Réforme du Code pénal en matière “sexuelle” : qui protège-t-elle ?

Présentée comme une grande avancée, la proposition de réforme du Code pénal traitant des incriminations en matière “sexuelle” implique cependant des changements en profondeur, certains complètement délétères, avertissent des associations. Les parlementaires n’ont plus, à présent, que la possibilité de déposer des amendements à un texte approuvé par le gouvernement. Décryptage des enjeux saillants d’un discret feuilleton technique et complexe, au goût amer de backlash antiféministe.

CC Tingey Injury Law Firm / Unsplash

Rédigé en 1867, truffé d’ajouts, il devait être simplifié, tout le monde s’accorde sur ce point, et modernisé “afin de refléter les normes de la société actuelle”. Une commission d’expert·es a élaboré un texte de réforme du Code pénal au cours de la précédente législature, sous l’égide du ministre de la Justice d’alors, le CD&V Koen Geens. Et elle a poursuivi ses travaux sous l’actuel gouvernement Vivaldi, qui a fait “de la lutte contre les crimes sexuels une priorité absolue”, rappelait le ministre de la Justice et vice-premier, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), dans l’exposé des motifs de la réforme, justifiant ainsi l’urgence d’une réécriture plus rapide pour le “chapitre sur les crimes sexuels, pour pouvoir l’incorporer dans le Code pénal actuel sans devoir attendre l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal.”

Fin juin, suite notamment à une levée de boucliers d’associations féministes et de Samilia, ONG qui lutte contre la traite des êtres humains, ce paquet séparé sur les infractions sexuelles a été remanié, et approuvé en seconde lecture, juste avant les vacances parlementaires. Cette dernière version, actuellement soumise à l’examen des parlementaires, ne prend pas réellement en compte les arguments des associations ; elle reste très problématique.

Retour sur la première mouture

En avril, le ministre libéral Van Quickenborne et la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, l’Ecolo Sarah Schlitz, se félicitent de l’approbation de l’avant-projet en première lecture. Il élimine des mentions dépassées, notamment celle de “crimes et de délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique”, au bénéfice du principe de “respect de l’intégrité physique”.

Des associations féministes s’en réjouissent, et saluent l’inscription du consentement comme principe de base dans les définitions des infractions sexuelles : “donné librement et non déduit de la seule absence de résistance, il peut être retiré à tout moment avant ou pendant l’acte sexuel”. L’inceste intègre enfin le Code pénal. De plus, l’inceste et tout acte de violence commis par un partenaire constituent désormais une circonstance aggravante.

Un changement d’approche majeur qui ne figurait pas au départ dans l’accord gouvernemental de la Vivaldi.

Également sur la table dès avril : la décriminalisation de l’exploitation de la prostitution. Qui rend nécessaire l’introduction d’un chapitre spécifique, et la création de l’infraction d’”abus de la prostitution”. Ce changement d’approche majeur ne figurait pas au départ dans l’accord gouvernemental de la Vivaldi. Il suit une demande de longue date des associations de défense des “travailleurs/euses du sexe” (TDS), comme expliqué le 28 juin dans une carte blanche. “[…] les associations de terrain le constatent tous les jours : l’absence de statut et la criminalisation empêchent toute organisation entre TDS, provoque la précarité, la perte de logement, condamne tout un secteur à des solutions de survie”. La pandémie a encore aggravé cette situation de précarité des personnes prostituées.

Timing trop rapide pour une matière complexe

Fin juin, les réactions aux implications des modifications proposées ont commencé à se faire entendre. L’absence d’une large consultation des organisations de terrain ainsi que le timing ont également été estimés interpellants, alors que la matière juridique s’avère particulièrement complexe et technique.

