5. Le regard de StopFeminicide sur la loi-cadre “#StopFéminicide”

StopFeminicide a contribué à plusieurs articles de ce dossier. Nous avons expliqué l’importance du recensement des victimes de féminicide ; nous avons rendu “femmage” aux victimes connues de cette année – victimes directes et collatérales. Nous souhaitons maintenant mettre en lumière la récente évolution de la situation sur le plan politique en Belgique et présenter ce que nous savons du projet de loi #StopFéminicide, à propos duquel la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, Sarah Schlitz, a été interviewée pour ce dossier d’axelle.

Une carte blanche d’Aline Dirkx, coordinatrice de la Plateforme Féministe contre les Violences Faites aux Femmes (PFVFF) et de StopFeminicide.

CC Yvan Dalize

Cet article est le 5e chapitre d’un focus consacré aux féminicides. 

En 2016, la Belgique a ratifié la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes. Selon ce traité à caractère contraignant, l’État est tenu de collecter les données statistiques et de soutenir la recherche à propos de toutes les formes de violences faites aux femmes, ainsi que de tenir ces informations à la disposition du public afin d’appuyer et d’adapter le travail de prévention, de protection et de poursuite des violences machistes (article 11).

Le chemin parcouru

Il faudra attendre six ans pour que la Belgique tienne parole et qu’un projet de loi au sujet des féminicides, qui n’étaient donc pas encore recensés officiellement, soit approuvé par le gouvernement.

Pour pallier ce manquement, la Plateforme Féministe contre les Violences Faites aux Femmes, une plateforme militante regroupant une vingtaine d’associations francophones comme néerlandophones, a pris les devants en 2017 et créé le blog StopFeminicide, tout en continuant de militer pour pousser l’État à remplir ses obligations. Pendant six ans, des bénévoles provenant des associations membres de la Plateforme, puis récemment sa coordinatrice (autrice de cette carte blanche), ont réalisé une veille médiatique et comptabilisé les féminicides qu’il était possible d’identifier dans la presse.

Enfin, le 29 octobre dernier, la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, Sarah Schlitz (qui nous avait à ce sujet préalablement consultées, ainsi que d’autres associations féministes), a annoncé que le gouvernement avait approuvé le projet de loi qu’elle porte, #StopFéminicide, précisant par la même occasion que la Belgique serait le premier pays d’Europe à adopter une loi sur la lutte contre les féminicides et les violences qui les précèdent.

Le même jour, nous avons découvert le féminicide de Teresa, 23 ans. Assassinée par son ex-compagnon le 27 octobre à Bruxelles, elle est la 174e victime de féminicide comptabilisée par StopFeminicide depuis 2017. Elle ne sera hélas pas la dernière pour l’année 2022.

La loi : nommer…

Le texte de cette loi n’étant pas encore accessible au public, nous nous en tenons à ce qu’a partagé la secrétaire d’État elle-même et à son interview avec la Fondation RAJA-Danièle Marcovici. Elle s’exprime aussi dans ce dossier d’axelle.

La future législation s’articule autour de trois volets : définir, mesurer et protéger. Le premier consiste donc en l’adoption de définitions officielles distinguant les différentes formes de féminicide :

  • le féminicide intime, “homicide intentionnel d’une femme parce qu’elle est une femme, commis par un partenaire ou un membre de la famille” (il faudrait absolument que les “ex-partenaires” soient inclus dans cette définition, si ce n’est pas le cas) ;
  • le féminicide non intime, “homicide intentionnel d’une femme par un tiers parce qu’elle est une femme ou mort d’une femme résultant de pratiques dommageables aux femmes” ;
  • le féminicide indirect, “homicide non intentionnel d’une femme parce qu’elle est une femme ou mort d’une femme résultant de pratiques dommageables aux femmes, par exemple le “suicide forcé” d’une femme suite à des violences entre partenaires. D’autres exemples mentionnés de féminicides indirects résultant de pratiques dommageables aux femmes sont la mort à la suite d’un avortement forcé ou d’une mutilation génitale féminine.
  • Le projet de loi définit également l’”homicide fondé sur le genre” (c’est-à-dire, par exemple, le meurtre d’une personne transgenre).

