« En matière de santé en prison, c’est difficile pour tout le monde, mais ça l’est encore plus pour les femmes. » Voilà comment la situation est résumée par Marion Guémas, coordinatrice de recherche et de plaidoyer au sein d’I.Care. Cette association créée en 2015 travaille sur l’accès aux soins et à la promotion des soins de santé en milieu carcéral.
Depuis des années, les soins de santé en prison sont montrés du doigt. En 2022, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) soulignait que « pour ce qui est des services de santé dans les prisons visitées (Anvers, Lantin et Saint-Gilles), les dotations et les temps de présence du personnel soignant étaient clairement insuffisants ».
Des troubles importants
Les besoins sont pourtant nombreux. Les troubles de santé mentale sont davantage présents dans la population carcérale qu’ailleurs. Cela s’explique par le fait que les personnes en prison ont souvent connu un parcours émaillé de multiples difficultés, qui ont déjà pu affecter leur santé avant leur incarcération. Et l’enfermement vient aggraver cette détresse.
Près de la moitié des prescriptions délivrées dans les prisons belges concernaient des médicaments actifs sur le système nerveux (antidépresseurs ou anxiolytiques), notamment indiqués en cas de troubles du sommeil, de dépression, de psychose ou encore de dépendance aux opioïdes.
Le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) a effectué en 2017 un rapport sur cet enjeu à la demande des ministres de la Santé et de la Justice. On y lit que « le milieu carcéral compte jusqu’à trois fois plus de personnes atteintes de troubles psychiatriques et jusqu’à huit ou dix fois plus de troubles liés aux usages de drogues que dans la société libre ». Ce rapport révèle aussi que « près de la moitié des prescriptions délivrées dans les prisons belges concernaient des médicaments actifs sur le système nerveux (antidépresseurs ou anxiolytiques), notamment indiqués en cas de troubles du sommeil, de dépression, de psychose ou encore de dépendance aux opioïdes ».
Même constat du côté du Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP), qui a fait de la santé mentale son thème de l’année 2024. Dans son rapport annuel de 2023, il souligne que « de plus en plus de détenus souffrent de problèmes de santé mentale ou développent des troubles mentaux à la suite de leur incarcération ». Et d’interpeller aussi sur le fait que « le monde extérieur semble souvent sous-estimer l’importance de soins de santé mentale adéquats, en particulier lorsqu’il s’agit de détenus et de personnes internées, présumant facilement que toute incarcération est le résultat d’un crime. Cependant, il est essentiel que le public prenne conscience que le crime qui précède l’incarcération peut être le résultat d’une maladie mentale. »
Les femmes plus concernées
« Les femmes détenues seraient davantage concernées par une détresse psychologique sévère que les hommes, 52 % contre 36 % chez les hommes. Et plus de la moitié d’entre elles se voient prescrire des traitements psychotropes, 56 % contre 34 % chez les hommes », relève Marion Guémas, sur base d’une étude de l’Université de Gand réalisée en 2019 et portant sur la santé psychique de la population carcérale belge et néerlandaise. Elle souligne aussi que « peu de données existent sur la situation socio-sanitaire des femmes et des hommes en prison. Dès lors quelles réponses apporter quand on ne sait déjà pas quelles sont les problématiques rencontrées ? »
La consommation de substances constitue l’une des vulnérabilités individuelles récurrentes observées chez les femmes en prison.
« La consommation de substances constitue en effet l’une des vulnérabilités individuelles récurrentes observées chez les femmes en prison », relève Valentine Doffiny, doctorante F.R.S-FNRS au département de criminologie de l’Université de Liège, qui étudie le profil des femmes incarcérées en Belgique francophone.
Le service psycho-social des prisons met à disposition des psychologues. Problème : elles/ils sont insuffisant·es pour répondre à la forte demande. Il faut rappeler que les prisons belges sont parmi les plus surpeuplées d’Europe, comme le relevait le Conseil de l’Europe en juin 2024, et que l’effectif pénitentiaire n’est pas réévalué en fonction de l’occupation réelle de la prison. « De plus, ces psys ont pour mission d’évaluer le déroulement de la détention, explique la travailleuse d’I.Care. Cela a pour conséquence que tout ce que la personne détenue leur dit peut jouer sur sa peine. » L’association plaide depuis longtemps pour que soient transférées les compétences en matière de santé pénitentiaire du SPF Justice vers le SPF Santé publique.
Des femmes peuvent aussi avoir peur du psy, selon leurs cultures et croyances. D’autres ont peur d’être prises pour folles et redoutent d’être transférées en psychiatrie…
« Des femmes peuvent aussi avoir peur du psy, selon leurs cultures et croyances. D’autres ont peur d’être prises pour folles et redoutent d’être transférées en psychiatrie. Donc, elles baissent la tête et exécutent leur peine en silence », observe Céline Cuvelier, artiste qui mène depuis plusieurs années des ateliers avec des femmes en prison. « Les femmes sont pour beaucoup médicamentées et sans suivi psychologique, complètement livrées à elles-mêmes », explique-t-elle. À partir des récits que les femmes lui rapportent, elle soulève aussi la question de la langue comme autre barrière dans l’accès aux soins.