Dans un article des Grenades–RTBF, une membre du réseau Faces (Réseau des Associations Féministes Contre les Exploitations Structurelles, regroupant pour l’occasion l’Université des Femmes, Le Monde selon les femmes, La Voix des Femmes, le Collectif des Femmes de Louvain-la-Neuve et le Mouvement pour l’égalité entre les femmes et les hommes) pointait “un problème de démocratie à faire passer rapidement des textes” en période de Covid, alors que les associations féministes n’avaient pas été consultées, et que ce projet de loi “fragilise les droits des victimes”.

Dans le même article, le ministre répondait avoir pris divers avis et auditionné de nombreux acteurs, tels que Child Focus, Myria (Centre fédéral Migration), Payoke ou encore la Commission des droits de l’enfant, ainsi que des associations de terrain de soutien aux travailleurs/euses du sexe telles que Violett et Utsopi. Mais aucune association de défense des droits des femmes.

Pour qu’une infraction sexuelle soit reconnue, il faudrait désormais démontrer que l’accusé l’a commise “volontairement et sciemment”.

[Paragraphe mis à jour le 15 octobre] Pourtant, comme relevé par ces associations féministes, le texte rend très difficilement applicable ce qui a été amélioré en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes. Pour qu’une infraction sexuelle (atteinte à l’intégrité sexuelle, voyeurisme, diffusion non consensuelle d’images à caractère sexuel, viol…) soit reconnue, il faudrait désormais démontrer que l’accusé l’a commise “volontairement et sciemment”, ce que recouvre le terme juridique “dol général”. Si la mention “volontairement et sciemment “a été retirée en seconde lecture du texte  alors qu’elle figurait dans l’avant-projet, l’exigence de ce dol général est bien maintenue dans l’avis du Conseil d’État… Cette exigence élève et scelle le niveau, jusqu’ici non précisé par la loi, de gravité requis – que la victime et le ministère public doivent prouver – pour constituer les infractions sexuelles. Miriam Ben Jattou, juriste fondatrice de l’asbl Femmes de droit, conclut quant à elle que le texte, si cette exigence de dol général est maintenue, rendrait quasi impossible toute condamnation pour viol, par exemple. Son association, auditionnée au Parlement à ce sujet le 28 septembre, a par ailleurs fourni une analyse détaillée des points positifs et négatifs du projet de réforme. [Fin de la mise à jour]

“Ce texte va aussi avoir des répercussions sur les violences au sein du couple,  constate Céline Caudron, coordinatrice nationale de Vie Féminine. Il trahit en tout cas la stratégie du gouvernement : considérer les différentes formes de violences faites aux femmes comme distinctes les unes des autres, alors qu’elles sont au contraire étroitement liées et font système. Envisager les infractions sexuelles indépendamment des violences intrafamiliales [qui seront abordées ultérieurement, en dehors de l’urgence, ndlr], c’est comme si les violences sexuelles ne se passaient pas aussi au sein du couple et des familles, alors que c’est majoritairement là qu’elles ont lieu. La compréhension du continuum des violences reste absente de l’analyse du gouvernement, et ce depuis très longtemps. Par manque de lecture globale, il est en train de saper des éléments sur lesquels il pourrait s’appuyer pour lutter efficacement contre les violences intrafamiliales.”

Le consentement, que recouvre-t-il vraiment ?

Le texte de loi précise qu’il n’y a pas consentement “si l’acte à caractère sexuel résulte d’une agression, d’une menace, de violence, d’une surprise, d’une ruse, ou d’un autre comportement punissable. Il n’y a pas davantage de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis au préjudice d’une personne en situation de vulnérabilité due à un état d’inconscience, de sommeil, de peur, à l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une infirmité ou une déficience physique ou mentale, altérant le libre arbitre.”

Quid de situations de contrainte plus “légères” souvent présentes lors de violences intrafamiliales ?

