La vie exemplaire de la femme à barbe

« Bien avant sa barbe et bien avant son mariage, Clémentine s’était signalée, à l’âge de 18 ans, en pêchant un jour dans l’étang de Bouzey un brochet de neuf kilos, la plus belle pièce qu’on eût jamais retirée », racontent François Caradec et Jean Nohain. « La bataille entre le brochet déchaîné et la jeune fille avait été épique. Seule, acharnée, elle était entrée dans l’eau, avait enfoncé son bras dans la gueule du monstre et, la main en sang, elle avait triomphalement rapporté sa proie à sa famille, et à son fiancé qui comprit, dès ce jour-là, que cette Clémentine était une maîtresse-fille. » Clairement, Clémentine Delait (1865-1939) chatouillait déjà les usages… Le destin de cette femme au grand cœur, athlétique et même « forte comme un Hercule », justicière, coquette et courtisée, férue de politique et de récits policiers, icône populaire, est passionnant. Ce texte tendre, initialement publié en 1969 et rédigé d’après les confidences de ses proches et de Fernande, sa fille tant aimée, tranche avec les catégories si hermétiques de notre monde actuel, nous qui nous targuons d’être plus progressistes que nos ancêtres. C’est à voir. Clémentine Delait est femme, sans aucun doute, et même avec une certaine fierté (« belle barbe, oui, pomme d’Adam, non ! »), mais à sa manière à elle et nulle part où on l’attend. Elle chérit sa barbe, considérant qu’il s’agit de « l’un des plus beaux ornements de sa personne » ; son mari aussi aime à caresser le visage poilu de son épouse, qui allait chez le barbier trois fois par semaine. Considérée par ses voisin·es comme une fée, Clémentine Delait tenait prête sa réplique à saint Pierre, pour le jour où elle monterait au ciel : « Mon bon saint Pierre, au Paradis, je parie qu’il n’y a pas une barbe aussi belle que la mienne ! » (S.P.)

 

La vie exemplaire de la femme à barbe

François Caradec et Jean Nohain

L’Échappée 2017, 96 p., 9,50 eur.