soignant·e ». Des métiers par ailleurs principalement féminins, et mal rémunérés. « Ces formations ont été prises d’assaut en septembre, avec des listes d’attente énormes », souligne encore la coordinatrice nationale. Pour septembre 2026, les inscriptions se font dès à présent.

À noter qu’une fois au CPAS, une reprise de formation qualifiante pour un métier en pénurie, dans sa région, devrait être possible.

Bon à savoir aussi : pour les personnes concernées par des vagues d’exclusion en 2026, il existe la possibilité de préserver leurs droits en s’inscrivant, avant le 1er janvier 2026, à une formation validée par le Forem et menant à un métier en pénurie. Après cette date, ce ne sera plus le cas, sauf, donc, pour les formations comme aide-soignant·e et infirmier·ère.

L’aide du CPAS ? Des conditions restrictives

Le tableau n’est malheureusement pas complet. Il faut aussi savoir que les conditions d’accès au RIS (Revenu d’Intégration Sociale) sont différentes de celles du chômage. « Si je suis par exemple en couple avec une personne qui a des revenus, illustre Soizic Dubot, le plus souvent, je ne vais pas avoir droit à une aide du CPAS. »

Le statut de cohabitant·e est totalement pénalisant

Le statut de cohabitant·e – qui concerne principalement les femmes et dont les mouvements féministes demandent la suppression depuis de nombreuses années – se confirme à nouveau être totalement pénalisant. Et les CPAS ne se contenteront pas d’examiner la situation des personnes vivant sous un même toit (attention, la sous-location peut aussi devenir pénalisante), mais calculeront le montant de l’aide en fonction des revenus de tous·tes les membres de la famille et/ou du foyer.

« De plus, il y a cette volonté de renforcer la prise en compte de ce qu’on appelle les débiteurs alimentaires », poursuit la coordinatrice de Vie Féminine. « Débiteurs alimentaires » ? Les personnes qui ont une obligation légale de fournir logement, entretien, santé, éducation, etc., à un·e proche dans le besoin. « L’épargne sera également examinée, relève enfin Soizic Dubot, et le fait d’être propriétaire va entrer aussi en ligne de compte sur le calcul du montant qu’on peut recevoir. »

Quand on n’est pas capable de travailler

toute une série de chômeurs et chômeuses ne déclarent pas leur maladie

Une dernière possibilité, pour les personnes malades, est un passage sous couverture de leur mutuelle. Yves Martens, coordinateur du CSCE, précise lors de la réunion initiée par Vie Féminine qu’il ne s’agit pas de « jouer au malade imaginaire », mais que « toute une série de chômeurs et chômeuses ne déclarent pas leur maladie. D’une part parce que cette déclaration provoque des démarches administratives entraînant des coupures de paiement, des va-et-vient entre mutuelle et chômage. Et toute une série de personnes ne le font pas parce qu’elles essayent de travailler régulièrement en fonction de leur état de santé. En étant sur la mutuelle, elles ne vont pas pouvoir travailler. »

Le coordinateur du collectif relève que le discours autour de la réforme insiste sur la finalité de la remise à l’emploi, alors ces personnes, qui travaillaient quand elles en étaient capables, sont poussées à s’éloigner de l’emploi à cause de leur exclusion du chômage.

Yves Martens conseille aux personnes aux lourds problèmes de santé, qui perdraient leur droit et qui n’auraient pas trouvé d’autres solutions, de rentrer dans les 30 jours après leur exclusion une demande d’incapacité de travail à la mutuelle. Et de faire également la démarche auprès de leur CPAS. Ce sera perçu comme positif, puisqu’au CPAS, une des six conditions du droit à l’intégration sociale est de d’abord vérifier si la personne a bien fait valoir ses droits aux autres allocations.

Cercle vicieux

Pour poursuivre sur le volet santé : en Belgique, 500.000 personnes sont en ce moment en maladie de longue durée. Le gouvernement compte aussi s’attaquer aux conditions d’accès à ce statut. Parmi ces malades de longue durée, une majorité sont des femmes. Elles sont 60 % quand on prend en compte tous les types de maladies, et 70 % pour dépression et burn-out. Parmi ces femmes en arrêt maladie, celles de plus de 55 ans sont représentées à hauteur de 77 %.

Soizic Dubot met ces chiffres en lien « avec les conditions du travail féminin, avec la double journée des femmes, avec la dérégulation des conditions de travail, la flexibilité, etc. Et pourtant, le travail de nuit et le week-end sont désormais vraiment facilités. Et en discussion : la suppression de l’interdiction de contrat inférieur à un 1/3 temps… »

Pour résumer cette logique délétère : le gouvernement Arizona, d’une part, durcit drastiquement les conditions d’accès au chômage, dépendant de la durée de la mise à l’emploi. Et il pousse dans le même temps, par toute une série de mesures de flexibilisation du travail, les travailleurs/euses vers des contrats courts et précaires, renforçant par là la destruction de leurs droits.

Sortir de la stigmatisation, se rassembler

Soizic Dubot tient encore à rapprocher ces mesures du durcissement de celles dites « d’accueil » des personnes migrantes. Les primo-arrivant·es ne peuvent désormais bénéficier d’une aide sociale qu’après cinq ans. « Cinq années sans allocation. Je ne vois pas comment survivre, se demande-t-elle, à part dans des conditions les plus dégradantes possibles. Quel avenir et quelles conditions de travail pour toutes les travailleuses qui viennent en Belgique pour prendre soin des enfants, des personnes âgées de familles qui ont les moyens de se payer une domestique, mais emploient ces travailleuses au noir ? Il y a des réels besoins, mais aucune avancée là-dessus. Ce sont aussi des pressions sur les formes de travail qui se jouent ici, et des pressions plus globales au niveau du fonctionnement social et sociétal. »

Une méconnaissance des réalités de la pauvreté

Sébastien Gratoir constate « une réelle méconnaissance de ce que c’est, être au chômage, au CPAS, une méconnaissance des réalités de la pauvreté. Et il y a toujours le préjugé : oui, mais je connais quelqu’un qui… profite, se la coule douce, ne veut pas travailler, etc. » Soizic Dubot enchaîne : « On est sur des discours qui nous isolent, qui nous font toujours regarder les situations des autres. »

Un sondage de juillet dernier initié par la Ligue des Familles montre que si son public soutient à 63 % la réforme du chômage, il n’est pas d’accord sur toutes ses modalités, particulièrement quand celles-ci concernent les mères solo ou les parents d’enfant(s) porteur·e(s) d’un handicap. « Il faut faire entendre d’autres discours, propose la coordinatrice de Vie Féminine, casser ces représentations, cette stigmatisation des personnes au chômage, casser ces discours qui nous dressent les uns, les unes contre les autres. »

S’informer

Les critères d’exclusion du chômage sont complexes parce que chaque parcours présente ses particularités. Certaines personnes ne savent d’ailleurs peut-être pas encore qu’elles sont concernées. L’Onem a publié des vidéos explicatives. Des séances d’information sont organisées sur tout le territoire wallon et à Bruxelles, pour ne pas rester seul·e avec ses interrogations, et ses angoisses.

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