Cette liste de circonstances aggravantes exhaustive en exclut toute une série d’autres. Quid effectivement de situations de contrainte plus “légères” souvent présentes lors de violences intrafamiliales ? Et que recouvre alors exactement la notion de consentement – qui peut être retiré à tout moment ? Le ministre Van Quickenborne s’exprimait lundi 20 septembre à ce sujet sur les ondes de la RTBF. On peut toutefois se demander si le fait d’avoir mis une jupe, par exemple, ou d’avoir dîné en tête-à-tête… – c’est-à-dire des éléments que les agresseurs utilisent déjà pour justifier leurs actes –, ne sera pas des circonstances systématiquement invoquées ou même admises pour dédouaner les auteurs de violence, qui prétendront avoir été induits en erreur sur l’absence de consentement de la victime.

Dépénalisation de l’exploitation de la prostitution

Au sein de ce paquet “infractions sexuelles” de la réforme, si urgent à mettre en place, l’avant-projet distingue encore ce qui relève des violences sexuelles de ce qui concerne le nouveau volet prostitution, dépénalisant le proxénétisme.

Jusqu’à présent, l’article 380 punissait “quiconque, pour satisfaire les passions d’autrui, aura embauché, entraîné, détourné ou retenu, en vue de la débauche ou de la prostitution, même de son consentement [même si la personne elle-même y consent, ndlr], une personne majeure […] ; quiconque aura tenu une maison de débauche ou de prostitution ; quiconque aura vendu, loué ou mis à disposition aux fins de la prostitution des chambres ou tout autre local dans le but de réaliser un profit anormal, quiconque aura, de quelque manière que ce soit, exploité la débauche ou la prostitution d’autrui.”

Jusqu’à présent donc, dans les textes, la prostitution n’était pas pénalisée, et la Belgique tenait une position abolitionniste de l’exploitation de la prostitution : c’est uniquement lorsque son exercice se déroule entre majeur·es consentant·es et dans un cadre privé que la prostitution ne constitue pas un délit, ni dans le chef de la personne prostituée, ni dans celui du client.

Dans les faits, la loi n’est pas appliquée. Et la gestion ou règlementation de la prostitution, tolérée depuis longtemps, est déléguée aux communes, laissant des disparités s’installer d’un territoire à l’autre. Mais le Code pénal belge ne criminalisait donc pas la prostitution en tant que telle ; il posait de sérieuses balises à son exploitation, aujourd’hui levées dans le projet de réforme. Ce qui répond aux revendications de longue date des associations de “défense des travailleurs/euses du sexe” (TDS), qui demandaient de “réformer l’article 380 du Code pénal belge, qui criminalise les différents moyens qui permettent aux travailleurs du sexe d’exercer librement leur métier.” Dans le texte de la réforme, seule subsiste la notion de “profit anormal” – on y reviendra plus bas.

Droits sociaux et dé-stigmatisation

Les personnes qui se prostituent pouvaient accéder au statut d’indépendant·e ; peu le demandent, en raison de l’exigence soit d’un diplôme d’études supérieures, soit de compétences en gestion. Salariées (cas également relativement rares), elles doivent éviter la mention de leur activité (et s’inscrire comme serveuse, ou masseuse par exemple), sous peine, devant les tribunaux, de se voir brandir la nullité – car “contraire aux bonnes mœurs” – de leur contrat en cas de litige avec leur employeur/proxénète concernant des indemnités de fin de contrat que ce dernier refuse de payer.

Dans la demande d’un statut pour les TDS s’inscrit également une volonté de dé-stigmatisation de leur travail par une reconnaissance sociale de leur activité. Reconnaissance que, dans une lecture à l’aune d’une grille d’analyse de la domination masculine, les associations féministes dites abolitionnistes n’estiment pas anodine, pointant par exemple le fait qu’une large majorité des personnes prostituées sont des femmes, et la toute grande majorité des clients, des hommes.

Il faut que l’on parte des besoins des femmes, qui peuvent être très variés.