En outre, il définit les différentes formes de violences qui peuvent précéder les féminicides, comme les violences sexuelles, économiques, psychologiques ou en ligne, ou encore le contrôle coercitif, un concept moins connu et pourtant très important à visibiliser. Cette volonté de “définir les contours du phénomène” de manière complète est essentielle pour pouvoir mesurer et traiter le problème, mais également pour reconnaître que ces violences multiformes précèdent les féminicides.

On en revient à la notion de continuum de violences dont nous parlions ici  : les féminicides ne sont pas des faits de hasard, des crimes commis sur un coup de tête, des “drames” survenant aléatoirement, mais bien la forme ultime de ce continuum de violences s’alimentant mutuellement et s’immisçant à tous les niveaux de vie. N’en reconnaître que certaines signifierait invisibiliser les autres. Cette loi devrait donc mener à un regard global sur le phénomène, ce qui permettra, espérons-le, de trouver des solutions adaptées.

Collecter des données

Le deuxième volet du projet de loi comprend trois nouveaux dispositifs ayant pour objectif de collecter des données pour monitorer les féminicides, c’est-à-dire en faire le suivi :

  • un rapport annuel reprenant les principales statistiques du phénomène (les caractéristiques des victimes, des auteurs et de la relation entre victime et auteur) ;
  • une étude bisannuelle (tous les deux ans) qui identifiera les manquements des pouvoirs publics et formulera des recommandations à leur adresse ;
  • un comité interdisciplinaire (des membres de la Justice, de la police, du monde académique, de la société civile) qui réalisera des analyses qualitatives des féminicides pour identifier les dysfonctionnements et également formuler des recommandations aux politiques.

Précisons que StopFeminicide n’arrêtera pas sa veille médiatique et son recensement des femmes victimes de féminicide, et continuera de les nommer et de leur donner un visage.

Mieux protéger

Le troisième volet repose sur des mesures concrètes pour protéger les victimes, ce qui se traduit par le renforcement de leurs droits. Ainsi, la future loi engage l’État à garantir un accueil de qualité des victimes dans les commissariats : un local adapté offrant la discrétion nécessaire, des policiers/ères formé·es aux violences fondées sur le genre pour réaliser l’audition, le choix du genre de la personne qui interrogera, une traduction gratuite des documents, des informations sur les mesures de protection existantes…

La loi vise aussi à faciliter le dépôt de plainte en ligne pour les violences basées sur le genre.

Précisons que les enfants exposé·es, premières victimes collatérales des féminicides, n’ont pas été oublié·es. Elles/ils verront la reconnaissance de leur qualité de victime renforcée et pourront donc bénéficier de différentes mesures de protection – dans le cadre du champ d’action d’une loi fédérale ; il sera toujours nécessaire que toutes les institutions du pays, à tous les niveaux de pouvoir, se mettent aussi à appliquer les articles de la Convention d’Istanbul considérant l’enfant exposé·e aux violences (en ce compris, donc, le cycle des violences qui précèdent un féminicide) comme étant elle/lui même victime.

Dans son interview à la Fondation RAJA-Danièle Marcovici, Sarah Schlitz parle également d’un “outil d’évaluation des risques” dans le contexte d’une plainte, c’est-à-dire une grille d’évaluation du niveau de danger auquel la victime est exposée, accompagnée des mesures de protection adéquates en fonction du résultat à chaque étape de l’enquête.

Enfin, ce troisième volet inclut la formation obligatoire de professionnel·les de terrain, et en particulier les magistrat·es et la police. Nous resterons vigilantes quant à la forme que prendra cet outil d’évaluation des risques, ainsi que l’application et la qualité de la formation susmentionnée.

Les constatations des rapports, des études et des analyses prévues par cette loi-cadre tendront immanquablement vers l’aspect systémique du phénomène. Car les violences se retrouvent dans tous les niveaux de la société, dans la sphère privée comme dans la sphère publique et institutionnelle.

Nous identifions le croisement des systèmes de domination (patriarcat, racisme, capitalisme, validisme, cishétéronormativité, etc.) comme étant la source des violences faites aux femmes. Nous espérons que les politiques seront prêt·es à investir le temps, l’argent et l’énergie nécessaires à développer et appliquer des mesures concrètes et globales pour prévenir ces violences, au-delà de formations pour la police et les magistrat·es (quid de toutes les autres fonctions concernées ?). Nous sommes en outre curieuses de découvrir quelle ligne budgétaire sera allouée à la concrétisation et mise en application de cette loi-cadre, une fois qu’elle aura fini son parcours législatif.