Les femmes au second plan
Depuis 2023, le SPF Santé publique a recruté une dizaine de psychologues (dit·es « de première ligne ») afin de proposer un accompagnement psychologique généraliste à l’ensemble des personnes détenues qui en font explicitement la demande. « Mais ils/elles sont trop peu nombreux/euses pour le nombre de détenu·es et gèrent donc surtout l’urgence, explique Marion Guémas. De plus, comme toujours, les kinés et psys suivent les femmes « s’il reste du temps ». »
J’ai aussi en mémoire l’expérience d’une femme, auteure d’infanticide, qui a dû demander elle-même d’être internée en psychiatrie à sa sortie, parce qu’elle ne se sentait pas apte à reprendre la vie.
À la différence des hommes également, les femmes jugées irresponsables de leurs actes ne disposent pas de places en annexe psychiatrique (sauf à Bruges). « Cela implique qu’elles ne bénéficient pas d’un suivi spécifique. Cela n’est pas sans conséquences non plus sur les autres femmes, confrontées à la détresse psychiatrique de leurs codétenues », poursuit la travailleuse d’I.Care. « J’ai aussi en mémoire l’expérience d’une femme, auteure d’infanticide, qui a dû demander elle-même d’être internée en psychiatrie à sa sortie, parce qu’elle ne se sentait pas apte à reprendre la vie », relate Céline Cuvelier.
En outre, depuis la fermeture de Berkendael en 2022, aucune prison n’accueille spécifiquement des femmes. « Elles sont donc rassemblées dans des « quartiers femmes », au sein de prisons où les besoins des hommes passent souvent en priorité par rapport aux leurs (accès au préau, aux activités ou aux soins de santé) », relève Marion Guémas.
Elles [les détenues] sont rassemblées dans des « quartiers femmes », au sein de prisons où les besoins des hommes passent souvent en priorité par rapport aux leurs (accès au préau, aux activités ou aux soins de santé).
Les services comme I.Care disposent de psychologues. Mais pas assez pour répondre à la demande. L’association se démène aussi pour porter des projets spécifiquement destinés aux femmes – autour des questions EVRAS ou de la précarité menstruelle par exemple. Quant au soutien familial ou social, il est souvent faible. Si les femmes sont fort présentes pour leurs proches en prison, la symétrie n’opère pas. « Elles se confient beaucoup dans les ateliers parce qu’il n’y a pas d’espace ailleurs, relate Céline Cuvelier. Il suffit souvent de poser une question, et elles se mettent à raconter leur histoire. »
Violences et santé mentale
« Une majorité de femmes en prison a vécu des violences physiques, psychologiques et/ou sexuelles durant l’enfance et/ou l’âge adulte. La victimisation passée a d’ailleurs été largement mise en évidence par de nombreuses études qui ont par ailleurs analysé l’entremêlement des figures de victimisation et de délinquance dans le chef d’une seule et même personne », souligne Valentine Doffiny. Pourtant, « le sujet n’est pas du tout pris en compte durant leur détention et les professionnel·les, notamment de santé, qui travaillent dans les prisons ne sont pas formé·es à la question », déplore Marion Guémas.
Une majorité de femmes en prison a vécu des violences physiques, psychologiques et/ou sexuelles durant l’enfance et/ou l’âge adulte.
« La prison pour les femmes peut être un lieu de répit, de protection. Elle peut aussi constituer un moment de réflexion ou encore de réminiscence des violences également », remarque-t-elle. Il s’agit donc d’un moment-clé dans lequel il est indispensable de prendre soin de ces femmes et de leur santé, durant leur incarcération mais aussi en vue de leur réinsertion dans un système d’aide et de soins à leur sortie.
Dans cet objectif, I.Care mène à la prison de Mons le projet Wonder Women Resilience (WOW) pour accompagner les femmes victimes de violences. « On propose des activités collectives en collaboration avec des paires aidantes de l’association Brise Le Silence afin de permettre aux femmes de mettre des mots sur leur vécu et de préparer leur sortie », relate Marion Guémas.
La prison pour les femmes peut être un lieu de répit, de protection. Elle peut aussi constituer un moment de réflexion ou encore de réminiscence des violences également.
Le projet est soutenu pour un an. Et ensuite ? « On se pose évidemment la question de l’après. On ouvre un espace de parole mais que se passe-t-il quand les femmes regagnent leur cellule ? Ce qu’on fait est une goutte d’eau dans l’océan », conclut Marion Guémas. Ou une oasis dans le désert.
Merci à l’artiste Céline Cuvelier qui nous a autorisées à reproduire l’une ou l’autre de ses œuvres inspirées par les ateliers qu’elle mène avec des femmes en prison.