S’il est indispensable d’apporter des solutions concrètes rapides à la précarité des “travailleurs/euses du sexe”, les réalités de l’activité prostitutionnelle s’avèrent cependant multiples. Céline Caudron rappelle : “Il faut que l’on parte des besoins des femmes, qui peuvent être très variés. Certaines femmes qui se prostituent vont avoir besoin de sécurité et d’une reconnaissance légale. On a aussi, dans notre public, des femmes qui se prostituent de façon occasionnelle pour tenir le coup financièrement et celles-là ne vont pas revendiquer de statut” et vouloir tomber ainsi sous un régime de taxation. Car si un statut devait s’ouvrir, toutes les personnes concernées par l’activité devraient s’y plier. “Ce qui ne va pas, poursuit la coordinatrice de Vie Féminine, c’est de défendre les droits des unes au détriment de ceux des autres.” Impossible également d’aborder ce sujet sans se pencher sur les femmes et les filles victimes de la traite des êtres humains.

Enlever tous les garde-fous par rapport au proxénétisme ?

Fin juin, l’ONG Samilia, qui vise à renforcer la lutte contre toutes les formes de traite des êtres humains, publiait elle aussi une carte blanche, dont les arguments restent valides à la lecture de la seconde version. “Ces modifications en profondeur ont pour conséquence d’affaiblir dramatiquement l’arsenal belge de lutte contre la traite des êtres humains. Les principaux outils juridiques à la disposition des magistrats pour protéger les victimes et poursuivre les auteurs de traite des êtres humains sont abrogés.”

Ces modifications affaiblissent dramatiquement l’arsenal belge de lutte contre la traite des êtres humains.

L’ONG développe un argumentaire en plusieurs points alarmants. Pointons-en trois. Premièrement, si la condamnation de l’exploitation de victimes de la traite est maintenue dans le nouveau projet de loi, le proxénétisme est dépénalisé. Seule l’infraction de profit “anormal” est conservée : un concept flou, qui a déjà posé problème dans la jurisprudence, et qui bénéficie aux propriétaires abusifs, remarquait, lors d’une séance de ciné-débat organisée par Samilia sur la thématique de l’exploitation sexuelle, Charles-Eric Clesse, auditeur du travail du Hainaut et spécialiste en matière de lutte contre la traite des êtres humains.

Si des associations de défense des TDS affirment quant à elles que “la décriminalisation aura […] des effets positifs sur les victimes de la traite des êtres humains, moins empêchées de faire appel à la police”, et qu’elle facilitera “la détection des cas d’abus, d’exploitation et de coercition”, Samilia ne partage pas ce point de vue. La présidente de l’asbl et de la fondation, Sophie Jekeler, déclarait dans une enquête (Moustique, 1er mai 2019, Véronique Laurent et Sabine Panet) que “séparer prostitution et traite est un faux discours”. Rappelons que même si leur nombre reste difficile à évaluer, l’ONU estime qu’une très grande majorité de femmes prostituées sont victimes de traite.

Charles-Eric Clesse poursuit : “Le futur Code va avoir une influence énorme sur la traite des êtres humains.” Car, concrètement, explique la carte blanche, pour faire condamner les criminels en bande organisée auteurs de trafic d’êtres humains, les enquêteurs/trices de répression de la traite se basent actuellement “sur d’autres chefs d’inculpation, comme le proxénétisme ou le blanchiment d’argent. Vu l’impossibilité d’y recourir à l’avenir, le nombre de dossiers de traite sexuelle fondra comme neige au soleil, assurant l’impunité des auteurs et dépossédant les victimes de leurs droits.”

L’ONG flamande Payoke, l’un des 3 centres belges agréés des victimes de la traite des êtres humains, demande quant à elle un statut pour les travailleurs/euses du sexe depuis 1987, explique Klaus Vanhoutte, son directeur, dans une interview  : “Nous sommes donc heureux que la politique prenne enfin le problème au sérieux et reconnaisse également que les personnes qui travaillent dans le commerce du sexe sont en fait obligées de travailler dans une zone grise.” Le discours de Charles-Eric Clesse est beaucoup plus nuancé : “On pourrait octroyer une protection sociale aux personnes prostituées volontaires sans pour autant décriminaliser le proxénétisme.”

