Le théâtre d’Aminata Abdoulaye Hama, questions à moi multiple

Une des trois pièces programmées au Festival Mouvements d’Identité, J’appartiens au vent qui souffle, dévoile l’histoire singulière et explosive d’Aminata Abdoulaye Hama, dont le corps et le cœur voyagent entre deux continents. La pièce se joue encore pour quelques dates au très convivial théâtre de quartier Océan Nord, à Schaerbeek.

(Allez aussi voir, au même festival, Final Cut de Myriam Saduis !)

© Michel Boermans

Scène d’ouverture : un metteur en scène européen attend la jeune comédienne en retard. Pièce choisie pour l’audition : Antigone. Plus que de jouer ce personnage de tradition antique, Aminata Abdoulaye Hama est Antigone, d’une façon éclatante, viscérale, évidente. Sera-t-elle engagée pour le rôle ? Non, “parce qu’une Antigone noire… Antigone était grecque, vous comprenez.”

Ce refus engage la jeune femme dans une réflexion très contemporaine sur la tension entre apparence des comédien·nes et rôles à incarner. Si Antigone ne peut être que blanche, un personnage de roi doit-il être incarné par un vrai roi ? Et un personnage mort, par un vrai cadavre ? On sent, sous la démonstration par l’absurde, frétiller une modernité radicale qui, choisissant une Antigone noire ou un personnage masculin joué par une femme, par exemple, retournerait comme gant les schémas vieux et moisis.

Un vent qui nous emporte

Récit d’un parcours, condensé d’énergie, J’appartiens au vent qui souffle balade sur la route suivie par la jeune femme nigérienne, passionnée dès l’école par les mots de Victor Hugo qu’elle aime tant réciter, des mots appartenant à la langue des colons : le français (une des neuf langues parlées au Niger). D’autres séquences accumulent les exemples de tensions. L’une ancre le conflit interne : “Aminata 1, toute noire, avec les pieds enfoncés dans la terre d’Afrique, et Aminata 2, toute noire, avec les pieds enfoncés dans la terre blanche. Montée sur les épaules d’Aminata 1, Aminata 2 pointe le doigt vers le ciel des rêves, du rêve d’être ce qu’on est, et de pouvoir être autre chose que ce qu’on est.”

© Michel Boermans

Pour aborder la violence des représentations, les contradictions de sa propre vie ou de ses aspirations, la fille du vent sort de sa malle de voyage les divers accessoires de ses métamorphoses. La comédienne explore aussi sur scène sa faculté de transformation, son talent pour incarner différents personnages, différentes identités, comme une démonstration d’autres possibles.

Intense, J’appartiens au vent qui souffle semble naître de cette nécessité de re-conciliation avec soi-même et de découverte du féminisme. La narration, proche du récit de vie conté – public apostrophé –, innervée de l’énergie vitale et joyeuse d’Aminata Abdoulaye Hama, aborde de façon décalée les injustices et, avec délicatesse, le parcours personnel. La pièce ouvre une voie rassemblant les contradictions : être unique et multiple. Il s’agit de plus qu’une mise à nu individuelle, mais aussi d’un acte totalement personnel de courage, d’ouverture, de fidélité à soi et de sincérité. Il s’agit encore de faire sien le pouvoir de se transformer, en Penthésilée par exemple, reine intrépide des Amazones.

“J’appartiens au vent qui souffle”, jusqu’au 9 décembre au Théâtre Océan Nord, 63, rue Vandeweyer  à Schaerbeek.

Texte Jean-Pierre Piemme Mise en scène Isabelle Pousseur avec Aminata Abdoulaye Hama.