Pour que celles et ceux qui se définissent comme TDS puissent s’organiser entre elles/eux, en coopératives par exemple, ou facturer des prestations exceptionnelles par Smart comme mentionné sur le site d’Utsopi, est-il souhaitable de décriminaliser le proxénétisme ? Ce qui transformerait proxénètes en “hommes d’affaires” et prostitution en marché. Les revendications d’Utsopi incluent “la redéfinition du proxénétisme” au bénéfice d’un “proxénétisme de soutien”.

À noter encore que si l’avant-projet cite la Nouvelle-Zélande comme exemple réussi de décriminalisation du proxénétisme, il ne mentionne pas les Pays-Bas. Après plus de dix ans de ce régime, et suite aux conséquences ravageuses en termes d’insécurité et de trafic en tous genres (traite, armes, drogues, blanchiment d’argent…), les Pays-Bas rétropédalent très sérieusement. En matière de protection des mineur·es, certaines villes néerlandaises vont même jusqu’à instaurer l’interdiction de la prostitution aux moins de 21 ans.

D’autres enjeux importants

Parmi les nombreux points interpellants, le deuxième soulevé par Samilia portait d’ailleurs sur les conséquences de “l’harmonisation” de la majorité sexuelle à 16 ans en relation avec la décriminalisation de l’organisation de la prostitution. Si, sur ce point, le texte de loi a été modifié dans sa seconde version, il reste toutefois en contradiction avec les conventions internationales des droits de l’enfant.

Une contradiction avec les conventions internationales des droits de l’enfant.

La directrice de Samilia, Sandrine Cnapelinckx, explique : “Il est reconnu dans les conventions internationales qu’un mineur de moins de 18 ans ne peut pas consentir à la prostitution : il s’agit d’office de traite des êtres humains.” Elle insiste : “Les pouvoirs publics sont là pour protéger les plus faibles !” Et d’autant plus quand on sait que les chiffres de la prostitution des mineur·es ont explosé pendant le confinement.

Proxénétisme institutionnel ?

Dernier point soulevé par la carte de blanche de Samilia : la fermeture des établissements dans lesquels sévit la traite sexuelle ne serait plus possible. En effet, la fermeture ne pourrait se faire que sous l’inculpation d’”avantage anormal”, très difficile à estimer, et laissé à l’appréciation souveraine des juges. Le projet de loi ajoute encore : “à l’exception de l’établissement où sont exercées des missions de service public.”

À quoi peut bien faire référence cette exception ? Est-ce reconnaître que la prostitution dans des Eros centers exploités par des entités communales relèvera désormais d’une mission de service public ?, s’interroge encore Samilia dans sa carte blanche. Si cette partie de la réforme passe, le projet d’Eros Center de Seraing voulu par l’ex-bourgmestre Alain Mathot (PS) – parmi d’autres projets de ce type – pourrait bien renaître de ses cendres (relire à ce sujet notre enquête parue dans Moustique précédemment citée).

Des questions, beaucoup de questions

Plus largement, on peut se demander quelle est la politique globale du gouvernement en matière de protection des plus vulnérables d’entre nous. Et en matière de lutte contre la précarité et le chômage… Dépénalisation du proxénétisme et possibilité de son institutionnalisation sont-elles une solution proposée par le gouvernement Vivaldi (Ecolo, Groen, familles socialistes (PS et sp.a), libérales (Open Vld et MR) et le CD&V) à la précarité économique des femmes ? Une solution pour les femmes sans emploi poussées à retrouver du travail ? Pour les mères solos en difficulté ? La prostitution devenant une option professionnelle comme une autre ? C’est bien ce que laissait entendre la réponse de Vincent Van Quickenborne à la députée, Open Vld également, Marianne Verhaert, qui le questionnait à ce sujet en avril dernier.

On peut aussi s’interroger sur le bénéfice financier qu’en retireraient les communes – qui pourraient d’ailleurs actuellement, être éventuellement poursuivies pour proxénétisme. Et quels gains financiers pour le gouvernement, alors que les chiffres du PIB intègrent déjà les bénéfices estimés de l’activité de prostitution ?

Le ministre de la Justice maintient que le projet est une grande avancée.

Le ministre de la Justice maintient cette semaine que le projet de réforme en matière d’infractions sexuelles est une grande avancée. Nous avons adressé nos interrogations à son cabinet sur les points soulevés plus haut, notamment la sécurité et le respect des droits des mineur·es, ou les bénéfices de la réforme en matière d’égalité femmes/hommes : nous n’avons pas reçu de réponse.

Quant à la secrétaire d’État, qui a soutenu la réforme dans la presse, son engagement en faveur des droits des femmes est de notoriété publique. Son cabinet, interrogé sur les mêmes points, communique qu’il aurait préféré s’exprimer sur “un contexte plus large sur la réforme du Code pénal en matière de droits sexuels”. De quelle marge de manœuvre a disposé Sarah Schlitz dans la négociation sur ce texte qui pourrait constituer une “bombe à fragmentation”, comme nous le décrivait une militante féministe découvrant, parmi les avancées, les reculs ?… Un texte sur lequel, par ailleurs, l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes a été consulté [edit : nous avions précédemment écrit qu’il l’avait “avalisé”], tout comme  le Délégué général aux droits de l’enfant, précise le document d’évaluation des impacts du projet.

Un dernier… camouflet ?

[Paragraphe édité le 24 septembre] Ce document d’évaluation des impacts reprend une évaluation à l’aune du genre qui n’est pas celle préconisée par le plan fédéral gender mainstreaming (nous vous en parlions en septembre dans cet article) figurant dans le Plan d’action national contre les violences fondées sur le genre adopté par le gouvernement.

Dans le document d’avant-projet, à la question de savoir si le texte a un impact positif sur l’égalité entre les femmes et les hommes, il est répondu : “oui”. Pourquoi ? Notamment parce que “certaines dispositions pénales sont adaptées comme l’infraction relative au viol. La nouvelle disposition pénale vise aussi la femme qui contraint l’homme à la pénétrer sans qu’il n’y consente.”

À la question : “Qui est concerné par le texte ?” L’avant-projet avance : “Le pourcentage d’hommes et de femmes visé par l’avant-projet n’est pas connu.” À nouveau, au vu des chiffres des violences sexuelles faites aux femmes par des hommes et au vu des chiffres genrés de la prostitution, cette déclaration est incompréhensible.

Pourtant, le ministre de la Justice s’est engagé à intégrer la dimension de genre dans la réforme du droit pénal, du droit de la procédure pénale et du droit de l’application des peines. Est-ce là selon lui la “dimension de genre” ? De fait, lorsque le concept d’égalité est appliqué pour utiliser une stricte égalité de droits sans prise en compte du contexte de violences de genre et d’inégalités structurelles et historiques, il peut se retourner contre les femmes. Mais comment est-il possible qu’une telle loi ne fasse pas – pas encore ? – l’objet d’une pleine application du plan fédéral gender mainstreaming désormais adopté ? [Fin de l’édition]

À la croisée d’enjeux essentiels et multiples, soulevant des tripotées d’interrogations, aussi sur l’esprit qui a animé les législateurs/trices lors de sa rédaction, cette réforme et ses conséquences potentielles demandent que nous nous y intéressions collectivement. Des associations féministes et de défense des droits humains appelleront prochainement à la mobilisation, réclamant un temps d’arrêt dans cette marche forcée vers l’adoption du texte pour se désengluer de la technicité  juridique du dossier et revenir sur ses objectifs et ses enjeux profondément politiques. Un sujet à suivre au plus près, pour défendre les droits, menacés, des mineur·es et des femmes.